Valéry Giscard d'Estaing
Cet éclairage a été publié pour la première fois par Adélie JEANSON-SOUCHON, en février 2021, dans La Revue n°9.
Pour clôturer notre étude sur les droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté, il nous semblait intéressant de porter attention à la prison, car la privation de liberté y est prolongée et qu’on peut y porter atteinte à un plus grand nombre de droits fondamentaux. Pour étudier cette question, il est possible de partir de la citation suivante : « La prison, c'est la privation de la liberté d'aller et venir, et rien d'autre ». Cette phrase a été prononcée par le Président de la République Valéry Giscard d'Estaing lors d’une conférence de presse faisant suite à un déplacement à la prison de Saint-Paul à Lyon, en 1974. Ce déplacement témoigne de sa préoccupation pour le milieu carcéral et de ses inspirations libérales.
Interprétations de la citation. Cette phrase de communication politique peut être entendue de plusieurs manières.
Dans un premier sens, elle insiste sur la mission première de la prison : priver les individus de leur liberté. Ce faisant, elle insiste sur le rôle de répression de la prison, la privation de la liberté d’aller et de venir étant une sanction, conséquence d’une infraction commise par la personne incarcérée. Cela va dans le sens d’une des fonctions de la peine : « neutraliser » le délinquant. Dans ce premier sens, elle met en lumière la fonction première de la prison : assurer la continuité de la privation de la liberté d’aller et de venir en maintenant la sécurité au sein des établissements pénitentiaires et en luttant contre l’évasion.
Dans un second sens, cette citation insiste sur le fait que la prison ne doit être « rien d’autre » que la privation de liberté. Cela signifie que, même détenues, les personnes incarcérées doivent pouvoir bénéficier de leurs autres droits fondamentaux. Ce maintien des autres droits fondamentaux se justifie pour plusieurs raisons, et notamment parce que la sanction est suffisamment lourde pour que les détenus ne soient pas privés de leurs autres droits. Mais surtout, elle se comprend pour des raisons de cohésion sociale : en effet, nier à des personnes leurs droits fondamentaux reviendrait presque à ne plus les traiter comme des personnes humaines, ou a minima, ne pas les considérer comme des citoyens et donc de les sortir d’une certaine manière de la communauté nationale. Or, l’un des objectifs que tente de se fixer la prison – même s’il peut être pour l’instant parfois difficile à atteindre[1] – est la réinsertion : à sa sortie de détention, un détenu doit retrouver sa place dans la société pour revenir dans le droit chemin et ne pas retomber dans la spirale de la délinquance.
Ces exigences de réinsertion et d’humanisation des détenus[2] et celles de la citoyenneté ont conduit à une prise de conscience accrue de la nécessité d’assurer aux détenus un maximum de leurs droits fondamentaux. C’est ainsi qu’en prison, le plus de mesures possible sont prises pour permettre aux détenus de bénéficier d’un maintien de leurs droits fondamentaux. Il ne faut pas oublier que la population détenue est une population souvent – pas exclusivement – fragile et socialement précaire et que dans le domaine social, éducatif, sanitaire, ou culturel par exemple, les détenus ne bénéficient souvent que d’un faible capital de départ que la prison s’efforce de renforcer. La prison doit donc développer une « surprestation » pour essayer d’amener les détenus au même niveau social que la moyenne du reste des citoyens. Cela se traduit notamment par des efforts importants en matière d’éducation pour augmenter l’alphabétisation des détenus, mais aussi en matière sanitaire (voir la partie de notre étude consacrée à la santé des personnes privées de liberté, page 32). Pour ce faire, progressivement, des partenariats se mettent en place et des structures extérieures entrent en prison. En 1994, le dernier partenariat majeur se noue : il s’agit de la gestion par le service public hospitalier, de la santé des personnes détenues.
Exemples de l’exercice de droits fondamentaux en prison. Si la dignité (voir page 27) et la santé (voir page 32), ont déjà été traitées dans l’étude à raison de leur transversalité avec la garde à vue, ce sont loin d’être les seuls droits fondamentaux qui peuvent être exercés par les personnes incarcérées. Sans vocation à l’exhaustivité, on peut aborder différents droits fondamentaux qui peuvent s’exercer en prison.
