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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Le droit pénal et la famille : des crimes intrafamiliaux

Dernière mise à jour : 2 déc. 2023

Le droit pénal parvient il à protéger la famille ?




« Ils venaient arracher une femme réfugiée sur le toit d'une maison en flammes aux griffes d'un homme armé et violent. »[1] Dans la nuit du 22 au 23 décembre 2020, trois gendarmes sont morts et un quatrième blessé, alors qu’ils intervenaient pour des violences intrafamiliales, et plus précisément des violences conjugales. Dix-huit gendarmes sont décédés en 2020 alors qu’ils étaient en service.


Ce contexte de violences intrafamiliales n’est malheureusement pas isolé, 198 personnes sont mortes en 2019 en raison de violences intrafamiliales(146 femmes tuées par leur (ex) partenaire, 27 hommes tués par leur (ex) partenaire et, 25 enfants mineurs tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple)[2].


Dans l’arsenal juridique et judiciaire, ont été mis en place un certain nombre de procédures. C’est notamment le cas de l’ordonnance de protection des articles 515-10 et suivants du code civil[3], dont l’objectif est de contraindre le juge aux affaires familiales à prendre l’ordonnance dans un délai bref (6 jours selon l’article 515-11 du même code) afin de protéger au plus vite les victimes de violences, et il a compétence dans l’attente de l’audience pour interdire l’auteur des violences de voir certaines personnes ou d’entrer en relation avec celles-ci (ici la victime pourra être clairement protégée), de lui interdire de se rendre dans certains lieux, lui interdire de porter une arme, lui enjoindre « une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique » … Certains parquetiers, tels que l’ancien magistrat Luc Fremiot, avaient en leur temps, mené des expérimentations visant à protéger les victimes de ces violences[4] (cet ancien magistrat avait notamment mis en place d’un téléphone d’urgence dont le système a ensuite été généralisé)[5].


En France, la lutte contre les violences physiques ou sexuelles commises au sein de la famille se traduit par la mise en place d’un arsenal répressif, permettant (ou ayant pour objectif) de les sanctionner. En effet, la famille pourrait être une valeur défendue par le droit pénal, en ce sens que la société protégerait la famille et les personnes composant le foyer familial se trouvant en situation de danger dans leur foyer.


Au travers des incriminations, le droit pénal protège-t-il la famille ?

En droit pénal français, les violences intrafamiliales sont appréhendées et réprimées par le législateur comme une aggravation de la peine encourue. On parle de circonstances aggravantes bien que ce choix ait fait l’objet de nombreux débats et n’ait pas convaincu la doctrine pénaliste.


Infraction autonome. Dans 91% des cas, les agressions sexuelles ont été perpétrées par une personne connue de la victime[6]. C’est le cas de l’inceste qui, depuis la loi du 12 décembre 2005[7], reçoit une définition par le droit pénal. L’article 222-31-1 du code pénal dispose que « les viols et agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par : 1° un ascendant, 2° un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, 3° le conjoint, le concubin [ou partenaire d’un PACS] d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ». L’introduction de cette définition de l’inceste dans le code pénal n’a pas modifié la répression de ces faits. Ils restent réprimés par les circonstances aggravantes des infractions, comme la commission des infractions sexuelles sur mineur de 15 ans, par un ascendant ou par le conjoint, concubin ou partenaire de la victime[8]. En terme répressif, l’instauration d’une telle définition se trouve donc être inutile, « son intégration dans le code pénal n'ayant eu d'autre but que d'améliorer la détection et la prise en charge des victimes notamment par une question spécifique posée à la cour d'assises[9]. […] Il convient de rappeler que la loi n'a jamais négligé les liens familiaux entre les auteurs et les victimes d'agressions ou d'atteintes sexuelles, qu'elle les ait érigés en circonstances aggravantes ou en données constitutives, ce qui rendait sans objet la nouvelle qualification, sauf à la rechercher à d'autres fins, en rapport étroit avec les victimes ou les retombées civiles des condamnations prononcées. »[10] Ce que par ailleurs confirme la Cour de cassation, la chambre criminelle jugeant que « ne saurait se faire un grief d'avoir été condamné pour viols aggravés et agressions sexuelles à caractère incestueux, dès lors que l'article 222-31-1 du code pénal, introduit par la loi du 14 mars 2016, n'a aggravé ni la définition de l'infraction, ni les peines encourues, et que la cour d'assises a posé la question spécifique d’ inceste en application des dispositions de l'article 356, alinéa 2, du code de procédure pénale »[11]. Le droit pénal définit et réprime (indirectement) donc l’inceste.


