N’étant pas prévue par le Code pénal de 1810, l'incrimination d'administration de substances nuisibles (ASN) ne fut introduite qu'à travers la loi du 28 avril 1832, marquant ainsi un tournant législatif majeur dans la répression de ce type d'infraction. Cette infraction originale désigne le fait d'administrer à une victime des substances nuisibles, en ayant l’intention de nuire à sa santé physique ou psychologique. Si cette infraction présente des ressemblances avec l’empoisonnement, ou pourrait s’inscrire dans le cadre des violences volontaires, notre code pénal actuel la considère toutefois comme une infraction autonome, reconnaissant ses spécificités propres.
L’infraction d'administration de substances nuisibles est ainsi défini par l’article 222-15 du Code pénal, disposant que : “L'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'autrui est punie des peines mentionnées aux articles 222-7 à 222-14-1 suivant les distinctions prévues par ces articles.”
En premier lieu, il conviendra de détailler les éléments constitutifs de l'infraction d'administration de substances nuisibles (I), avant d’en examiner la répression (II). Il sera ensuite pertinent d'analyser le conflit de qualification existant avec l’infraction d'empoisonnement (III). Enfin, il sera abordé la question actuelle de la transmission du VIH, qui soulève des enjeux juridiques spécifiques (IV).
I) Les éléments constitutifs de l'administration de substances nuisibles
L’infraction d'administration de substances nuisibles (ASN) est composée d’un élément matériel (A) et d’un élément moral (B). L’ASN est une infraction matérielle, qui suppose un préjudice, il y a donc nécessairement un résultat (C).
A- Élément matériel
1- L’acte d’administration
L'infraction d'ASN sanctionne l'acte d'administrer une substance nuisible à une victime. Cet acte positif peut être d'administration ou d’emploi. Autrement dit, la jurisprudence n’attache guère d’importance à la forme d’administration, qui peut donc être directe, ou bien indirecte à la victime, c'est-à-dire par l’intermédiaire d’un tiers, pouvant être de bonne ou de mauvaise foi.
Cet acte positif peut se faire par tous moyens et procédés possibles (injection, inhalation, relations sexuelles...). La jurisprudence inclut par exemple la dilution à l'aide d'une seringue de valium dans des bouteilles d'eau minérale[1]; ou encore par des relations sexuelles[2].
2- La substance nuisible
La substance administrée doit nécessairement nuire à l'intégrité physique ou psychique de la personne, de manière toxique, hallucinogène ou autre. Cela englobe toutes substances susceptibles d’altérer la santé comme les produits chimiques, certains médicaments, poisons, alcools, drogues…
Or, elle ne doit pas être mortifère. Une substance mortifère le sera de par sa composition ou sa nature. Une substance intrinsèquement mortifère est une arme par nature, à l’instar du cyanure. En conséquence, si la substance administrée donne la mort, la qualification pénale sera, dans la plupart du temps, l’empoisonnement et non l’ASN. Cette subtile différence avec l’infraction d’empoisonnement sera évoquée dans la suite du développement.
3- Le résultat
L'exigence d'un résultat dommageable pour la santé est un élément constitutif de l'infraction. En effet, l'expression « ayant porté atteinte » de l'article 222-15 du Code pénal nous démontre que nous sommes en présence d'une infraction matérielle.
La substance provoquera nécessairement un dommage réel ou potentiel à la victime. L’effet nuisible ne doit pas forcément être immédiat. Il doit cependant provoquer des effets négatifs à court ou moyen terme.
! A noter : Dans l'hypothèse où l'auteur administre volontairement de faibles doses d'un produit mortel pour simplement porter atteinte à l'intégrité physique de la victime, l'infraction d'ASN doit être retenue, faute d'intention homicide. Les magistrats se sont prononcés en ce sens dans l'affaire des « queusots radioactifs »[3].
B- Élément moral
L'infraction d'administration de substances nuisibles est intentionnelle. En effet, l'administration de la substance doit se faire de manière volontaire. Autrement dit, l’auteur doit avoir la volonté de nuire à la santé physique ou psychique d’autrui, tout en ayant conscience d'administrer un produit nuisible. L’auteur souhaite donc délibérément blesser, empoisonner, rendre malade ou affecter psychologiquement la victime. Or, il ne doit pas avoir l’intention homicide.
! A noter : L’infraction d’ASN ne sera pas retenue lorsque l'agent a administré volontairement une substance à autrui, mais sans connaître sa toxicité. Pour cause, il n’a pas souhaité porter atteinte à son intégrité physique. Dans ce cas, l'infraction d’ASN ne sera pas qualifiée, son élément moral faisant défaut. La qualification de blessures involontaires pourra être retenue[4].
En résumé, la caractéristique essentielle réside dans le fait que la substance nuisible administrée est de nature à porter atteinte à la santé. Elle doit donc être dangereuse pour la santé et son administration doit viser de façon intentionnelle à causer un dommage.
II- La répression prévue pour l’infraction d’ASN
Nous évoquerons les peines encourues par l’auteur d’une ASN (A) ainsi que les potentielles circonstances aggravantes (B).
A- Les peines encourues
L'article 222-15 du Code pénal renvoie aux articles 222-7 à 222-14-1, qui traitent des violences volontaires. Ainsi, la peine applicable à l'infraction d'administration de substances nuisibles dépendra de l'échelle des préjudices des violences volontaires. En revanche, aucun renvoi n’est effectué vers les qualifications contraventionnelles.
Les peines sont donc définies en fonction de la gravité du préjudice subi (mort, mutilation ou infirmité permanente, incapacité totale de travail supérieure à 8 jours). Par exemple, si l’administration a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la peine est celle de l’article 222-9 du Code pénal, entrainant 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
De plus, il est essentiel de noter que des peines complémentaires peuvent également être prononcées. Elles sont prévues par l’article 222-44, telles que des interdictions professionnelles ou des obligations de réparation.