Par exemple, le droit à l’éducation est un droit particulièrement important en ce qu’il participe à la resocialisation du détenu à sa sortie d’établissement pénitentiaire. La situation des mineurs détenus étant particulière, elle ne sera pas envisagée ici. Mais même pour les adultes, des cours, notamment de langue française peuvent être proposés en prison. Cela leur permet de développer les bases de la lecture et de l’écriture, éléments fondamentaux pour faciliter leur réinsertion professionnelle et sociale.
Dans la même idée, des formations sont régulièrement organisées en prison. Même si certains déplorent des activités professionnelles reproduisant des stéréotypes de genre[3] ainsi que les stéréotypes sociaux (les formations étant souvent peu qualifiantes), ces initiatives sont particulièrement appréciables, en ce qu’elles participent également à la resocialisation des personnes détenues. Cet apprentissage professionnel peut se faire au sein même de la prison, par exemple dans des ateliers à l’intérieur de l’établissement, ou à l’extérieur, par groupes de détenus, surveillés par les surveillants pénitentiaires. La difficulté est que cette possibilité d’accès à la formation, est inégale selon les établissements puisqu’elle dépend des partenariats noués avec l’extérieur. De plus, l’offre est parfois insuffisante par rapport à la demande des détenus.
Concernant le travail en prison, on peut signaler rapidement que celui-ci est possible mais pas sous le régime du contrat de travail à l’heure actuelle[4]. Cela signifie que les détenus ne bénéficient pas pour l’instant de la même protection que des salariés classiques, notamment en terme de cotisations sociales mais aussi s’agissant des salaires[5]. Dans le même ordre d’idée, le Conseil d’Etat a récemment précisé qu’il n’existait pas de droit aux congés payés pour les détenus qui travaillent[6].
Les détenus ont aussi le droit de maintenir des liens avec leurs proches. Cette règle ressort de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[7]. Cette possibilité de continuer une vie familiale se retrouve dans le droit d’avoir accès à des parloirs (certains bénéficiant d’ailleurs de structures spécialement aménagées pour recevoir de jeunes enfants), ou au droit de correspondre avec ses proches. Elle donne aussi lieu aux extractions pour motif familial, c’est-à-dire à la possibilité de sortir de prison, accompagné d’une escorte de l’administration pénitentiaire à l’occasion par exemple d’un enterrement ou d’une naissance. Certains établissements pénitentiaires bénéficient aussi d’unité de vie familiale (UVF). Il s’agit généralement d’un studio dans lequel une personne détenue peut recevoir un ou plusieurs membres de sa famille proche, pendant quelques heures ou quelques jours, sans surveillance directe du personnel pénitentiaire. Si ce dispositif est salué, il demeure toutefois absent dans de nombreux établissements, et quand il existe, il ne peut pas toujours absorber la demande particulièrement importante des détenus.
Parce que les détenus restent des citoyens, le droit de vote leur est en principe garanti à moins que la décision de condamnation en ait décidé autrement (ce qui est peu fréquent). Ainsi, les détenus ont trois possibilités pour voter : la permission de sortir, le vote par procuration, et le vote en prison. Concernant les permissions de sortir, la difficulté est que tous les détenus n’y sont pas éligibles, et qu’elle peut être refusée tardivement, empêchant ainsi d’établir une procuration. Pour le vote par procuration, encore faut-il trouver quelqu’un qui puisse voter à la place du détenu et soit donc inscrit dans la même commune. S’agissant du vote en prison, un système de vote par correspondance a été mis en place pour les élections européennes en mai 2019 mais le système n’a pas été reproduit pour les élections municipales suivantes car « Le Gouvernement estime ne pas être en mesure de gérer le processus dans un cadre où sept jours seulement séparent les deux tours, le délai serait trop court pour acheminer dans les temps la propagande électorale et les bulletins. Surtout, il n’entend pas encourager la participation des détenus à la vie politique de la commune du lieu d’implantation de la prison. Ce serait susceptible d’entraîner ‘’un déséquilibre électoral’’ si ‘’le nombre de personnes détenues votantes est significatif par rapport au corps électoral de la commune’’ avance la Chancellerie », peut-on lire sur le site de l’Observatoire international des prisons[8]. L’administration pénitentiaire a annoncé des mesures « dès 2021 ». Les détenus devraient pouvoir confier des procurations à des citoyens votants dans une commune autre que la leur. À leur arrivée en prison, ils devraient aussi se voir inscrits « systématiquement » sur une liste électorale[9].
