top of page

L’affaire Jack Sion, vers une extension du viol par surprise ?

Dernière mise à jour : 29 nov. 2023




L’omniprésence des réseaux sociaux crée un véritable besoin de plaire et constitue à ce titre, à la fois une source et un outil de distorsion de la réalité. La technologie a envahi nos vies, notre quotidien. Mais si son évolution fulgurante a été bénéfique à l’homme, la technologie est aussi vectrice d’infractions.


Si la tentation du Photoshop n’est généralement animée que par le souci de paraître, tel ne fut pas le cas de Jack Sion, dit Anthony Laroche, « anthonycannes ».


C’est une affaire tout à fait originale qu’a eu à connaître la chambre criminelle de la Cour de cassation le 23 janvier 2019[1].

L’affaire Jack Sion, dit « anthonycannes »


En l’espèce, un homme de 68 ans tout à fait à l’aise avec les nouvelles technologies, s’est inscrit sur un site de rencontre. Conscient que son âge et son physique ne jouaient pas en sa faveur, il décida de se présenter sous le nom d’Anthony Laroche, architecte d’intérieur travaillant à Monaco, demeurant à Nice et mesurant 1,78 mètre. Il adjoint à son profil de nombreuses photos témoignant de son physique athlétique, photos correspondant en réalité à celles d’un mannequin. Une relation amoureuse virtuelle commença ainsi avec une jeune femme de 33 ans. Celle-ci, séduite, accepta après quelques mois d’échanges et de confidences de le rencontrer à son domicile.


Tel le héros d’Erika Leonard, il revêtît le masque de Christian Grey. Il lui détailla le scénario de leur rencontre : elle arriverait, la porte serait entrouverte, l’appartement plongé dans la pénombre, il lui banderait les yeux et lui attacherait les mains. Ils tomberaient alors l’un et l’autre sous la passion qui les enivrait.


Trop beau pour être vrai ? Certainement ! Ce rêve éveillé ne fut que de courte durée. Il lui libéra les yeux, la laissant découvrir le « vieil homme voûté et dégarni à la peau fripée et au ventre bedonnant » qu’il était. Si George Sand disait que « l’amour est une surprise, et que cela fait partie de ses délices », telle ne fût pas la réaction de la jeune femme.


Mis en examen pour viol, Jack Sion a reconnu avoir employé ce modus operandi[2] avec de nombreuses femmes, dans la plupart des cas, fragilisées par une rupture ou en quête d’une rencontre sérieuse. En effet, les enquêteurs retrouveront à son domicile, une liste de 342 femmes âgées de 23 à 53 ans détaillant leur nom, numéro de téléphone, et situation personnelle[3].

Le viol par surprise


Cette affaire est l’occasion de se pencher sur la question du viol par surprise.

Le viol est défini à l’article 222-23 du Code pénal comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Au regard de cette définition, constitue un viol tout acte de pénétration, vaginale, anale (sodomie) ou bucco-génitale (fellation, cunnilingus)[4], par le sexe ou à l’aide d’un objet quelconque. En effet, il n'est pas nécessaire que l’acte de pénétration ait été effectué par le sexe de l’auteur. Il peut tout à fait résulter d’une pénétration par un objet ou par toute autre partie du corps. C’est ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu juger que les actes de pénétration anale pratiqués avec une carotte[5], ou encore un manche de pioche dans l’anus d’un homme[6], étaient constitutifs d’un viol. Il est à noter qu’il n’importe que la victime soit le sujet de la pénétration, le viol étant également constitué par tout contact buccal avec le sexe de l’auteur ou celui de la victime. Un acte de pénétration n’est donc pas indispensable à la caractérisation du viol, le texte permettant en ce sens, l’incrimination d’actes commis par une femme sur une autre.


Par ailleurs, l’acte de pénétration ou bucco-génital doit avoir été commis avec violence, contrainte, menace, ou surprise, ces éléments devant être l’œuvre de l’auteur de l’infraction. En effet, il y a « absence de consentement punissable lorsque l’auteur des faits profite d’un état de contrainte, de faiblesse ou de surprise de la victime qu’il n’a pas lui-même créé » (Cass. crim., 4 sept. 2019 , n° 18-84.334)[7].


