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Le harcèlement, infraction complexe évoluant avec son temps

Cet éclairage a été publié pour la première fois par Anouck GASNOT, en août 2021, dans La Revue n°10.


Depuis la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le Code pénal comporte en sus des infractions spécifiques, une infraction générale de harcèlement moral. Dorénavant, le délit de harcèlement moral n’est donc plus seulement réprimé dans des circonstances particulières.


I) L’infraction spécifique : Le harcèlement moral dans le cadre des relations de travail

La reconnaissance par le législateur du harcèlement moral dans les relations de travail traduit l’évolution des mentalités dans nos sociétés. Grâce à cette initiative, le salarié est protégé en tant qu’être sensible vis-à-vis des comportements anormaux qui poursuivent d’autres objectifs que la bonne exécution du travail[1]. La vulnérabilité du salarié, elle-même générée par la crise de l’emploi, les exigences de rentabilité, les contraintes d’objectifs, la précarité peut être mise à profit par certains employeurs qui franchissent les limites de l’acceptable en portant atteinte à ses droits fondamentaux. Ce franchissement engendre généralement une grande souffrance chez le salarié pouvant le conduire jusqu’au suicide.


En effet, le harcèlement se manifeste sous la forme d’une violence répétitive et durable, insidieuse et sournoise, quasi invisible et froide, d’un dénigrement constant et d’une dévalorisation humiliante.


Cette souffrance est souvent infligée de façon purement gratuite afin de contraindre le salarié à la faute ou à démissionner. Il est constant de distinguer deux grands types de harcèlements moraux dans le cadre des relations professionnelles :

  • Le harcèlement institutionnel participe de pratiques managériales délibérées impliquant la désorganisation du lien social touchant l’ensemble du personnel. C’est le management par le stress, par la peur.

  • Le harcèlement stratégique vise à exclure le personnel qui ne correspondrait plus aux nécessités du service ou se révèlent insuffisamment productif en les poussant à démissionner. Dans un tel cas, l’employeur fait une économie de la procédure de licenciement et de son cortège de garanties légales.


Le harcèlement moral peut d’ailleurs être :

  • Vertical, lorsqu’il émane d’un supérieur hiérarchique ;

  • Horizontal, lorsqu’il s’exerce entre personnels, sans rapport hiérarchique ;


DISTINCTION ENTRE CODE PENAL ET DU CODE DU TRAVAIL – Le harcèlement moral est interdit par le Code du Travail (C. trav., art. L.1152-1) et par le Code pénal (C.pén., art. 222-33-2).


Le Code du travail prévoit dans le cadre du harcèlement moral une sanction d’ordre disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave dans le cas où les faits seraient commis par un salarié. Il prévoit également une sanction pénale prévue à l’article L.1155-2 du même Code lorsque des faits de discriminations sont commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel (un an d’emprisonnement et 3 750 € d’amende).


Dans le Code pénal, le harcèlement moral est puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 €.


ÉLÉMENT LÉGAL - Le Code pénal prévoit à son article 222-33-2 que le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.


CONDITION PRÉALABLE - L’existence d’une relation de travail entre les parties

Le 13 décembre 2016[2], la Chambre criminelle a rappelé que l’incrimination prévue à l’article 222- 33-2 ne pouvait s’appliquer que dans le cadre d’une relation de travail. L’auteur du harcèlement peut donc être toute personne dans l’entreprise, il peut s’agir de l’employeur, d’un supérieur hiérarchique, d’un collègue de travail ou encore d’un subordonné à l’égard d’un supérieur hiérarchique[3].


ÉLÉMENT MATÉRIEL

  • Des propos ou des comportements répétés

Les actes de harcèlement moral peuvent être constitués par des brimades, des humiliations, des menaces, une surveillance excessive, une mise à l’écart du salarié, le non-respect de ses droits etc.


En tout état de cause, un seul agissement ne suffira pas à retenir une situation de harcèlement moral, la répétition des agissements étant une condition déterminante[4]. Par ailleurs, la jurisprudence n’a pas entendu imposer de période de temps durant lesquelles les agissements auraient été exercés.


  • Ceux-ci doivent avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon la Cour de cassation, « la simple possibilité d’une telle dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral[5] ». Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’une altération de la santé physique ou mentale de la victime pour poursuivre le harceleur. L’emploi du terme « susceptible » permet de déduire que le harcèlement est en réalité un délit formel. En conséquence, une simple potentialité du dommage suffit à caractériser l’élément matériel du harcèlement moral, sans qu’il soit nécessaire que ce dommage se soit réellement produit.


