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Les abus sexuels et l’Église : de 1950 à nos jours

Dernière mise à jour : 29 nov. 2023



En premier lieu, cet article ne traite pas d’une question religieuse. Le but est de relater des faits issus de rapports et statistiques. Aucun jugement n’est porté sur la religion, ni sur ses institutions. En second lieu, le terme “abus”, utilisé fréquemment dans le cadre de cet article, ne rend pas grâce au droit pénal en ce qu'il recouvre des infractions, ou violences sexuelles. Cependant, pour faire écho aux nombreuses sources utilisées, le terme “abus” sera conservé.




À titre liminaire, il est important de rappeler que l’ampleur des abus sexuels dans l’Église s’est révélée particulièrement gigantesque au regard du nombre de victimes révélées. De cette manière, un grand nombre d’organismes et de commissions ont été mises en place pour tenter d’apporter une réponse malgré le temps passé. Ainsi, cet article fait état d’acteurs divers et variés, malgré tout indispensables à la prise en charge de ce phénomène si particulier et trop souvent impuni. En effet, moins de 10% des agresseurs connus ont été judiciairement sanctionnés [1].


Propos introductifs - En novembre 2000, et pour la première fois, les évêques de France ont abordé le lourd sujet des violences sexuelles dans l’Église. Dès lors, la conférence des évêques de France (CEF) n’a cessé de réaffirmer son engagement dans cette lutte [2]. Dans un premier temps, une adresse électronique avait été mise en place en avril 2016, afin que les victimes puissent prendre contact avec la CEF afin de faire part ce qu’elles avaient pu vivre. Enfin, en 2018, c’est la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) qui voit le jour et qui débutera des travaux tentaculaires dès 2019 pour remettre, le 5 octobre 2021, un rapport glaçant de 548 pages.


Les travaux de la CIASE - La CIASE avait donc pour ambition de retracer et rapporter les abus sexuels qui ont pu exister dans les églises depuis 1950 jusqu’en 2020. Présidée par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État en 2018, la commission est aussi composée d’une équipe pluridisciplinaire de professionnels du droit pénal, du droit canonique, ou de sociologues, anthropologues et psychiatres.


« Nos sociétés ont, au cours des deux dernières décennies, découvert avec un effroi et une indignation croissants les violences sexuelles infligées à leurs enfants. » [3]

Contenu du rapport - L’intérêt du rapport tient aussi à la méthodologie utilisée pour mener à bien son action. La première tend à libérer la parole des victimes. L’avantage d’avoir le recul d’un demi-siècle permet aux victimes adultes de se sentir enfin prêtes à se livrer sur ce qu’elles ont pu subir. Ainsi, voici les principaux éléments qui ressortent en quelques chiffres. Les auteurs seraient majoritairement des prêtres, diacres, religieux ou religieuses, pour 216 000 victimes mineures sur la période de 1950 à 2020. Ce nombre correspond à une enquête de population générale [4]. En élargissant la recherche à l’ensemble des personnes qui ont un lien avec l’Église sans être religieux (personnel d’entretien, d’enseignement, animateurs scouts…), le nombre monte à 330 000. En dehors du cercle familial, l’Église catholique demeure être le lieu le plus sujet aux abus sexuels. Le nombre d’agresseurs s’élève à un chiffre entre 2900 et 3200, sachant qu’il faut prendre en compte un chiffre noir représentant toutes les agressions demeurant inconnues ou non découvertes à ce jour. Le rapport revendique ainsi la nécessité d’une justice réparatrice, en passant outre la prescription, l’Église se doit de réparer son inaction et son manque de vigilance. Le rapport est ainsi découpé en trois grandes parties aux titres explicites :

I. Faire la lumière

II. Révéler la part d’ombre

III. Dissiper les ténèbres.


« Un phénomène massif, longtemps recouvert par une chape de silence et difficile à mesurer. » [5]

Objectifs principaux - Après la publication du rapport, les chiffres ont donné lieu à une prise de conscience des acteurs de l’Église. La conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) souhaite s’inscrire dans un mouvement de justice réparatrice. Après les résolutions prises en mars et novembre 2021, la conférence des évêques de France (CEF) a mis en place un plan d’attaque conséquent et prometteur afin de responsabiliser l’Église. Dans un premier temps, il s’agit de reconnaître les agressions qu’elle a hébergé de 1950 à aujourd’hui. Dans un second temps, le but est de réparer (pour le moins, financièrement) les préjudices subis par les victimes sans même tenir compte de la prescription. Il est entendu que si la prescription est acquise, aucune procédure judiciaire ne peut être engagée. C’est précisément pour cette raison que des commissions indépendantes existent pour indemniser les victimes. Dans un troisième temps, il est question de prévenir et lutter contre la pédo-criminalité au sein des églises.