On pourrait aussi citer bien d’autres droits, comme par exemple le droit à la liberté religieuse et à la liberté de culte, qui font l’objet d’un traitement particulier en prison. Si des représentants des principales communautés religieuses peuvent intervenir en prison pour accompagner les détenus, les pratiques religieuses des détenus sont surveillées, notamment pour éviter les risques de radicalisation en prison.
Limitations à l’exercice des droits fondamentaux en prison. Ainsi, les détenus doivent en principe bénéficier de tous leurs droits fondamentaux en prison, à l’exclusion de la liberté d’aller et de venir. Toutefois, on comprend que ces droits puissent faire l’objet d’aménagements pour que leur exercice soit concilié avec les impératifs sécuritaires inhérents aux prisons (par exemple la lecture de la correspondance de détenus peut être justifiée par des impératifs de sécurité, ou par des impératifs liés au bon déroulement de l’enquête, lorsque les détenus ne sont pas encore définitivement jugés). Cependant, c’est souvent davantage le manque de moyens, d’infrastructures ou de personnel qui sont la cause de la réduction de l’exercice de leurs droits fondamentaux par les détenus. Comme souvent en matière pénitentiaire, la situation varie beaucoup selon les établissements en France, mais surtout selon le type d’établissement. Ainsi, les maisons d’arrêt sont souvent moins bien dotées que les établissements pour peine en terme d’activité (ce qui est assez logique puisque les séjours sont plus longs dans ces derniers). De plus, en raison de la surpopulation carcérale, les activités font souvent l’objet de listes d’attente, parfois très longues, de telle sorte qu’en maison d’arrêt notamment, les détenus peuvent déjà être sortis avant qu’une place se libère.
Il est évident que la pandémie de la Covid-19 a largement nui aux droits fondamentaux en prison : entre la suspension de la plupart des activités culturelles et professionnelles, la réduction de la fréquence des parloirs et l’installation vitres en plexiglas dans ces derniers ou encore l’interruption dans certains établissements de la distribution de vêtements de rechange pour les détenus[10], la crise sanitaire a encore complexifié l’exercice des droits fondamentaux en prison et isole davantage les détenus.
Adélie JEANSON-SOUCHON
[1] Voir l’article Prévenir le crime : réalité ou utopie ?, Pauline Rossi, Les pénalistes en herbe, 18 novembre 2019 : https://www.lespenalistesenherbe.com/post/pr%C3%A9venir-le-crime-r%C3%A9alit%C3%A9-ouutopie
[2] Cette volonté d’humanisation s’est notamment traduite pour le président Valéry Giscard d'Estaing par le fait de serrer la main d’un détenu, lors de la visite de la prison.
[3] Par exemple, Sabine Chéné, psychologue, soulevait lors d’une conférence sur les femmes en prison, organisées par les associations Taulérance et Sexprimons-Nous le 24 février 2021, qu’à la maison d’arrêt d’Agen, le seul travail proposé aux femmes était celui d’auxiliaire ménage ou auxiliaire pour la distribution des repas.
[4] Dimanche 7 mars 2021 sur M6, l’actuel Garde des Sceaux, ministre de la justice a annoncé la création d’un contrat de travail, applicable aux détenus, les choses pourraient donc changer à relativement brève échéance.
[5] Ainsi, le salaire minimal est fixé à 1,62 € par heure de travail. Source : https://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F14153#:~:text=Le%20code%20du%20travail%20et,1%2C62%20%E2%82% AC%20par%20heure.
[6] Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 30/11/2020, 431775, Inédit au recueil Lebon
[7] L’article 8 prévoit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) » avant de prévoir que « Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
[10] Journal RLT de 7h30 du 16 février 2021 : Dans certaines prisons les détenus ont été privés de linge car les dépôts effectués par les familles étaient suspendus (notamment dans les prisons de Fresnes, Lannemezan et Tarascon). Jérome Gavaudan, avocat à Marseille et président du conseil national des barreaux explique que "Les détenus arrivés l'été n’ont pas forcément de vêtements chauds, ça peut perturber leur promenade. Pour les nouveaux arrivants, c’est aussi gênant de conserver les mêmes vêtements lorsqu'on sort d’une période de garde à vue, c’est même dégradant". Dans la majorité des prisons, des solutions avaient pu être trouvées au travers d’une mise en quarantaine des vêtements apportés par les familles.
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