Ainsi, le harcèlement moral est un délit formel, qui n’intègre pas le résultat dans ses composantes, à la différence des violences volontaires. Tel que l’avait rappelé Yves Mayaud, il ne sanctionne que le comportement consistant à dégrader les conditions de travail, sans intégrer dans sa matérialité, l’effectivité de l’atteinte à la dignité humaine ou à l’intégrité des personnes[6].


Le préjudice éventuel consécutif à cette dégradation des conditions de travail peut être de trois sortes :

  • L’atteinte aux droits et à la dignité de la victime – Au regard de la jurisprudence, les atteintes à la dignité sont souvent liées aux conditions de travail et peuvent se manifester par une mise au placard, des brimades, des mesures vexatoires et des humiliations[7].

  • L’altération de la santé physique ou mentale de la victime - L’altération physique se traduit par une extériorisation, telle qu’une prise de poids conséquente ou encore une maladie en réaction au stress, alors que l’altération mentale sera la conséquence d’un processus de déstabilisation psychologique mis en place par le harceleur. À ce titre, et selon la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la « santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »[8]. Ainsi, la santé mentale est un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux.

Le fait de critiquer de façon humiliante et régulière un salarié, de l’insulter quotidiennement et de lui imposer des tâches sans rapport avec son contrat de travail sont des agissements relevant du harcèlement moral.

  • La compromission de l’avenir professionnel – À titre illustratif, est constitutif d’un harcèlement moral le fait de sanctionner subitement, sans véritable raison, un salarié présent depuis une longue date en entreprise, alors que son travail est sans reproche ou encore de divulguer des informations personnelles relatives à la santé d’un salarié, ainsi que de diminuer les responsabilités et de le déclasser, sans raison apparente[9].

La jurisprudence a considéré qu’il y avait harcèlement moral lorsque l’employeur a procédé de façon répétée à des brimades à l’encontre d’un délégué syndical (tâches dévalorisantes, ne correspondant pas à sa qualification, retenues sur salaires injustifiées) et lorsque ce comportement a empêché l’intéressé d’exercer pleinement ses fonctions de chef d’équipe, l’a discrédité et l’a placé dans une situation financière difficile à tel point que sa santé mentale s’en est trouvée altérée et qu’il a été contraint, à la suite des faits, d’interrompre son activité[10].


ELÉMENT MORAL


En visant les agissements qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, la loi semble ne pas faire de l’intention malveillante du harceleur un élément indispensable de la définition du harcèlement moral. Ce dernier paraît pouvoir être caractérisé par les seuls effets des agissements répétés d’un individu, peu important qu’il n’ait eu aucune intention de harceler la victime. La Cour européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs jugé que le harcèlement moral est constitué indépendamment de la volonté de son auteur[11].


Cette considération est en effet surprenante eu égard à l’article 121-3 du Code pénal qui suppose qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.


Pour autant, la rédaction de l’incrimination semble imposer d’établir une distinction entre deux situations :

Dans une première hypothèse, le harceleur a adopté un comportement ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de la victime. Le but était ainsi recherché. Dans un tel cas, l’intention coupable se raffermit pour se doubler d’un dol spécial plus problématique pour la victime car il lui faut démontrer que les agissements répétés étaient animés d’une intention tendue vers un but particulier, celle de dégrader ses conditions de travail. Cette exigence supplémentaire en termes de culpabilité vise logiquement à compenser une matérialité qui est ici simplement formelle et à justifier une condamnation pénale pour des faits qui se situent plus en amont de l’iter criminis[12].


Dans une seconde hypothèse, le harceleur a adopté un comportement ayant pour effet de dégrader les conditions de travail de la victime, ce qui signifie que celles-ci ont été effectivement dégradées. Le dol se réduit alors à sa plus simple composante, et il suffit d’établir que l’agent a eu la conscience et la volonté de violer la loi pénale.


II) L’infraction spécifique : Le harcèlement moral au sein du couple

La loi du 9 juillet 2010[13] a créé l’article 222-33-2-1 du Code pénal qui définit le harcèlement moral au sein du couple comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements ou propos répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».


