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L'opportunité des poursuites

Dernière mise à jour : 26 nov. 2023



Contenu du principe : Lorsque le procureur de la République est informé de la commission d’une infraction, il doit décider des suites à donner à celle-ci. Ainsi, il dispose de l’opportunité des poursuites. Il s’agit d’une réponse pénale graduée : le classement sans suite, les alternatives aux poursuites et les poursuites (art 40-1 C. proc. én.) En effet, aux termes de l’article 40 du Code de procédure pénale

« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1. »

Si les plaignants ou victimes sont connus et/ou identifiés, le procureur doit les en informer.


L’opportunité des poursuites s’oppose à la légalité des poursuites, qui est un système dans lequel le ministère public est contraint de devoir systématiquement poursuivre les infractions dont il a la connaissance. Ce dernier a l’avantage d’apporter une forme d’égalité pour les particuliers devant la justice puisque toute personne qui a été identifiée dans le cadre de la commission d’une infraction sera poursuivie. Par ailleurs, il s’agit aussi d’un mécanisme qui risque d’encombrer un peu plus les prétoires {1}. Il est important de préciser que si l’opportunité des poursuites laisse une grande marge de manœuvre au ministère public, elle demeure astreinte à une politique pénale générale déterminée par le garde des Sceaux.


Désormais, il convient d’envisager chacune de ces réponses pénales en détail.


I) Le classement sans suite


Le classement sans suite se définit comme l’arrêt de la procédure par le procureur de la République après qu’une plainte ait été déposée.


A. Les différents motifs de classement


Avant toute chose, les motifs de classement sont nombreux et le plus connu est le classement sans suite 21, lorsqu’une infraction est insuffisamment caractérisée. Il existe un grand nombre de motifs, seuls quelques exemples sont envisagés ici.


Le parquet peut décider de ne pas poursuivre parce que l’infraction rapportée n’est pas légalement constituée. Ainsi, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, « nullum crimen nulla poena sine lege » (pas de crime, pas de peine sans loi), le parquet ne peut poursuivre une infraction qui n’est pas légalement réprimée. (par ailleurs, il ne peut pas non plus recourir à des alternatives aux poursuites). Aussi, le classement sans suite peut intervenir lorsque l’auteur n’est pas identifié, ce qui est particulièrement fréquent en matière de cambriolage par exemple. L’amnistie fait aussi obstacle à la poursuite d’une infraction.


B. Les effets du classement sans suite


Aux termes de l’article 40-1 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut faire le choix de ne pas poursuivre les faits qui ont été portés à sa connaissance. Ce choix pouvant être souvent incompris et injustement perçu, la loi du 9 mars 2004 a instauré un principe de motivation du classement sans suite. Ainsi, l’intéressé et les victimes doivent être informés des motifs à la fois juridiques et factuels de ce classement conformément à l’article 40-2 du Code de procédure pénale.


Le classement sans suite prend la forme d’un archivage, mais n’éteint pas pour autant l’action publique. Il ne s’agit pas d’une décision de justice valant autorité de la chose jugée, mais d’une mesure d’administration à l’encontre de laquelle aucun recours juridictionnel n’est possible. Cependant, le procureur de la République peut revenir sur sa décision de classement.


C. Les contrepoids du classement sans suite {2}


Même si aucun recours juridictionnel n’est possible parce que le procureur de la République n’est pas un juge, il existe un recours hiérarchique auprès du procureur général territorialement compétent afin de s’opposer au classement sans suite. Il peut décider d’enjoindre au procureur de la République de poursuivre ou de confirmer sa décision au regard de l’article 40-3 du Code de procédure pénale.


Par ailleurs, il existe un autre moyen de pallier à un classement sans suite : la constitution de partie civile. En effet, si la victime souhaite exercer l’action civile dont elle dispose malgré l’orientation choisie par le parquet, elle peut se constituer partie civile devant le juge d’instruction ou devant le tribunal correctionnel. Pour ce faire, encore faut-il réunir l’une des deux conditions suivantes :

  • Le parquet doit avoir informé la personne de son choix de classer sans suite

  • Un délai de 3 mois s’est écoulé depuis le dépôt de la plainte dite « simple »


II) Les alternatives aux poursuites


La volonté du parquet, en recourant aux alternatives, est de ne pas rester dans une logique binaire de poursuivre ou abandonner les poursuites {3}.

Il s’agit d’une orientation permettant à la fois d’apporter une réponse pénale, tout en évitant la lourdeur et la longueur d’une procédure. De fait, il existe des alternatives réparatrices et punitives, les mesures sont diverses et variées. Ces différentes mesures sont consacrées aux articles 41-1 et suivants du Code de procédure pénale.