Dans les faits, ni la violence, ni la contrainte, ni encore la menace n’étaient caractérisables. Tout l’objet de l’affaire portait sur la caractérisation de la surprise. La surprise repose sur une tromperie de la victime sur la situation réelle de l’infraction aux fins d’obtenir des faveurs sexuelles de sa part. La Cour de cassation a également pu retenir la surprise lorsque l’auteur du viol a « obtenu des faveurs sexuelles en abusant des difficultés de compréhension rencontrées par la victime »[8]. En l’espèce, la victime avait légitimement pu croire « à la présence de son compagnon, venu la rejoindre ».

Cependant, comme l’explique Laurent Saenko[9], Maître de conférences à l’Université Paris-Sud, Membre du CERDI, « la jurisprudence a pu maintes fois décider que le fait, pour une victime, de ‘tomber des nues’ après un rapport sexuel ne valait pas surprise au sens du texte ».

Une extension du viol par surprise ?


Pour revenir à l’affaire de notre Apollon niçois (Jack Sion), la tromperie portait sur les modalités de la relation, à savoir la dissimulation de ses caractéristiques physiques ainsi que de son identité.


Toutefois, le stratagème employé n’était-il pas l’œuvre du scénario érotique formé par lui et sa victime ? Ne peut-on pas considérer que la surprise (au sens de l’étonnement ici) était la finalité même du scénario mis en scène ?


Tels ont été les arguments de la défense, invoquant que « l’effet de « surprise » était accepté voire recherché ; que le consentement n’a donc pas été annihilé par le stratagème dénoncé », que « la notion de surprise [ne pouvant] être assimilée au sentiment d’étonnement ou de stupéfaction de la victime, ne saurait donc davantage s’accommoder d’une quelconque subjectivité liée au caractère bon ou mauvais de ladite surpris ».

La Cour de cassation ne fit cependant pas droit à ces arguments, jugeant que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise de l’article [222-23 du Code pénal] ».

Cette solution fut réitérée dans un arrêt du 4 septembre 2019[10], par lequel la chambre criminelle a retenu que, constitue la surprise le fait que « le prévenu, sachant que la partie civile ne souhaitait pas avoir une relation avec lui, avait sciemment utilisé, pour y parvenir, la méprise de Mme S. quant à l’identité de la personne avec laquelle elle souhaitait avoir une relation, en utilisant un stratagème ne lui permettant pas de l’identifier immédiatement ».


Jack Sion a fait appel de la décision le condamnant, et le 25 octobre 2021, la Cour criminelle de l’Hérault a suivi le raisonnement de la Cour de cassation, le condamnant à huit ans d’emprisonnement ferme.


Ainsi, le droit français semble s’orienter vers un élargissement du critère de la surprise de par la prise en compte de mensonges et de stratagèmes pour parvenir à un acte sexuel. En effet, la considération portée sur l’erreur sur l’identité et les caractéristiques physiques conduit à une extension considérable du critère de surprise.

Pourtant, comme l’affirme Philippe Conte dans le commentaire d’une décision similaire[11], « il est difficile d'admettre que tout mensonge, toute manœuvre puissent suffire à engager la responsabilité pénale : est-il violeur celui qui ôte son alliance avant un rendez-vous galant pour dissimuler son mariage à une conquête qui fait du célibat la condition de son consentement ? En visant un stratagème, la jurisprudence s'interroge sur la cause de la surprise, dont elle subordonne le caractère délictueux à la présence d'une déloyauté qui dépasse les limites de ce que la séduction autorise ».

Si une telle extension de la notion de surprise permettra à coup sûr d’élargir la répression du viol lorsqu’un stratagème est employé, une telle conception n’est pas dénuée de tout danger. Comme le souligne Laurent Saenko[12], « la victime avait accepté le principe d’une relation sexuelle anonyme, laquelle a dès lors pour effet presque mécanique de neutraliser toute surprise y attenant ». Il ajoute que « cette notion de stratagème trouve un terrain beaucoup trop favorable dans les relations charnelles et les entreprises qu’elles sont susceptibles de motiver. Le mensonge et la manipulation -ici plus qu’ailleurs- sont souvent de mises ».

Vers une caractérisation de la surprise en cas de transmission volontaire du virus du SIDA ?


