Le délit d’homicide routier : quels impacts sur le cadre légal ?
- Les Pénalistes en Herbe

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C’est notamment pour donner suite à une affaire très médiatisée que la loi n° 2025-622 du 9 juillet 2025 a introduit la notion d’homicide routier dans le Code pénal aux articles 221-18 et suivants.
Sur l’élément déclencheur
Un homme avait pris le volant sous l’emprise de stupéfiants, en février 2023, et avait percuté une voiture, faisant trois blessés graves, dont une femme enceinte qui a perdu son fœtus. Il a été condamné à cinq ans de prison dont deux ferme pour blessures involontaires aggravées.
Pourquoi cette affaire a-t-elle été un élément déclencheur à la réforme ?
En réalité, la société et les médias se sont emparés de la question bien avant le législateur. Si le législateur reste stoïque sur l’impossibilité de faire rentrer le fœtus dans le champ d’application du terme d’autrui [1], il s’est penché sur la question de la pénalisation des comportements jugés dangereux et irresponsables sur la route.
Juridiquement, les faits imputables au conducteur relevaient de blessures involontaires aggravées. Pourtant beaucoup de non-juristes et de médias ont spontanément utilisé l’expression d’homicide involontaire pour désigner la mort du fœtus. Beaucoup s’indignaient du fait que le conducteur avait pris un risque conscient en conduisant après avoir consommé des produits stupéfiants.
Face à cette émotion, plusieurs associations de victimes [2] ont demandé une réforme du droit pénal routier. Les articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 du Code pénal ont été particulièrement visés. L’objectif étant de nommer clairement les choses et de reconnaître la spécificité des morts causées par des comportements routiers fautifs graves.
Le gouvernement, sous l’impulsion du ministre de la Justice Monsieur Éric DUPOND-MORETTI, a dès lors annoncé vouloir créer une infraction spécifique.
En effet, la sécurité routière est une question contemporaine primordiale car depuis le début du 21e siècle de nombreux morts et de blessés sont recensés chaque année. Des accidents parfois fortuits et qui ne dépendent pas du comportement de l’auteur, comme un surgissement intempestif d’animaux sauvages, ou une chute de pierre sur la route, et des accidents parfois plus graves comme la conduite de personnes alcoolisés ou sous emprise de stupéfiants, qui se mettent par leurs comportements en danger, mais mettent aussi autrui en danger.
Définition : Autrui se définit comme étant toute personne extérieure à l’auteur. Autrui est une personne vivante, ce qui exclut le fœtus et la personne déjà décédée.
De fait, le fœtus n’est pas considéré comme autrui car il n’a pas encore la personnalité juridique, laquelle ne commence qu’à la naissance d’un enfant vivant et viable.
A titre d’illustration, c’est 3 193 personnes qui sont décédées sur les routes de la France métropolitaine durant l’année 2024. Parmi ces personnes, 2 019 étaient présumées responsables et 1 174 étaient non présumées responsables [3].
Avant la réforme du 9 juillet 2025, c’est l’article 221-6-1 du Code pénal qui prévoyait selon les circonstances que les accidents mortels causés par les conducteurs seraient qualifiés d’homicide involontaire.
Définition : Un homicide involontaire [4] est le fait de causer la mort d’autrui en l'absence de volonté.
L’homicide routier, de quoi s’agit-il ?
Constitue un homicide routier le fait pour un conducteur d’un véhicule terrestre à moteur de causer la mort d’autrui sans intention de la donner [5].
Qu’est-ce qu’un véhicule terrestre à moteur ?
Disposé à l’article L211-1 du Code des assurances, un véhicule terrestre à moteur est « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée. » Tel est le cas d’une voiture, d’une moto ou encore d’un camion.
Dans quels cas on retient l’homicide routier ?
On retient l’infraction d’homicide routier dès lors que le conducteur a de manière manifestement délibérée violé une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Tel est le cas de conduire sous emprise d’alcool, sous emprise de produits stupéfiants ou substances psychoactives. Ceci s’applique également aux conducteurs utilisant leur téléphone portable, leurs écouteurs au volant ou encore qui conduisent sans permis de conduire.
Comment reconnaître une faute délibérée ?
En droit pénal, la faute est restée pendant longtemps une faute simple. Aujourd’hui il y a plusieurs types de fautes. La faute qualifiée et la faute simple. La faute qualifiée se subdivise entre la faute délibérée et la faute caractérisée.
La faute délibérée consiste en une attitude volontaire, c’est l’hypothèse d’une négligence ou d’une imprudence consciente mais qui est doublée de la volonté d’agir. L’auteur a parfaitement conscience de violer la loi ou le règlement. Est une faute délibérée le fait pour le conducteur ayant consommé de l’alcool de choisir sciemment de prendre le volant malgré son état et de rouler à 120 km/h sur une route limitée à 80 km/h. S’il percute une voiture et cause la mort d’un passager, la qualification d’homicide routier sera retenue puisque sa faute était délibérée.
Concernant la faute caractérisée, elle tient au comportement de l’auteur qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité que ce soit par un acte positif ou par une abstention grave qu’il ne pouvait pas ignorer. Elle désigne une faute dont les éléments sont marqués d’une certaine gravité et qui indique que l’imprudence ou la négligence doit présenter une particulière évidence. C’est une imprudence grave mais non volontaire dans le sens où l’auteur n’a pas la volonté de violer la règle. Par exemple, un automobiliste qui conduit depuis dix heures sans pause malgré sa fatigue manifeste ou qui ignore les signaux d’alerte sur son tableau de bord (freins défaillants) et qui continue sa route, est une faute caractérisée.