Conformément à l’article précité, les peines encourues pour ce délit sont :

  • Trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à 8 jours ou n’ont entraîné aucune ITT ;

  • Cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsqu’ils ont causé une ITT supérieure à 8 jours ou ont été commis alors qu’un mineur était présent et y a assisté ;

  • Dix ans et 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Le harcèlement moral ne peut être commis qu’à l’encontre d’une personne particulière. En conséquence, la qualité de la victime est la condition préalable de ce délit (conjoint, ex-conjoint, concubin, ex-concubin, partenaire lié par un PACS, ex-partenaire).


Il sera également nécessaire de prouver, lorsque les agissements répétés auront eu pour objet une dégradation des conditions de vie de la victime, de caractériser un résultat effectif, à savoir, une altération de la santé physique ou mentale de cette dernière. Dans une telle hypothèse, il s’agit d’un délit matériel et non plus formel.


III) L’infraction générale : Le harcèlement de vie quotidienne

La loi du 4 août 2014[14] a introduit dans le Code pénal un délit général de harcèlement moral à l’article 222-33-2-2. Il s’agit d’incriminer « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».


Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entrainé aucune incapacité de travail. En revanche, la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende lorsque les faits de harcèlement moral ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ou ont été commis sur un mineur de quinze ans ou une personne vulnérable, ou encore lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.


Cette nouvelle incrimination permet de réprimer le harcèlement moral sans tenir compte du contexte dans lequel il se manifeste. Le législateur a donc pris conscience qu’il existe des situations diverses et variées, autres que les relations de travail ou de couple dans lesquelles la fragilité de la personne est mise à l’épreuve. Le harceleur n’a donc plus besoin d’appartenir au cercle professionnel ou intime de sa victime pour être poursuivi[15].


Par ailleurs, depuis la loi du 3 août 2018, l’exigence de répétition des propos ou comportements peut être le fait de plusieurs personnes. Dès lors, le délit est désormais également constitué :

  • lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elle, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée.

  • lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

Cette extension de la notion de « répétition » a principalement pour objet de réprimer les faits de « cyber-harcèlement » qui sont fréquemment commis par plusieurs personnes dont aucune n’a cependant agi de façon répétée, et que l’on peut alors qualifier de « raid numérique ». Ainsi, nul besoin d’entrer physiquement en contact avec sa victime pour la tourmenter.


Les éléments constitutifs de cette incrimination générale sont similaires à celles précédemment invoquées, de nature spéciale.


En effet, la matérialité de ce délit suppose de caractériser l’existence de propos ou de comportement répétés qui ont pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de vie de la victime se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale.


Lorsque les propos ou agissements auront pour objet une dégradation des conditions de vie de la victime, le résultat devra également être caractérisé. Ainsi, ce délit est tantôt une infraction formelle, tantôt une infraction matérielle.



Anouck GASNOT


 

[1] Le concept du harcèlement moral dans le code pénal et le code du travail, Evelyne Monteiro, Maître de conférences à l’Université du Littoral-Côte d’Opale, RSC 2003 p.277


[2] Cass., Crim., 13 décembre 2016 n°16-81.253


[3] Cass. Crim., 6 décembre 2011 n°10-82.266


[4] Cass., Soc., 15 avril 2008 n°07-40.290


[5] Cass., 14 janvier 2014


[6] « Retour sur les éléments constitutifs du harcèlement moral », Crim., 6 décembre 2011, n°10-82.266, 13 janvier 2012, Dalloz Étudiant, Y.D / Note de Yves Mayaud sur Crim., 4 mars 2003, n°02-82.194, RSC 2003. 561


[7] Un salarié qui adresse à une salariée des photos ou des messages à caractère sexuel, ayant pour conséquence de porter atteinte à sa dignité est constitutif d’un harcèlement moral (Cass., Crim., 25 avril 2017 n°15-86.849)


[8] Extrait de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé (préambule)


[9] Cass., Soc., 15 mars 2011 n°09-72.541


[10] Cass., Crim., 6 février 2007 n°06-82.601


[11] CEDH, arrêt HSBC contre France du 10 novembre 2009


[12] « Harcèlement », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Patrick MISTRETTA, Mai 2019, Actualisation Décembre 2020, Dalloz Avocats


[13] Loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000022454036#LEGIARTI000022455664


[14] Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000029333374/


[15] « Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014 ? » Delphine Chauvet, Docteur en droit, Membre du Centre d’études et de recherches en droit de l’immatériel, Recueil Dalloz 2015 p.174


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