L’aggravation de la sanction de faits autonome. Le droit pénal, ensuite, prend en compte des faits qui reçoivent traditionnellement une définition autonome, mais les réprime en aggravant les incriminations. C’est le cas de l’infanticide et du parricide. S’agissant de l’infanticide, c’est-à-dire un homicide sur un enfant, juridiquement il n’y a pas de définition dans le code pénal, la répression de ces agissements passe par l’aggravation de la peine encourue[12]. Leur nombre réel « parait s’établir autour de 250 par an, soit cinq fois plus que dans les statistiques officielles.

Le récit d’un infanticide évoque souvent la chronique d’une mort annoncée, longtemps à l’avance[…].

Avant de mourir, ils ont été victimes de maltraitances, et notamment le syndrome du bébé secoué]. Souvent, les enfants sont nés prématurés ou atteints d’une pathologie et ont dû être hospitalisés à la naissance. La séparation néonatale a alors empêché le lien d’attachement de se nouer entre les parents et le nourrisson. Souvent aussi, la mère a dissimulé sa grossesse à sa famille et à ses amis. […] L’infanticide se rencontre dans toutes les classes sociales. Les facteurs explicatifs sont donc moins socioéconomiques que psychoaffectifs. »[13] Quant au parricide, moins expliqué, il est réprimé par l’article 221-4 2° du code pénal et est donc puni de réclusion criminelle à perpétuité comme l’infanticide. La chambre criminelle[14] a précisé que pour que l’infraction de parricide soit constituée, l’agent doit avoir l’intention de tuer une personne qu’il savait être son ascendant, en revanche, s’agissant des complices même s’ils ignoraient le lien familial la circonstance aggravante leur est applicable.


La question familiale est surtout prise en compte par le droit pénal au regard des circonstances aggravantes, notamment et surtout dans le cadre des atteintes à l’intégrité physique des personnes. En effet, en ce qui concerne les infractions de violences, les circonstances aggravantes de commission sur un mineur de 15 ans, sur un ascendant, par conjoint, concubin ou partenaire, et pour certaines incriminations la circonstance aggravante de commission de l’infraction sur un mineur de 15 ans par ascendant, permettent de sanctionner les comportements violents au sein d’un foyer familial. Surtout pour la dernière circonstance aggravante puisqu’elle sanctionne le comportement violent d’un parent sur un enfant mineur. En effet la loi du 3 août 2018 a créé aux articles 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du Code pénal cette circonstance aggravante sanctionnant spécifiquement les violences d’un parent dans la cellule familiale, peu important le résultat, toutes les infractions de violences sont donc concernées. Elles sont également toutes concernées par la circonstance aggravante de commission des violences par un conjoint, concubin ou partenaire (aux mêmes articles 6°).

Précisons que, lundi 15 mars 2021 les députés ont adopté la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Elle consiste notamment, à instaurer un seuil de non-consentement à 15 ans ou en la suppression du critère d’âge pour le viol incestueux. Le texte est désormais renvoyé au Sénat pour une seconde lecture[15].


La procédure pénale ne reste pas muette en la matière. En effet, les articles D32-29 et D32-30 du code de procédure pénale disposent du contrôle judiciaire et de l’assignation à résidence applicables en cas de violences conjugales instaurés par le décret du 1er avril 2010 n°2010-355. Les interdictions dans ce cadre peuvent être complétées par l’interdiction de rencontrer ou d’entrer en contact avec la victime, l’obligation de résider hors du domicile conjugal, s’abstenir de paraître dans ce domicile ou abords de celui-ci. Et, la victime peut se voir attribuer un dispositif de téléprotection permettant d’alerter les forces de l’ordre en cas de violation des obligations ou interdiction. De plus, « le ministère de la Justice et le ministère des droits des femmes ont décidé en avril 2013 de généraliser le dispositif téléphone grave dangerafin de développer sur le territoire français une réponse harmonisée aux violences conjugales. La loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes l’a consacré dans un nouvel article 41-3-1 du code de procédure pénale »[16].


Il est donc indéniable que le droit pénal et la procédure pénale sanctionnent les faits commis au sein de la cellule familiale, la problématique de ces infractions est aussi le silence dans lequel s’enferment les victimes.

La plupart des violences ne donnent lieu à aucune plainte (seules 28% des victimes se sont déplacées à la police et à la gendarmerie […]).

