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Pourquoi la peine de mort est et doit rester enterrée

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023



Rappel historique sur les raisons de l'abolition de la peine de mort en France

« Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu’il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu’il ne faut pas tuer ? En tuant. ». C’était les mots que prononçait en 1848 devant l’assemblée constituante un homme engagé dans la lutte contre la peine de mort : Victor Hugo[1].


Un peu plus d’un siècle plus tard, le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi était guillotiné aux Baumettes, à Marseille. Ce fut la dernière personne exécutée en France.

Mais le débat ne s’arrête pas là. Comme le chantait Jean Ferrat, « le sang sèche vite en rentrant dans l’histoire ». Aujourd’hui, c’est tristement vrai : une partie relativement importante de la population française semble redevenir favorable à la peine de mort. Un sondage fait en 2015 par le journal « Le Monde » montrait qu’à la question : « êtes-vous d’accord avec l’affirmation : "il faudrait rétablir la peine de mort" ? », 52% des français répondaient positivement. Le contexte actuel, qui nous confronte notamment à la montée du terrorisme, semble renforcer une certaine nostalgie liée à la peine de mort.


Nostalgie ou… perte de mémoire ? Dans un monde où la peine de mort existe encore à certains endroits, l’exemple donné par les principaux concernés, que sont les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran et la Chine, pourrait-il être source d’inspiration ?


Un rappel historique aussi sanglant que passionnant s’impose.


Dès le siècle des Lumières, avec Voltaire ou Beccaria, le courant abolitionniste était né. Leur but : mettre fin à la peine de mort. Pourtant, la France a tardé à se défaire de ses "bécanes", de ses "rasoirs nationaux". Autrement dit de ses guillotines, car oui, la guillotine avait bien des surnoms à l’époque révolutionnaire ! Inventées par Joseph Ignace Guillotin, mais créées par Antoine Louis, les guillotines[2] étaient devenues le seul mode d’exécution à partir de 1792 sauf quelques exceptions de fusillades. Ainsi, le Code Pénal de l’époque proclamait : « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». Mais 200 ans plus tard, l’article 1er de la loi du 9 octobre 1981 le contredisait en ces termes solennels : « La peine de mort est abolie ».


La guillotine n’était que l’étape ultime de l’institutionnalisation de la peine de mort. Il n’y a pas eu besoin d’attendre la Révolution pour que la mort soit acceptée comme sanction pénale. En effet, la guillotine avait été inventée car dans l’Ancien Régime, il y avait des inégalités dans les modes très divers de mises à mort existant. Ainsi, les nobles avaient le "privilège" d’être décapités à l’épée, et non pas de mourir ébouillantés, écartelés ou pendus. A la fin de l’Ancien Régime, il était possible de dénombrer une centaine de condamnations à mort, aussi bien pour un vol de mouchoir par un domestique que pour un meurtre. Mais l’historique des peines de mort remonte encore plus loin que l’Ancien Régime. Pour l’anecdote, il arrivait aux Gaulois de punir les personnes en les précipitant du haut d’une falaise. Quoi de plus charmant ?


La France semblait si attachée à la peine de mort. Alors pourquoi a-t-elle changé d’avis en 1981 ? Pourquoi cette date ? Et pourquoi être allée jusqu’à inscrire ce revirement dans la Constitution en 2007 de sorte à le stabiliser dans le temps ?

L’analyse du passé est un bon moyen de préparer l’avenir.


« M. le garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France. »

Par ces mots, un homme, avocat, ministre de la justice à l’époque, débutait un discours qui allait jouer un rôle majeur dans l’abolition de la peine de mort en France. Cet homme, vous le connaissez sûrement. Il défendait à ce moment Patrick Henry, dont la culpabilité concernant le meurtre d’un enfant ne soulevait aucun doute. Si la culpabilité était évidente, la stratégie fut de débattre pour savoir si la conséquence serait nécessairement la mort. Ce discours, bien connu, a été prononcé par Robert Badinter à l'Assemblée Nationale, le 17 septembre 1981.


"Ce n'était pas un discours ministériel, tant s'en faut. Ce n'était pas non plus une plaidoirie, comme beaucoup le dirent qui ne m'avaient jamais entendu plaider. C'était pour moi une sorte d'ultime appel, au-delà de l'hémicycle, à libérer notre Justice de l'emprise de la mort." Robert Badinter, L’abolition.

Mais savez-vous réellement quels étaient les arguments de Badinter pour plaider contre la peine de mort ?

J’ai tenu à vous les rappeler, car ces propos sont encore actuels, en reprenant ses propres phrases, afin de ne pas dénaturer le discours.