→ Quid du préjudice ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant provoqué aucune ITT ?
L’article 222-15 du Code pénal prévoyant l’ASN n’opère pas de renvoi aux articles réprimant les préjudices ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant provoqué aucune ITT. En matière de violences volontaires, les articles R.625-1 et R.624-1 du Code pénal prévoient pourtant des contraventions, ou lors de circonstance aggravante, une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Néanmoins, sans circonstance aggravante, ces préjudices légers ne sont pas appréhendés par l’administration de substances nuisibles.
! A noter : La tentative d'administration de substances nuisibles n’est pas punissable, car il s’agit d’une infraction de résultat.
B- Les circonstances aggravantes
L’infraction peut être aggravée par diverses circonstances. Par exemple, lorsque l’ASN a entraîné la mort sans intention de la donner, le Code prévoit 15 ans de réclusion criminelle par renvoi à l’article 227-7 du Code pénal. Or, la peine encourue est de 20 ans avec certaines circonstances aggravantes comme le fait que la victime soit un mineur de quinze ans, ou encore en cas de préméditation. Depuis la loi du 3 août 2018, si l’acte a été commis sur un mineur de 15 ans par un ascendant ou bien lorsqu’un mineur assiste aux violences au sein de la cellule familiale (art. 222-8 du Code pénal), la peine encourue est portée à trente ans de réclusion criminelle.
III- Le conflit de qualification avec l’infraction d’empoisonnement
Le délit d'administration de substances nuisibles présente, à l'évidence, des liens avec le crime d'empoisonnement.
Pour rappel, l’article 221-5 prévoit l’infraction d’empoisonnement en disposant que « Le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. L'empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle. ».
Ainsi, le crime d'empoisonnement implique une substance de nature à entraîner la mort. Cette infraction est une infraction formelle. Autrement dit, afin que l’infraction soit constituée, il n’est pas exigé la réalisation du résultat, étant la mort de la victime.
En revanche, l’infraction d’ASN est une infraction matérielle. Cette dernière impose la réalisation d’un résultat, c’est-à-dire une atteinte à la santé d’autrui, sans laquelle l’infraction ne saurait être constituée. L’animus necandi (l’intention de tuer) n’a pas à être présent contrairement à l’empoisonnement.
L’infraction d’ASN ne vise pas une substance mortifère, mais seulement une substance nuisible à la santé d’autrui. La substance joue donc un rôle de qualification de l’infraction qui permet de choisir entre la qualification d’empoissonnement et l’ASN. Elle est le critère de spécialité au sein de ce concours de qualifications.
→ Quid si l'administration d’une substance non mortifère a entraîné la mort sans intention de la donner ?
Lorsqu’un individu administre une substance qu’il croit seulement nuisible, mais qui, en raison d’une pathologie préexistante de la victime par exemple, entraîne accidentellement la mort, l’empoisonnement ne pourra pas être retenu, faute d’intention de tuer. L’auteur ayant seulement l’intention de porter atteinte à l’intégrité de la victime, il conviendra de requalifier les faits en administration de substances nuisibles ayant entraîné la mort sans intention de la donner[5].
IV- La qualification pénale de l'infraction d'ASN dans le cadre de la transmission du VIH
Dans les dernières décennies, plusieurs affaires judiciaires liées à la transmission volontaire du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ont soulevé des questions cruciales sur la responsabilité pénale des individus qui le transmettent, mettant en danger la santé d’autrui. Plusieurs arrêts ont posé la question de savoir si l'administration d'un virus tel que le VIH pouvait être qualifiée d'infraction pénale, et si de telles actions pouvaient relever de l'infraction d'administration de substances nuisibles. La jurisprudence a alors dû s’adapter pour répondre à ces nouveaux défis.
Tout d’abord, c’est dans un arrêt en date du 2 juillet 1998[6] que la Cour de Cassation a jugé que le fait d’entretenir des relations sexuelles non protégées, en étant conscient d’être porteur du VIH, ne constitue pas l'infraction d’empoisonnement, de par ses éléments matériel et moral. Ce raisonnement a été appuyé par l’affaire du sang contaminé, dans laquelle la Cour de Cassation a rendu un arrêt le 18 juin 2003[7], précisant que :
“Le crime d'empoisonnement ne peut être caractérisé que si l'auteur a agi avec l'intention de donner la mort, élément moral commun à l'empoisonnement et aux autres crimes d'atteinte volontaire à la vie de la personne".
Finalement, la qualification d'administration de substances nuisibles sera privilégiée. Les juridictions du fond, à l'instar de la Cour d’appel de Colmar dans un arrêt du 4 janvier 2005, puis la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 janvier 2006[8] notamment, ont alors qualifié ces faits d’ASN. Dans cette dernière décision, la Haute Cour a précisé que l'infraction pouvait être caractérisée même en l'absence d'intention de nuire, dès lors qu'un risque pour la santé de la victime était clairement avéré.
Maëline FAVRELIERE
[1] Crim. 14 juin 1995, n°94-83.025
[2] Crim. 10 janv. 2006, n° 05-80.787
[3] TGI Cherbourg, 31 mars 1981
[4] Décision en ce sens : Crim. 17 oct. 2018, n°17-87.270
[5] Décision en ce sens : Crim. 3 avril 1991, n° 90-83931
[6] Crim. 2 juill. 1998, n°98-80.529
[7] Crim. 18 juin 2003, n°02-85.199
[8] Crim. 10 janvier 2006, n°05-80.787
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