Si cette solution semble naturelle eu égard aux circonstances de l’affaire, il convient cependant de s’interroger sur la portée de celle-ci. Jusqu’où peut-on retenir que l’erreur sur l’identité ou les caractéristiques physiques détermine le critère de la surprise ? Pourrait-on retenir la surprise lorsque l’auteur n’a fait que cacher des particularités physiques ? En ce sens, pourrait-on retenir la surprise lorsqu’un partenaire sexuel ment sur sa séropositivité ?


Aujourd’hui, le fait de transmettre volontairement le virus du SIDA est réprimé par le biais de l’article 222-15 du Code Pénal qui condamne « L'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'autrui ». La répression de cette infraction varie selon l’intensité des violences portées, la peine allant de trois ans d'emprisonnement et 45000 euros d'amende à trente ans de réclusion criminelle (Cf. art. 222-7 à 222-14-1 du Code pénal). C’est ainsi que dans un arrêt du 5 octobre 2010, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue confirmer que le fait d'entretenir des relations sexuelles non protégées en se sachant porteur du VIH[13] est constitutif du délit d'administration de substances nuisibles[14].

Toutefois, la dissimulation par un mensonge ou un stratagème visant à cacher sciemment sa séropositivité ne pourrait-il pas caractériser la surprise ?

Puisque le critère de la surprise peut résulter d’un stratagème ayant pour but de dissimuler une identité ou une caractéristique physique[15], le mensonge reposant sur une séropositivité pourrait tout à faire caractériser la surprise. Ainsi, eu égard à l’extension du critère de la surprise, il serait tout à fait envisageable de le retenir en matière de contamination volontaire du virus du SIDA.


Néanmoins, une telle répression serait-elle satisfaisante ? N’assisterait-on pas à un élargissement déraisonné du critère de la surprise, pouvant inclure une abondance de circonstances ?


Ne faudrait-il pas plutôt créer une infraction spécifique à la transmission volontaire du virus du SIDA ? Cette idée intéressante en apparence, constituerait cependant un obstacle non négligeable au dépistage du virus. En effet, si le législateur décidait de réprimer le fait de s’adonner à des activités propices à la transmission du virus tout en se sachant positif à celui-ci, beaucoup seraient freinés de procéder à un tel dépistage. Or, le dépistage de l’infection au VIH est nécessaire non seulement au diagnostic de cette maladie, mais également à la prévention d’autres cas. En ce sens, une telle crainte réduirait dangereusement les dépistages préventifs à l’infection, alors même que le nombre de tests réalisés subit une baisse inquiétante[16]



Manon LANTOINE


 

[1] Cass., crim., 23 janvier 2019 n°18-82.833 P : préc. note 25. [2] Manière d’opérer, mode opératoire [3] Hérault. Le mannequin était un sexagénaire bedonnant : un homme jugé pour "viols par surprise" à Montpellier – Le Journal de Saône-et-Loire, 25 octobre 2021.

[4] Ajout de la Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, art. 9.

[5] Cass., crim., 27 avril 1994 : Bull. crim. n°157

[6] Cass. crim., 6 décembre 1995 : Bull. crim. n°372

[7] Michèle-Laure Rassat, Professeure émérite à l’Université Paris XII, synthèse Jurisclasseur Infractions sexuelles, 15 sept. 2021.

[8] Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 Janvier 2017 – n° 15-86.680

[9] Laurent Saenko, Panorama de droit pénal spécial (avril 2018 - mars 2019), Lexbase Pénal, avril 2019

[10] Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 Septembre 2019 – n° 18-85.919 [11] Agression sexuelle - Notion de surprise - Commentaire par Philippe CONTE - Droit pénal n° 11, Novembre 2019, comm. 180

[12] Laurent Saenko, Panorama de droit pénal spécial (avril 2018 - mars 2019), Lexbase Pénal, avril 2019

[13] Virus de l'immunodéficience humaine

[14] Cass. crim., 05-10-2010, n° 09-86.209

[15] Cass., crim., 23 janvier 2019 n°18-82.833 P : préc. note 25.

[16] Selon Santé publique France, 5,2 millions de tests du VIH ont été réalisés en 2020 en France, soit une baisse de 14% par rapport à 2019



183 vues0 commentaire
bottom of page