Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Gladys KONATE, en juin 2019, dans La Revue n°5.
Conseil Constitutionnel, 4 avril 2019 (n°2019-780 DC)
Le 4 avril 2019, le Conseil Constitutionnel, qui avait été saisi par 60 députés et 60 sénateurs, a censuré partiellement la loi dite « anti casseurs », adoptée définitivement par le Sénat le 12 mars 2019. Quatre articles[1] de la fameuse loi adoptée en réaction aux gilets jaunes étaient contestés. Sur ces quatre articles, seul l’article 3 de la loi a été frappé d’inconstitutionnalité. L’article 3 de la loi, censuré par le Conseil Constitutionnel, portait sur l’interdiction administrative de manifester. En effet d’après cet article, le préfet[2] pouvait prononcer une interdiction individuelle de manifester portant sur une manifestation déterminée ou sur toute manifestation sur le territoire français pour une certaine durée.
Le Conseil Constitutionnel a estimé que la « latitude » donnée aux autorités administratives était « excessive ». En effet, une telle interdiction aurait pu en réalité frapper une personne se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment puisqu’elle s’appliquait à toute personne constituant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public en raison d’« actes violents » ou « d’agissements » commis à l’occasion de manifestations sur la voie publique au cours desquelles ont eu lieu « des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi [que] des dommages importants aux biens ». Dès lors, le législateur n’avait pas imposé un lien entre le comportement de la personne et ces atteintes ou dommages. De plus, l’ensemble du territoire pouvait être visé par l’interdiction et en cas de manifestation non déclarée ou déclarée tardivement, l’arrêté d’interdiction était exécutoire d’office et pouvait être notifié à tout moment.
Le Conseil Constitutionnel a donc considéré que l’atteinte portée au « droit d’expression collective des idées et des opinions » n’était pas « adaptée », « nécessaire » et « proportionnée ». Enfin, les Sages ont validé les 3 autres articles, à savoir : l’extension du pouvoir de réquisition du parquet[3], la création du délit de dissimulation du visage aux abords d’une manifestation et l’intégration de l’interdiction de manifester dans les obligations du contrôle judiciaire[4] . La loi a été promulguée le 11 avril 2019 et s’applique donc depuis.
Gladys KONATÉ
[1] Outre un problème lié à la procédure : le Conseil Constitutionnel a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’attarder sur le problème lié à la procédure d’adoption de la loi, jugée trop peu claire et pas assez sincère.
[2] Le préfet du lieu de la manifestation ou du lieu de résidence de la personne
[3] Article 2 de la loi, permettant à des membres de la police judiciaire sur réquisitions du parquet, de procéder, sur les lieux d’une manifestation et à ses abords immédiats, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages ainsi qu’à la visite des véhicules
[4] L'article 8 introduit un 3° bis à l'article 138 du code de procédure pénale, qui dresse la liste des obligations auxquelles peut être soumise une personne placée sous contrôle judiciaire. Ce 3° bis y ajoute l'obligation de ne pas participer à des manifestations sur la voie publique dans des lieux déterminés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention. « Le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et n'a pas porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». Ces « dispositions ne soumettent pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire ».
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