A. Le classement conditionnel – Art 41-1 C.proc.pén.


Lorsque le parquet décide de recourir à cette alternative, cela lui permet d’imposer à l’auteur des faits certaines mesures auxquelles il devra se soumettre, comme s’orienter vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle (2°), régulariser sa situation (3°), ne pas paraître dans certains lieux, et de s’abstenir de rencontrer (6° et 7°), etc.


Concernant la médiation pénale consacrée au 5°, elle doit être encadrée par un tiers impartial et habilité, pouvant être le procureur lui-même jusqu’en 1996 ; une circulaire selon laquelle le procureur n’est pas totalement impartial est parue depuis. Désormais, cela revient à un délégué du procureur se trouvant dans des maisons de justice dans lesquelles une audience se tiendra. La médiation pénale est possible dans le cadre de violences au sein du couple à condition que la victime en ait fait la demande et que la mesure s’accompagne d’un rappel à la loi devenu l’avertissement pénal probatoire. Sans cela, le parquet ne peut recourir à cette mesure.

NB : Depuis la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance en l’institution judiciaire, le rappel à la loi a été supprimé et remplacé par l’avertissement pénal probatoire.

Le classement conditionnel a pour effet de suspendre la prescription de l’action publique, il ne l’éteint pas contrairement à la composition pénale (exécutée). Cette mesure ne fait pas non plus échec à une potentielle action civile. Par ailleurs, si le classement conditionnel s’avère être un échec, le parquet peut soit mettre en œuvre une composition pénale, soit engager des poursuites, mais il ne pourra pas classer sans suite.

NB : Dans le cadre du classement conditionnel, il est possible depuis le 1er janvier 2023 de prononcer un avertissement judiciaire, à condition que l’auteur ait reconnu sa culpabilité. (Art 41-1, 1° C. Proc. Pén.)

B. La composition pénale – Art 41-2 C.proc.pén.


Issue de la loi du 23 juin 1999, la composition pénale permet au procureur de la République de proposer à l’auteur certaines mesures. Ce dernier est libre d’accepter ou non. Ainsi, pour qu’une composition pénale soit possible, elle doit concerner une infraction dont la peine encourue est de 5 ans d’emprisonnement maximum, l’auteur doit avoir reconnu les faits et avoir accepté la composition. Enfin, elle doit être validée par un magistrat du siège. Lorsqu’elle concerne une contravention ou une infraction punie de 3 ans d’emprisonnement ou moins, le magistrat du siège n’a pas à valider la mesure.

NB : C’est parce que l’auteur doit avoir reconnu les faits que cette procédure est considérée comme le « plea bargaining à la française » ( qui est une forme de plaider coupable à la française).

Voici quelques exemples de mesures pouvant être prévues dans le cadre d’une composition pénale :

  • Versement d’une amende de composition pénale ;

  • Participation à un programme de réhabilitation et de sensibilisation ;

  • Exécution au profit de la collectivité d’un travail non rémunéré ;

  • Stage ou formation ;

  • Interdiction de paraître ou d’entrer en contact;

  • Etc.

La procédure de la composition pénale est une cause d’interruption du délai de prescription, son exécution éteint l’action publique. Par ailleurs, même si l’action publique est éteinte, elle ne fait pas échec à une citation directe émanant de la partie civile, pour laquelle le tribunal ne statuera que sur les intérêts civils {4}. La composition pénale ne constitue pas un premier terme de récidive (=lorsqu’une personne déjà condamnée commet à nouveau une infraction) et en cas d’échec, elle entraîne l’engagement de poursuites.

Rappel sur la suspension, l’interruption et l’extinction de l’action publique : La suspension est un arrêt temporaire du délai de prescription. Le délai déjà écoulé sera pris en compte. Après l'incident ayant eu pour effet de suspendre le délai de prescription, celui-ci reprend là où il s'était arrêté. Par exemple, le classement conditionnel est une cause de suspension du délai. L’interruption fait repartir le délai de zéro. Un acte interruptif fait courir un nouveau délai de la même durée que l’ancien (sauf exception), par exemple, la procédure de composition pénale. L’extinction met fin au délai de prescription que ne court plus, la bonne exécution de la composition pénale, par exemple.

C. Les conventions judiciaires d’intérêt public – Art 41-1-2 C.proc.pén. et 41-1-3 C.proc.pén.


Il existe la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et la convention judiciaire d’intérêt public environnementale (CJIPE). Le parquet peut décider de prendre ces mesures à l’encontre des personnes morales qui ont commis des infractions spécialement prévues par les textes. Les CJIP concernent plutôt les infractions financières, telles que les infractions de corruption et de fraude fiscale, mais aussi le blanchiment. La CJIPE concerne les infractions commises par des personnes morales en matière de droit de l’environnement. Elle est une forme de composition pénale pour les personnes morales.