Recommandations de la CIASE – Le but n’est pas de tourner la page, mais de faire adopter à l’Église « une responsabilité à la fois individuelle et systémique». Avant toute réparation, l’Église doit préalablement reconnaître sa faute. Même en l’absence d’une réponse judiciaire, aujourd’hui impossible l’Église n’est pas à l’abri de devoir répondre des faits qu’elle a hébergé. La CIASE préconise ainsi des cérémonies publiques et mémorielles. Aussi, malgré l’impossibilité de recourir à la voie pénale, il faudra se tourner vers un mécanisme de justice restaurative comme la CORREF a pu le préconiser. Même si l’allongement de la prescription aurait pu être opportun, il paraît trop douloureux et inefficace de rouvrir la voie pénale, les faits étant trop anciens, et l’issue trop incertaine au regard notamment du dépérissement des preuves [6].


Concernant la sanction, une réforme du volet pénal du code de droit canonique a été instaurée en date du 8 décembre 2021. Cela se matérialise par une définition claire et précise des infractions en cause ainsi que d’échelons de gravité. Le CEF a aussi annoncé la création d’un tribunal pénal canonique interdiocésain devant présenter toutes les garanties d’impartialité, avec des juges laïcs. Les confesseurs sont destinataires de consignes leur permettant d’avertir les autorités en cas de violences sexuelles dénoncées ou suspectées, et d’ainsi trahir le secret auquel ils sont tenus [7]. Enfin, et à titre de prévention, la commission prévoit de nombreux outils dans le cadre de la formation du personnel religieux. Cela passe par une vigilance plus accrue, de nouveaux aménagements des lieux de vie ne permettant plus l’isolement avec un mineur. La prévention passe également par la formation des personnels religieux qui sont sensibilisés sur la question tout au long de leur formation. Au sein de l’Église, un plan de sensibilisation à la pédo-criminalité est lancé sur la base d’enseignements.


Le rôle de la CIIVISE - La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) fut lancée par Emmanuel Macron le 23 janvier 2021 pour une durée de deux ans. Son but étant de recueillir le plus de témoignages possible afin de formuler des recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles, protéger les mineurs victimes et lutter contre l’impunité des agresseurs. En septembre 2021, un appel à témoignages envers tous les adultes qui auraient été victimes de violences sexuelles durant leur enfance est lancé. 80% de ces témoignages concerneront des abus sexuels incestueux, et 10% témoignent que les faits avaient été commis au sein d’une institution (pas seulement l’Église). Ainsi, le rapport évoque 330 000 victimes dans l’Église, dont 216 000 agressées par des prêtres, diacres, religieux et religieuses. Ces chiffres sont issus d’enquêtes de l’IFOP et de l’INSERM et révélés par le rapport Sauvé.



L’assemblée plénière de la CEF après publication du rapport de la CIASE – La CEF se réunissait à Lourdes le 8 novembre 2021 afin de démarrer le processus recommandé par le rapport de la CIASE. Elle se dirige vers un nouvel acteur, l’instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR), pour écouter les victimes, et commencer un processus de réparation et de reconnaissance en passant par une étape d’accueil, d’écoute et de cheminement pour aboutir à une indemnisation.


« Une institution Église qui n’a pas pris la défense des victimes. Un droit canonique gravement défaillant. Des obligations juridiques encore trop peu connues et respectées. »[8]

Un nouvel acteur, l’INIRR - Concernant le plan du droit à réparation des victimes, l’instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) a été destinataire d’une lettre de mission de la CEF dans laquelle elle astreint l’Église à donner suite aux demandes de ses victimes. Les demandes sont accueillies sur la base d’une présomption de vraisemblance des faits. La logique est celle de l’indemnisation, ainsi la prescription peut être acquise et ne fait pas obstacle à la réparation. En revanche, si le délai de prescription n’est pas acquis, la victime sera informée des droits dont elle dispose encore aux fins d’une potentielle action en justice. L’INIRR a publié son rapport en 2022 et continue de recevoir et d’accompagner des victimes. Voici les chiffres mis à jour au 1er mars 2023 : 1186 personnes victimes se sont adressées à l’INIRR, d’une moyenne d’âge de 61 ans, dont 69% sont des hommes.


La procédure de « vraisemblance des faits » - Il va de soi que n’importe qui pourrait se revendiquer victime. C’est pour cette raison que le diocèse [9] est contacté pour une enquête sur la probabilité des faits, il faut pouvoir confirmer que cela ait pu avoir lieu. Ainsi, lorsqu'un nom se dégage d’un témoignage, le diocèse intéressé sera contacté afin de vérifier si, au regard de la période, de l’entrée en fonction, et du lieu, les faits dénoncés sont probables. En date du 24 février 2022, 526 victimes se sont manifestées auprès de l’INIRR alors que la commission Sauvé (la CIASE) annonçait 6500 signalements. Outre les victimes qui n’ont pas eu connaissance de l’INIRR, certaines font le choix délibéré d’attendre, ou encore ne souhaitent pas nécessairement entrer dans un processus de reconnaissance ou de réparation.