D’abord, Robert Badinter constate qu’aucun lien n’a jamais été établi, par quelque étude que ce soit, entre la peine de mort et la baisse de la criminalité :


"Il n'y a pas entre la peine de mort et l'évolution de la criminalité sanglante ce rapport dissuasif que l'on s'est si souvent appliqué à chercher sans trouver sa source ailleurs."
"Les crimes les plus terribles […] sont commis le plus souvent par des hommes emportés par une pulsion de violence et de mort qui abolit jusqu'aux défenses de la raison. A cet instant de folie, à cet instant de passion meurtrière, l'évocation de la peine, qu'elle soit de mort ou qu'elle soit perpétuelle, ne trouve pas sa place chez l'homme qui tue."
"Les criminels dits de sang-froid, ceux qui pèsent les risques, ceux qui méditent le profit et la peine, ceux-là, jamais vous ne les retrouverez dans des situations où ils risquent l'échafaud"

Ensuite, la peine de mort, politiquement, n’est pas le signe d’un pays de liberté :


"Que la peine de mort ait une signification politique, il suffirait de regarder la carte du monde pour le constater. [Il y a] les pays abolitionnistes et les autres, les pays de liberté et les autres."
"Partout, dans le monde, et sans aucune exception, où triomphent la dictature et le mépris des droits de l'homme, partout vous y trouvez inscrite, en caractères sanglants, la peine de mort."
"La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie."

Par ailleurs, la décision de la peine de mort se prend difficilement et arbitrairement au cours du procès :


"Dans la réalité judiciaire, qu'est-ce que la peine de mort ? Ce sont douze hommes et femmes, deux jours d'audience, l'impossibilité d'aller jusqu'au fond des choses et le droit, ou le devoir, terrible, de trancher, en quelques quarts d'heure, parfois quelques minutes, le problème si difficile de la culpabilité, et, au-delà, de décider de la vie ou de la mort d'un autre être. Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire: celui-là doit vivre, celui-là doit mourir !"

Déjà, Robert Badinter parlait d’un sujet actuel : la volonté de condamner les terroristes à mort parce qu’ils sont terroristes. Mais, problème : cela nourrirait les ambitions des terroristes et nous rapprocherait d’eux.


"Certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime […] contre la menace grave que constitue le terrorisme. […] Cet argument procède d'une méconnaissance complète de la réalité. En effet l'Histoire montre que s'il est un type de crime qui n'a jamais reculé devant la menace de mort, c'est le crime politique. Et, plus spécifiquement, s'il est un type de femme ou d'homme que la menace de la mort ne saurait faire reculer, c'est bien le terroriste."
"Aux yeux de certains et surtout des jeunes, l'exécution du terroriste […] en fait une sorte de héros qui aurait été jusqu'au bout de sa course, qui, s'étant engagé au service d'une cause, aussi odieuse soit-elle, l'aurait servie jusqu'à la mort."
"Loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme."
"Utiliser contre les terroristes la peine de mort, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers."

Robert Badinter considère ensuite que la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent ») doit être dépassée pour progresser :


"La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance."
"Justice, pour les partisans de la peine de mort, ne serait pas faite si à la mort de la victime ne répondait pas, en écho, la mort du coupable."
"Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l'être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c'est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion ?"

Puis il affirme que la peur de la récidive, justifiant la peine de mort, n’est pas pertinente car la justice est imparfaite. De plus, aucun homme n’est totalement coupable :


"Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c'est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu'il récidive un jour. […] La justice tuerait moins par vengeance que par prudence."
"Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu'il existe des hommes totalement coupables, c'est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir."
"Il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement."
"La justice demeure humaine, donc faillible."
"Parce qu'aucun homme n'est totalement responsable, parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable"

Robert Badinter conclue en demandant l’abolition de la peine de mort sans restriction ni réserve, et sans peine de remplacement, car "on ne remplace pas un supplice par un autre". Et de finir par cette phrase :


"Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées."

Alors, que répondre aujourd’hui à cette ambition pionnière ?


Certes, les pages sanglantes de notre justice ont été tournées. Mais le livre n’a pas été effacé. Souvent les raisons profondes de l’abolition de la peine de mort sont oubliées, notamment lorsqu’il existe un climat de peur et d’inquiétude.

Outre des arguments matériels facilement contrés par d’autres arguments matériels, comme le fait que si un détenu coûte cher, un détenu condamné à mort coûte encore plus[3], l’abolition de la peine de mort a été, et doit rester avant tout, le "choix moral" d’une société démocratique.



Gladys KONATÉ


 

[1] Concernant l’engagement de Victor Hugo : auteur de Le dernier jour d’un condamné

[2] Autre surnom, en lien avec le créateur : les « Louisettes »

[3] Une étude faite en 2003 estime le coût moyen de toute la procédure qui entoure la peine de mort au Kansas à 1,26 million de dollars contre 740 000 dollars pour une incarcération à vie.




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