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Le principe de personnalité de la responsabilité

Cet éclairage a été publié pour la première fois par Juliette SUSSOT, en avril 2023, dans La Revue n°12.


« Tous les délits sont personnels. En crime, il n’y a point de garant. » Loysel


Le principe selon lequel la responsabilité pénale est personnelle c’est-à-dire que nul ne doit être déclaré coupable pour l’infraction commise par autrui n’a été inscrit ni dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 ni dans le Code pénal de 1810. Sans doute, ce principe paraissait trop évident aux yeux des rédacteurs[1]. D’ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi réformant le Code pénal présente le principe comme une évidence qui ne prête pas à discussion[2].


Ce principe a pour corollaire celui de la personnalité des peines. Ce dernier est, quant à lui, acquis depuis longtemps ; précisément, depuis que la vengeance collective a été abolie et que la sanction de l’infraction ne se répercute que sur l’auteur de celle-ci et son patrimoine, non plus sur ses proches et/ou sur son groupe.


Ainsi, il convient d’étudier le contenu du principe de la personnalité de la responsabilité (I) et de souligner qu’il existe des exceptions (II) et tempéraments (III) à ce principe. Par ailleurs, il convient de souligner que le régime de responsabilité en cascade propre au droit de la presse a été traité dans l’étude et qu’il n’est pas à proprement parler une exception au principe de la personnalité de la responsabilité.


I) Le principe de la personnalité de la responsabilité

L’article 121-1 du Code pénal est le siège du principe de la personnalité de la responsabilité pénale. Il dispose : « Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ».


Champ d’application : Il importe peu que l’auteur de l’infraction, personne physique, soit une personne mineure ou une personne majeure. En effet, en droit pénal, l’auteur mineur sera responsable, conformément aux dispositions prescrites par le Code de la Justice Pénale des Mineurs (CJPM). En raison du principe de personnalité de la responsabilité pénale, le responsable légal du mineur auteur d’une infraction ne pourra pas être poursuivi devant le juge répressif. Tel n’est pas le cas en droit civil puisque la faute du mineur qui cause un dommage, peut, à certaines conditions, permettre à la victime d’engager la responsabilité civile extra-contractuelle du mineur mais également celle de son représentant légal. Néanmoins, les fonctions respectives de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale ne doivent pas être confondues. Si la première a pour objet de réparer le dommage causé à autrui, la seconde a essentiellement une fonction punitive.


Une précision doit néanmoins être apportée : la raison d’être de la responsabilité civile du parent du fait de l’enfant mineur se trouve notamment dans l’idée que l’auteur de la faute est insolvable et qu’alors il revient aux représentants légaux de s’acquitter des sommes visant à réparer le préjudice de la victime. Or, cette justification pourrait justement être opposée en droit pénal. Pour autant, cette solution n’a pas été retenue en raison de l’application inconditionnée du principe de la personnalité de la responsabilité pénale. Plus encore, le CJPM[3] prévoit que l’amende infligée au mineur auteur (et non à ses parents) est plafonnée à 7 500€, pour tenir compte de l’insolvabilité ou, à tout le moins, du peu de ressources du mineur. Il s’agit là d’une application du principe de la personnalité des peines, corollaire du principe de la personnalité de la responsabilité.


Valeur du principe : Dans une décision portant sur l’obligation du titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule, de payer l’amende contraventionnelle, le Conseil constitutionnel[4] estime que ce principe, selon lequel « Nul n'est punissable que de son propre fait » découle des articles 8 (principe de légalité) et 9 (présomption d’innocence) de la DDHC. Donc, l’article 121-1 du Code pénal est une règle constitutionnelle qui interdit qu’une déclaration de culpabilité soit rendue à l’encontre d’un prévenu en raison de l’infraction commise par autrui.


Par ailleurs, ce principe est une concrétisation de l’idée que la responsabilité pénale nécessite que le fait infractionnel soit rattachable et reprochable à une personne déterminée c’est-à-dire que l’infraction commise lui soit imputable[5]. Alors, si l’infraction n’est pas imputable au prévenu mais est imputable à un tiers, ledit prévenu ne peut être déclaré coupable. En sus, ce principe a pour principale conséquence l’extinction de l’action publique en raison du décès du délinquant ou du criminel (art. 6 C.proc.pén.).


Ainsi, si le principe de la personnalité de la responsabilité pénale ne souffre d’aucune discussion, il supporte tout de même une exception : la responsabilité pénale des personnes morales.


II) Les exceptions au principe de la personnalité de la responsabilité

S’agissant des personnes morales, l’application du principe de la personnalité de la responsabilité pénale et de la peine est complexifiée en ce qu’elles n’ont pas d’existence matérielle propre. Si la personne morale peut subir une peine pécuniaire car elle dispose d’un patrimoine, elle ne peut pas commettre d’infraction, concrètement. En raison de ce particularisme, l’article 121-2 du Code pénal pose une exception au principe de la personnalité de la responsabilité pénale s’agissant des personnes morales : elles « sont responsables pénalement [...] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Alors, la responsabilité de la personne morale pourra être engagée en raison de l’infraction commise par autrui. En effet, il s’agit d’une véritable exception au principe puisque depuis l’entrée en vigueur de cet article, la Cour de cassation a de nombreuses fois rappelé que les personnes morales ne sont pas responsables en raison d’une faute propre, distincte de celle de leurs organes ou représentants[6]. Elles sont responsables en raison de la faute commise par leurs organes ou représentants.