Une commission indépendante spéciale - Au même titre, la Commission de reconnaissance et de réparation (CRR) est une création spécifique pour les violences sexuelles commises par des membres d’instituts religieux. Elle permet d’accueillir tous les récits, et d’accompagner les victimes dans un processus de réparation. De nombreux récits apparaissent sur le site de l’institution afin d’encourager toutes les victimes à sortir du silence. Ces témoignages permettent aussi d’observer les processus, les subterfuges favorisant les abus qui avaient eu lieu, afin d’éviter à l’avenir de recréer de telles situations, dans une logique de prévention.


« La participation est un vecteur de restauration de la dignité de toute personne victime : redonner le pouvoir d’agir à chacun est primordial. » [10]

Fairedelegliseunemaison.fr - Un site mis en place par la CEF permet de suivre le statut (« en cours » ou « fait ») de chaque mesure ainsi que leur état d’avancement. À l’heure actuelle, sur 27 mesures, 16 ont été réalisées, 11 autres sont toujours en cours de réalisation. Cela permet d’opérer un suivi des mesures à venir. Parmi les plus pertinentes, l’on peut retrouver :


  • La vérification systématique des antécédents judiciaire des agents pastoraux (en cours)

  • Une charte nationale de bonne conduite grâce à laquelle des mesures de prévention sont envisagées, mais aussi des formations obligatoires, des aménagements spécifiques, voire des évaluations (fait) ;

  • Une recension des risques (en cours) ;

  • La création d’un tribunal pénal canonique interdiocésain : entré en fonction le 1er avril 2022 (fait) ;

  • La mise en place d’un référent protection des mineurs (en cours) ;

  • La constitution d’un fonds de dotation (fait) ;

  • La création d’une cellule d’accompagnement des auteurs d’abus (en cours).


Pour conclure, l’Église souhaite se repentir des maux qu’elle a pu héberger, les réparer, et enfin les prévenir. Un grand nombre d’associations, de commissions, d’institutions ont été mises en place pour accueillir les témoignages et envisager une réparation. L’impunité doit cesser.




Valentine PIC

 

[1] Chiffres issus du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église .

[2] Diocèse de Saint-Denis, Parution le 5 octobre 2021 du rapport sur les abus sexuels dans l’église

[3] Extrait du rapport de la CIASE du 5 octobre 2021, avant-propos de Jean-Marc Sauvé

[4] Menée entre le 25 novembre 2020 et le 28 janvier 2021 auprès de 28010 personnes.

[5] Paragraphe 0057 du rapport de la CIASE du 5 octobre 2021

[6] Pour aller plus loin, voir l’article Face à la prescription, quelle solution pour les victimes ?, Adélie Jeanson-Souchon

[7] A ce titre, consulter l’affaire Barbarin, dans laquelle le cardinal avait été mis en cause pour ne pas avoir dénoncé des faits pédo-criminels dont il avait eu connaissance.

[8] Paragraphe 0072 du rapport de la CIASE du 5 octobre 2021

[9] Église particulière, placée sous l'autorité d'un évêque. Un diocèse regroupe plusieurs paroisses territoriales

[10] Extrait du rapport annuel de l’INIRR de 2022.




Bibliographie :

  • Rapport de la CIASE, 5 octobre 2021

  • Rapport annuel de l’INIRR de 2022


Sites :



Pour aller plus loin :


Podcasts :
  • Rapport Sauvé sur les abus sexuels : l’Église peut-elle se réformer ? RadioFrance

  • Abus sexuels dans l’Église : La fabrique du silence, FranceInter


Films :

Spotlight, Tom McCarty, 2015

Synopsis Allociné : « Adapté de faits réels, Spotlight retrace la fascinante enquête du Boston Globe – couronnée par le prix Pulitzer – qui a mis à jour un scandale sans précédent au sein de l’Eglise Catholique. Une équipe de journalistes d’investigation, baptisée Spotlight, a enquêté pendant 12 mois sur des suspicions d’abus sexuels au sein d’une des institutions les plus anciennes et les plus respectées au monde. L’enquête révèle que L’Eglise Catholique a protégé pendant des décennies les personnalités religieuses, juridiques et politiques les plus en vue de Boston, et déclenche par la suite une vague de révélations dans le monde entier. »


Grâce à Dieu, François Ozon, 2018

Synopsis Allociné : « Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne. »






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