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Le transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-absorption


Pendant des décennies, le droit pénal français a vécu sur une fiction rassurante mais déconnectée de la réalité économique : la « conception anthropomorphique » de la personne morale. 

En effet, selon cette vision, lors d’une fusion-absorption d’une société vers une autre, la dissolution d'une société (absorbée) équivalait à la mort biologique d'un individu. Ainsi, l'action publique s'éteignait, et la société absorbante, tel un héritier innocent, ne pouvait être inquiétée. L’avantage de cette solution réside dans son respect de la lettre de l’article 121-1 du Code pénal « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », la société absorbante n’ayant pas commis l’infraction personnellement.


Mais cette impunité structurelle, propice aux « blanchiments juridiques » d'infractions, a volé en éclats. Sous la pression conjointe de la CJUE et de la CEDH , la Chambre criminelle a opéré son revirement le 25 novembre 2020, préférant désormais la « réalité économique » à la métaphore biologique.


La fusion absorption est définie comme l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante. 


Ainsi, se pose la question de savoir ce qu’il advient de l’infraction réalisée par la société qui transmet son patrimoine a une autre, et qui par conséquent, n’existe plus. 


A titre liminaire, il convient de distinguer 2 hypothèses. 


- La première relève du cas de la société absorbée déjà condamnée avant la fusion avec la société absorbante. Dans cette hypothèse, la fusion répondant au principe de transmission universelle du patrimoine et donc d’une transmission de l’actif et du passif. La dette vis-à-vis de l'État figure donc déjà dans le patrimoine. La société absorbante devra donc s’acquitter de la dette. Cette première hypothèse ne suggère pas de difficulté particulière. 


- Cependant, s’agissant de la seconde hypothèse, il s’agit du cas où la société absorbée consomme l’infraction et que la fusion-absorption intervient avant toute condamnation devenue définitive.


Il conviendra de dresser un état du droit positif à l'aube de 2026, intégrant le revirement fondateur du 25 novembre 2020, ses extensions successives, jusqu'au tout récent arrêt du 12 novembre 2025 concernant les établissements publics.


I. La justification du transfert de responsabilité pénale en cas de fusion absorption 


Le principe est désormais posé par l’arrêt du 25 novembre 2020 [1], la société absorbante peut être condamnée pour des faits commis par l'absorbée avant la fusion. Comme tout principe juridique respectable, ce transfert n'est pas absolu.


Sur quel fondement juridique ce transfert est-il justifié  ?


La Cour de cassation ne transfère pas la culpabilité morale, mais une dette pénale patrimoniale.


Deux justifications semblent se dégager. 


- D’un point de vue économique, la chambre criminelle justifie son revirement au regard de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise. L’activité économique de la société absorbée ne disparaît pas mais est transférée. Ainsi, cette solution répond à la réalité économique du droit des sociétés. 


- D’autre part, les juges luxembourgeois de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) imposent que la fusion ne soit pas un moyen d'échapper aux infractions [2]. De l’autre côté de la frontière, les juges strasbourgeois de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) considèrent que les sociétés absorbées et absorbantes ne sont pas véritablement « autrui » l'une pour l'autre [3].


II. Les conditions et le champ d’application de ce transfert 


Quelles peines sont prononçables à l’égard de la société absorbante ? 


La Cour de cassation a posé une limite stricte, précisée notamment par sa note explicative publiée en complément de l’arrêt de 2020 : seules les peines d'amende et de confiscation sont transférables.


La justification reprend les raisonnements développés plus haut. En effet,  ce sont des peines à caractère patrimonial et donc elles s’inscrivent dans l’idée même de transfert de la “dette pénale”. 


Ainsi, on ne peut pas prononcer une interdiction d'exercer ou une fermeture d'établissement contre l'absorbante pour des faits qu'elle n'a pas commis personnellement.


Quid des droits de la défense ? 


C'est le corollaire indispensable du transfert de responsabilité. L'absorbante bénéficie des mêmes droits que la société absorbée et peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer (nullités de procédure, prescription, fond).


Plus récemment [4], les hauts juges ont précisé que la société absorbante peut interjeter appel du jugement de la condamnation prononcé contre la société absorbée. En effet, la personne morale de la société absorbée n’existant plus, le droit d’appel est ouvert à la société absorbante. 


Quelle forme de société est concernée ? 


Il conviendrait presque de reformuler la question, qui n’est plus d’actualité, en : quel groupement est concerné ? 

En effet, pour une réponse brève, aujourd’hui, la doctrine semble s’accorder sur le fait que toutes les formes de groupement soient concernés par ce principe de transfert de responsabilité pénale.


Pour préciser le propos plus en détail, il conviendra de dresser un historique synthétique des décisions des magistrats du Quai de l’Horloge et de leurs apports. 


L’arrêt de revirement et assurément fondateur de ce mécanisme est celui de 2020, précédemment cité. Ainsi, sont tout d’abord concernées les sociétés visées par la directive du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes [5]. En clair, il s’agit des sociétés anonymes (SA), sociétés par actions simplifiées (SAS) et certaines formes de sociétés en commandite par action (SCA). 