Alors, l’on pourrait penser que la réforme du Code pénal, entrée en vigueur en 1994, est venue inscrire dans la loi le principe de la personnalité dans l’objectif de lui apporter des exceptions. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel des QPC portant sur l’article 121-2 du Code pénal[7]. Les auteurs de ces questions arguaient qu’il était contraire au principe de la personnalité de la responsabilité pénale ainsi qu’aux principes de légalité et d’égalité devant la loi. La Cour de cassation refuse de transmettre mais reste silencieuse quant au principe de personnalité.


Les trois fausses exceptions : Certaines situations ont laissé penser que la jurisprudence consacrait de nouvelles exceptions au principe de la personnalité de la responsabilité.


D’une part, il y a le cas des chefs d’entreprise responsables en raison de l’infraction commise par leur salarié. La Cour de cassation ne présente plus la responsabilité pénale des commettants en pareil cas comme une exception au principe de la personnalité de la responsabilité pénale[8]. Soit le chef d’entreprise a participé à l’infraction et alors, il en est l’auteur. Soit il n’a pas participé à l’infraction et alors il est responsable en raison de sa faute résidant dans le fait de n’avoir pas organisé son entreprise de manière à ce que des unités assez petites puissent être efficacement surveillées par un salarié qu’il aurait délégué à cet effet. Cette faute justifie sa responsabilité pénale selon la jurisprudence.


D’autre part, il y a le cas de la fusion-absorption. La Cour de cassation a admis que la société absorbante est responsable des infractions commises par la société absorbée, avant l’opération de fusion-acquisition[9]. Cette solution a été rendue au visa de l’article 121-1 du Code pénal. Alors, l’interprétation de cet article, telle que développée par la Cour dans cet arrêt, rend possible la condamnation pénale d’une personne morale pour des faits commis par une autre. Pour autant, il ne s’agit pas d’une exception au principe de la personnalité. En effet, la société absorbée est continuée par la société absorbante, notamment parce que le patrimoine de la première est transmis à la seconde.


Enfin, il y a le cas de la scène unique de violences. Les membres d’un groupe se livrant à la violence, volontairement et simultanément, sont responsables pénalement. Il n’y a pas lieu de préciser la nature des violences commises par chacun des membres[10]. Toutefois, ceux-ci ne sont pas responsables pénalement en raison des violences commises par les autres membres du groupe mais en raison de leur propre comportement (soit la commission de violences, soit la présence au moment de la commission de l’infraction ; comportement qui apporte un soutien aux auteurs de l’infraction ou qui traduit une faute en l’absence d’action pour faire cesser l’infraction). La Cour de cassation a d’ailleurs refusé de transmettre une QPC portant sur cette solution[11].


Ainsi, il n’existe qu’une seule exception au principe de la personnalité de la responsabilité. Néanmoins, ce principe connaît un certain nombre de nuances.


III) Tempéraments au principe de la personnalité de la responsabilité

Ce principe n’interdit pas que certaines conséquences de la déclaration de culpabilité soient supportées par une autre personne que l’auteur de l’infraction. Alors, des personnes non condamnées peuvent être obligées de supporter les conséquences de la condamnation pénale d’autrui, à la condition, néanmoins, que celles-ci soit patrimoniales.


Tel est par exemple le cas, lorsque le débiteur de l’amende infligée en raison de la commission d’une infraction qu’il a commise, décède. Alors, ses héritiers peuvent être obligés de supporter le paiement de l’amende au Trésor public[12], à condition qu’ils acceptent la succession.


Tel est également le cas du propriétaire non condamné mais de mauvaise foi, car connaissant l’origine délictueuse du bien, qui subit la confiscation sanctionnant l’infraction commise par un tiers[13].



Juliette SUSSOT


 

[1] J.-H. ROBERT, Jurisclasseur Pénal Code, Fasc. 20, 23 nov. 2020, §1


[2] ibid.


[3] Art. L.121-6 CJPM : « Il ne peut être prononcé à l'encontre d'un mineur une peine d'amende supérieure à la moitié de la peine encourue ni une peine d'amende excédant 7 500 euros. »


[4] Cons. cons., 16 juin 1999, n°99-411 DC, Sécurité routière, cons. 7


[5] G. BEAUSSONIE, L’infraction, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, Juill. 2021


[6] Cass. Crim., 2 décembre 1997, n°96-85.484 ; Cass. Crim., 26 juin 2001, n°00-83.466 ; Cass. Crim., 30 janvier 2018, n°17-81.595


[7] Cass. Crim., 29 mars 2011, n°11-90.007 ; Crim., 27 avr. 2011, n°11-90.013


[8] Cass. Crim., 11 mars 1993, n°90-84.931, n°91-80.958, n°91-80.598, n°92-80.773, quatre arrêts de principe : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires »


[9] Cass. Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955 V. à ce propos, la revue n°9 publiée sur le site, rubrique “L'arrêt”, p. 66, s’agissant de la responsabilité pénale des personnes morales en cas de fusion-absorption



[11] Cass. Crim., 16 février 2022, n°21-90.043, QPC


[12] Art. 133-1, al. 1 in fine, C.pén.


[13] Art. 131-21, al. 2 et 3, C.pén. Néanmoins, si le propriétaire est de bonne foi, les biens confisqués doivent lui être restitués, quand bien même ils seraient le produit d’un délit. V. Cass. Crim., 7 novembre 2018, n°17-87.424


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