Ces mesures prennent la forme d’une convention, dont les obligations sont déterminées par le procureur de la République.

Voici quelques exemples d’obligations :

  • L’amende d’intérêt public ;

  • Participation à un programme de mise en conformité durant 3ans avec l’agence française anticorruption ;

  • La réparation du préjudice de la victime lorsque celle-ci est identifiée ;

Le parquet propose ainsi la convention à la personne morale qui peut l’accepter. Après cela, il appartient au président du tribunal judiciaire de la valider. Pour ce faire, il doit procéder à l’audition de la personne assistée de son avocat. Après validation, la personne morale dispose de dix jours pour exercer son droit de rétractation.


Cette alternative suspend le délai de prescription, la validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et la CJIP n’est pas inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire. Aussi, les victimes peuvent toujours exercer leurs droits pour obtenir réparation de leur préjudice devant une juridiction civile.


Si le président du tribunal ne valide pas la convention, que la personne morale la refuse ou se rétracte, le parquet doit mettre en mouvement l’action publique. A ce titre, le magistrat de la juridiction de jugement ne pourra utiliser les déclarations faites ou les documents remis à l’occasion de la CJIP ou CJIPE.


D. La transaction pénale – Anc. art. 41-1-1 C.proc.pén. (abrogé)


Jusqu’à la loi du 23 mars 2019, la transaction pénale permettait aux officiers de police judiciaire (OPJ) de conclure des transactions avec les auteurs sous réserve de l’autorisation du parquet et de l’homologation par le président du tribunal judiciaire. Finalement, la mise en œuvre pratique n’a jamais vu le jour, et le Conseil constitutionnel avait déjà partiellement censuré ce mécanisme {5}. Ce mécanisme a ainsi été abrogé en 2019.


III) La mise en mouvement de l’action publique : les poursuites


À titre liminaire, il est important de préciser que la décision de poursuite est irrévocable.

En effet la Cour de cassation a rappelé qu’au regard de l’article 388 du Code de procédure pénale la saisine d’une juridiction de jugement ou d’instruction fait obstacle au prononcé d’un classement sans suite ou d’une alternative aux poursuites {6}. L’orientation des poursuites diffère selon l’état du dossier et surtout selon la nature des faits. Un dossier en état d’être jugé permet au parquet de saisir directement une juridiction de jugement (2), si le parquet estime que des investigations supplémentaires sont nécessaires, une juridiction d’instruction sera saisie. (1)


A. La saisine d’une juridiction d’instruction


Outre la matière criminelle pour laquelle l’instruction préparatoire est une obligation légale (art 79 C. proc. pén.), lorsque des investigations sont encore nécessaires en matière délictuelle, le procureur de la République peut requérir l’ouverture d’une information judiciaire par la rédaction d’un réquisitoire introductif. Ainsi, le juge d’instruction sera chargé, à son tour de l’enquête, pour effectuer d’autres actes d’investigation, voire recourir à des mesures de sûreté.


B. La saisine de la juridiction de jugement


Lorsque le dossier est en état d’être jugé, le procureur peut décider de saisir une juridiction de jugement afin que le dossier y soit soumis. Ainsi, la juridiction statuera sur le bien-fondé de l’accusation. Parmi ces modes saisines, on retrouve classiquement les citations directes (art 550 et s. C. proc. pén.), les convocation par officier de police judiciaire (COPJ, art 390-1 et 533 C. proc. pén.), ou encore, propres à la matière délictuelle la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC, art 495-7 et suivants du C. proc. pén.) mais aussi la comparution immédiate (art 395 et s. C. proc. pén.)

(Cette liste n’est pas exhaustive)

NB : La CRPC n’est pas une alternative aux poursuites, elle est un procédure accélérée, au même titre que la comparution immédiate pourrait l’être. Bien que dans sa forme, elle se rapproche de la composition pénale, elle est une procédure de poursuite à part entière qu’il ne faut pas confondre avec certaines alternatives aux poursuites.


Valentine PIC


 

[1] Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, 14ème édition, LexisNexis


[2] Voir Le classement sans suite et l’après, Anouck Gasnot, le 30 mars 2021 pour Les pénalistes en herbe


[3] Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, 14ème édition, LexisNexis


[4] Cass. Crim. 24 juin 2008.


[5] Cons. cons., 23 septembre 2016, QPC


[6] Cass. Crim. 20 février 2007



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