" Plus l’agresseur est proche de la victime, moins elle dépose plainte ; les raisons souvent évoquées sont le désir de trouver une autre solution, le sentiment que cela n’aurait servi à rien, la volonté de ne pas s’infliger une épreuve supplémentaire. »[17]


Tout l’enjeu est donc de libérer davantage la parole des victimes et une prise en charge améliorée par les services de l’État, c’est notamment le travail de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains qui s'est également vu confier la fonction d'observatoire national des violences faites aux femmes, dont il a défini les actions[18].


Enfin, les infractions intrafamiliales sont l’œuvre de personnes ayant une autorité et protéger les enfants de ces faits est un enjeu.

Par ailleurs l’article 19 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 dispose que chaque enfant a le droit d'être protégé contre toute forme de violence physique ou mentale.

Le droit pénal protège les mineurs notamment par les incriminations d’abandon de l’enfant (article 227-12 du code pénal), du délaissement de mineur (article 227-1 du code pénal), la privation de soin (article 227-15 du même code), la corruption de mineur (article 227-22 dudit code) ou encore les infractions de provocation (provocation à l’usage de stupéfiants, à consommer de l’alcool, à commettre des infractions)[19]



Thomas HERMAND


 

[1] https://www.leparisien.fr/faits-divers/drame-de-saint-just-trois-gendarmes-tues-en-secourant-une-femme-battue-23-12-2020-8415861.php

[2] « Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2019 », ministère de l’Intérieur, Délégation aux victimes.

[3] Modifié par la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

[5] Voir aussi : A. Jeanson-Souchon, le déploiement des premiers bracelets anti-rapprochement, Le revue – les pénalistes en herbe, n°8, p.5.

[7] La définition de l’inceste dans le code pénal a fait l’objet de vifs débats, créées par la loi du 12 décembre 2005 (n°2005-1549), remplacée par la loi du 8 février 2010 n°2010-121), abrogé par la décision QPC du conseil constitutionnel du 16 septembre 2011, rétabli par la loi du 14 mars 2016 (n°2016-297), modifiée par la loi du 2 août 2018 (n°2018-703).

[8] Article 222-24 2°,4° et 11° dans ce cas le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle, article 222-28 les agressions sexuelles sont alors punies de 7 ans d’emprisonnement.

[9] Article 356 alinéa 2 du code de procédure pénale.

[10] Retour sur l'inceste, ou de l'inutilité « pénale » de la qualification, Yves Mayaud, RSC 2020. 78.

[11] Confirmé par l’arrêt de la chambre criminelle du 27 nov. 2019, n° 18-85.852.

[12] Le meurtre sur mineur de 15 ans est réprimé par l’article 221-4 1° du code pénal, puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

[13] P. Morvan, criminologie, 3ème édition Lexis Nexis, p 248 – A. Tursz, Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France, seuil, 2010.

[14] Cass. Crim. 11 mai 1866 et 19 décembre 1989.

[16] http://www.justice.gouv.fr/aide-aux-victimes-10044/le-dispositif-telephone-grave-danger-tgd-30752.html , l’article 41-3-1 du code de procédure pénale disposant que « En cas de grave danger menaçant une personne victime de violences de la part de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, le procureur de la République peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d'alerter les autorités publiques. L'attribution peut être sollicitée par tout moyen. Avec l'accord de la victime, ce dispositif peut, le cas échéant, permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l'alerte. » Voir également, Protection des femmes et droit pénal, la Revue – les pénalistes en herbe, n°8, p25.

[17] P. Morvan, criminologie, 3ème édition Lexis Nexis, p 329

[19] Voir aussi dans le domaine éducatif, A. Fautré-Robin et E. Raschel, Lutte contre les violences éducatives ordinaires : réfomer le code civil pour influencer le juge pénal ?, RD 11 juillet 2019, n°25, p.1402.

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1 Comment


mayhilde.legal
Jul 07, 2021

L’inefficacité de la justice française n’est plus à démontré : affaire Valerie Bacot, la petite Marina Sabatier (la France a même été condamnée), mort du petit Kenzo, le cas a Poitiers oú malgré les violence et les viols commis par le père sur sa fille ce dernier n’a écopé de 30 mois de prison ferme (avec le jeu des remise de peine va sera encore moins) … Enoncer des textes de loi et tout l’armada juridique l’accompagnant c’est bien mais faut il encore qu’il soit utilisé et bien. 30 mois c’est quoi ? Rien. Je présume que ces juges n’ont aucune idée de se que c’est, le viol ! Une vie gâchée. On ne parle même pas des plaintes …

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