Dans un second temps, comme analysé à juste titre [6], au nom du principe d’égalité, la Cour de cassation a étendue son mécanisme prétorien aux sociétés à responsabilité limitées (SARL) [7]. In fine, comme le précise la doctrine, ce mécanisme semble dès lors applicable à toute forme de société commerciale. 


En réalité, la solution de l'arrêt de 2020 semblait déjà pouvoir s’appliquer à toute forme de société. L’arrêt de 2024 relatif aux SARL précise que cette extension était “prévisible”. En effet, la chambre criminelle utilise en 2020 l’article 236-3 du Code de commerce qui est applicable à toute forme de société commerciale [8].


Il convient de préciser que cette décision semble pouvoir également s’appliquer aux fusions entre associations, la chambre criminelle n’ayant pas eu l’occasion de statuer à ce sujet.


Enfin, très récemment, par un arrêt de novembre 2025 [9], la Haute juridiction a étendu le transfert de responsabilité pénale aux universités et établissements publics en cas de fusion. L'entité nouvelle issue de la fusion d'établissements publics est désormais responsable des infractions commises antérieurement. Les hauts magistrats alignent ainsi le droit public des affaires sur le droit privé, au nom de la continuité du service public et du patrimoine.


Pour reprendre l’expression de Monsieur le Professeur Stéphane Détraz, dorénavant “qu'importe le flacon !”.


III. Quid de la temporalité ? 


Il conviendra de distinguer 2 hypothèses (encore une fois) en fonction de la date charnière du 25 novembre 2020 (date de l’arrêt de la Cour de cassation).


- Premièrement, pour les fusions-absorptions réalisées avant le 25 novembre 2020, le principe est que ce mécanisme n’est pas applicable. La justification tient au principe de prévisibilité de la loi (article 7 de la CEDH). 

Cependant, il convient de préciser qu’une exception demeure. En effet, en cas de fraude, ce mécanisme de transfert demeure applicable, quand bien même la fusion a été opérée avant le 25 novembre 2020 [10]. Ainsi, en cas de fraude, la société absorbante peut être poursuivie en “tout état de cause”, respectant l’adage latin « Fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout). 

Il convient de préciser qu’en cas de fraude à la loi le juge peut prononcer toutes les peines applicables.


- Deuxièmement, pour les fusions-absorptions réalisées après le 25 novembre 2020, le mécanisme est applicable. 

La forme de la société importe peu. En effet, malgré les arrêts postérieurs relatifs aux SARL et aux établissements publics, pour eux aussi, la règle ne s'applique qu'aux fusions postérieures au 25 novembre 2020, date à laquelle le principe général est devenu prévisible. 

A titre illustratif, une fusion de SARL intervenue en 2021 est soumise à ce mécanisme car elle est postérieure au 25 novembre 2020 malgré le fait que l’arrêt élargissant aux SARL soit rendu en 2024.


Tableau récapitulatif de la temporalité de la fusion :

Situation

Fusion AVANT le 25 nov. 2020

Fusion APRÈS le 25 nov. 2020

Cas Général (Bonne foi)

AUCUNE responsabilité pénale transférée.

TRANSFERT de la responsabilité (Amendes et Confiscations uniquement).

Cas de FRAUDE

RESPONSABILITÉ TOTALE (Toutes peines).

RESPONSABILITÉ TOTALE (Toutes peines).



Loriau Steeve


En remerciant mon cher ami Maximilien pour son aide. 


Pour aller plus loin :


- S. Detraz, « Responsabilité pénale des personnes morales : qu'importe le flacon ! », Gaz. Pal., 23 juillet 2024 (sur l'arrêt de 2024).


- H. Matsopoulou, « Le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante », Revue des Sociétés, 2021 (analyse du revirement de 2020 et de la continuité fonctionnelle).


- J. Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, Thèse (sur la définition de la fraude à la loi)


- Chambre criminelle : Note explicative relative à l’arrêt n° 2333 du 25 novembre 2020 


[1]  Cass. Crim., 25 nov. 2020, n°18-86.955, obs. H. Matsopoulou, J.C. Saint-Pau, J. Gallois

[2] CJUE, 5 mars 2015, Aff. 343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/ ACT

[3] CEDH, 24 oct. 2019, Carrefour France c. France, n° 37858/14.

[4] Crim., 29 avr. 2025, n°24-81.555

[5] article 19, §1 de la 3e directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 ; modifiée par la directive 2009/109/CE du 16 septembre 2009

[6] S. Detraz, « Responsabilité pénale des personnes morales : qu'importe le flacon ! », Gaz. Pal., 23 juillet 2024

[7] Crim. 22 mai 2024, n° 23-83.180

[8] Droit pénal général et procédure pénale, B. Bouloc & H. Matsopoulou, 2024

[9] Crim. 12 nov. 2025, n° 23-84.389 

[10] Crim, 12 avr. 2022, n°21-80.653

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