Concernant la faute simple, c’est une imprudence, une négligence, un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité. Par exemple, un conducteur oubliant de mettre son clignotant et qui percute un deux-roues qui le dépassait constitue une faute simple en ce qu’il n’a pas voulu violer une règle, il s’agit d’une simple négligence dans la conduite.
Quelle est la peine applicable en cas d’homicide routier ?
L’homicide routier constitue un délit, il est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende [6].
Si l’homicide a été commis en présence d’au moins deux circonstances prévues par le texte, la peine est de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.
Par exemple, le fait d’être sous l’emprise d’alcool et sous l’emprise de produits stupéfiants.
De plus, l’article 221-21-1 du Code pénal prévoit, outre les peines d’emprisonnement et d’amende, que les conducteurs jugés responsables se verront retirer des points sur leur permis ainsi qu’une saisie systématique de leur véhicule.
Quelles différences entre l’homicide routier et l’homicide involontaire ?
Est-ce que l’homicide routier s’applique automatiquement ?
La réponse est non. Ce n’est pas parce que l’on est conducteur et que l’on cause la mort d’autrui que la caractérisation de l’infraction d’homicide routier sera systématiquement retenue.
En réalité, la loi du 9 juillet 2025 n’a pas remplacé l’homicide involontaire causé par un conducteur par l’homicide routier, elle a prévu une sanction spécifique dans des conditions spécifiques.
C’est-à-dire que la caractérisation de l’infraction se fait au cas par cas.
Alors quand s’applique l’homicide routier ?
Comme énoncé précédemment, l’homicide routier ne s’applique qu’en cas de faute délibérée. C’est-à-dire que si la faute est simple ou caractérisée, l’homicide involontaire s’appliquera à la place de l’homicide routier. C’est pourquoi l’article 221-6-1 du Code pénal n’a pas été supprimé. Pour retenir la faute, il faudra établir un lien de causalité certain entre le dommage et la faute, conformément aux dispositions de l’article 121-3 du Code pénal.
A partir de quand la loi s’applique ?
La loi a été publiée au Journal Officiel le 10 juillet 2025. C’est-à-dire que pour toutes infractions commises à partir du 10 juillet 2025, le délit d’homicide routier est susceptible de s’appliquer. Puisque l’infraction d’homicide routier résulte d’une loi nouvelle de fond plus sévère, la loi ne rétroagit pas.
En effet, si l’on compare la peine prévue dans le cas de l’homicide involontaire et celle prévue dans le cas d’un homicide routier, la première est punie de cinq ans d’emprisonnement et l’autre de sept ans d’emprisonnement sans circonstances aggravantes et de dix ans d’emprisonnement si au moins deux circonstances aggravantes sont réunies.
C’est-à-dire que la peine maximale est sensiblement renforcée en cas de caractérisation d’homicide routier.
Définition : La non-rétroactivité de la loi pénale nouvelle signifie que l’on ne peut pas appliquer une loi nouvelle à des faits commis avant l’entrée en vigueur de cette loi.
En l’espèce, ici la loi est nouvelle en ce qu’elle crée une infraction à part entière. Cependant, les faits étaient déjà répréhensibles, puisque l’article 221-6-1 punissait déjà les homicides involontaires commis par des conducteurs de véhicules terrestres à moteur.
Définition : La non-rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus sévère signifie que la loi nouvelle plus sévère ne peut pas s’appliquer à une infraction commise sous l’empire de la loi ancienne (ici c’est l’article 221-6-1 du Code pénal). C’est-à-dire que les faits commis avant, non définitivement jugés restent régis par la loi ancienne.
La création de l’infraction d’homicide routier, une volonté de responsabilisation des conducteurs ?
Une reconnaissance symbolique et juridique à la gravité des faits.
Avant la création de l’infraction d’homicide routier, les décès causés par un conducteur étaient poursuivis sous la qualification d’homicide involontaire, donc une infraction de droit commun.
De nombreuses familles de victimes ont ressenti une injustice, considérant que la qualification d’homicide involontaire ne reflétait pas la gravité circonstanciée du décès causé par des comportements routiers dangereux.
En créant le terme d’homicide routier, le législateur a voulu nommer clairement cette réalité sociale et symboliser la gravité de ces comportements. C’est une reconnaissance du préjudice moral et social particulier subi par les proches.
La volonté ne tient pas tant au fait de durcir la répression que de la rendre plus explicite en enlevant l’adjectif « involontaire » quand l’homicide résulte d’un conducteur qui a agi dans des circonstances particulièrement blâmables [7].
Un renforcement de la responsabilité et de la prévention.
L’autre objectif est évidemment préventif et dissuasif. En érigeant l’homicide routier en infraction distincte avec des peines plus lourdes que celles de l’homicide involontaire, le législateur cherche à responsabiliser les conducteurs et à marquer la gravité des comportements dangereux sur la route. En effet, cette infraction ne modifie pas fondamentalement le fond du droit en ce que les éléments matériels restent proches de l’homicide involontaire, mais marque symboliquement et pénalement la gravité du comportement.
Manon DOUANNES
[1] AP, 29 juin 2001, n° 99-85.973
[2] Notamment l’association victimes et citoyens
[3] Observatoire national interministériel de la sécurité routière, Bilan 2024
[4] art. 221-6 C. pén
[5] art. 221-18 C.pén
[6] Loi n° 2025-622 du 9 juillet 2025
[7] DREYER Emmanuel, Loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence : la démagogie en texte, recueil Dalloz p.1482



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