Comme énoncé précédemment, l’administration de la preuve pénale est présidée par un principe de liberté fort[1]. En sus, ce principe est fréquemment envisagé par la Cour de cassation notamment dans une jurisprudence foisonnante qui permet de le limiter fermement : l’exigence de loyauté s’appliquant à l’autorité publique, restreint la liberté dans l’administration de la preuve. Ainsi, il est proposé de revenir sur plusieurs arrêts fondateurs en la matière, dans lesquels la Cour de cassation tend à définir de plus en plus précisément cette exigence et les conséquences procédurales qui s’attachent à sa méconnaissance. Ainsi, la Cour de cassation revient sur la question de la recevabilité d’une preuve déloyale rapportée par une personne privée (Cass. Crim., 11 juin 2002, n°01-85.559, affaire du testing) mais également sur la fine frontière à tracer entre la recevabilité d’une telle preuve et l’irrecevabilité de la preuve déloyale administrée grâce à l’action positive de l’autorité publique (Cass. Ass. Plén., 10 nov. 2017, n°17-82.028, affaire dite Roi du Maroc). Il ressort également de cette jurisprudence un arrêt fondateur développant la prohibition pour l’autorité publique d’administrer la preuve au moyen d’un stratagème contournant ou détournant une règle de procédure (Cass. Ass. Plén., 9 déc. 2019, n°18-86.767, affaire dite de la Sex-tape : Valbuena-Benzema)[2]. Enfin et plus récemment, la Cour de cassation est venue trancher la question de savoir si la preuve déloyale est recevable lorsque les circonstances de son administration ne permettent pas de savoir qui de l’autorité publique ou de la personne privée en est à l’origine (Cass. Crim., 1 déc. 2020, n°20-82.078, affaire dite Benalla)
Affaire du testing : Cass. Crim., 11 juin 2002, n°01-85.559
Dans une affaire où il était question de prouver la commission du délit de discrimination raciale lors de la fourniture d’un service tel que réprimé par les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal, la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi formé par l’association SOS Racisme.
En l’espèce, une opération de « testing » avait été réalisée par l’association. Cette opération consistait, pour des groupes de clients potentiels à se présenter à l’entrée de boîtes de nuit pour démontrer que l’accès à celles-ci par les portiers était différencié selon l’origine ethnique des membres desdits groupes. Trois groupes ont été établis. Le premier était constitué d’une femme et de deux hommes d'origine maghrébine. Les deux autres étaient constitués d’une femme et d’un homme d'origine européenne. Seul le premier groupe s’était vu refuser l’entrée des discothèques ainsi « testées ». Cette pratique consiste donc à présenter plusieurs personnes de diverses origines pour matérialiser des réponses différentes des portiers en fonction, précisément, de l’origine ethnique et partant, permet de caractériser une discrimination fondée sur l’appartenance ethnique.
Il était avancé que cette pratique anglo-saxonne est déloyale et ne peut être admise conformément au principe de loyauté limitant la liberté de l’administration de la preuve pénale. La Cour d’appel de Montpellier retient que le procédé de « testing » est illicite puisqu’il n’offre « aucune transparence » et méconnaît le principe de loyauté, les droits de la défense et le droit à un procès équitable.
Au visa de l’article 427 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation rend un arrêt de cassation partielle et énonce classiquement que « aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ». Si elle ne consacre pas explicitement la légalité d’un tel procédé, la Cour rappelle toutefois sa jurisprudence constante et censure la décision des juges du fond.
Consécutivement à cette décision, un article 225-3-1 a été inséré dans le Code pénal par la loi n°2006-396 du 31 mars 2006. Il énonce que le délit de discrimination est caractérisé même s’il est commis « à l’encontre d’une [personne ayant pour] but de démontrer l’existence du comportement discriminatoire ». Une QPC a été déposée sans être renvoyée au Conseil constitutionnel faute de caractère sérieux (Cass. Crim., 4 févr. 2015, n°14-90.048).
Affaire dite Roi du Maroc : Cass. Ass. Plén., 10 nov. 2017, n°17-82.028
Dans cette affaire, l’assemblée plénière de la Cour de cassation revient sur l’étendue de l’exigence de loyauté imposée en matière d’administration de la preuve pénale.
En l’espèce, des faits de chantage et d’extorsion de fonds au préjudice du Roi du Maroc étaient reprochés aux prévenus. À des fins probatoires, une conversation a notamment été enregistrée entre le représentant du Royaume du Maroc et l’auteur d’un livre intitulé « Le Roi prédateur », paru en 2012. Au cours de cette conversation, le paiement d’une importante somme d’argent avait été sollicité contre l’engagement solennel de ne publier aucune information compromettante dans un nouvel ouvrage consacré au souverain.
Là où le bât blesse, c’est que les enquêteurs, informés par le représentant du Royaume du Maroc des dates et lieux des rendez-vous, avaient procédé à des opérations de surveillance. En outre, le représentant avait remis aux policiers les enregistrements qu’il avait réalisés à l’occasion des conversations tenues avec les prévenus ; les enquêteurs les ayant retranscrits sur procès-verbal et étant restés en contact régulier avec lui pendant les rendez-vous. Aussi, l'autorité judiciaire avait procédé à l'interpellation des mis en cause dès la fin du dernier rendez-vous.
Le point de crispation, quant à la légalité du procédé ainsi utilisé, tient au fait que les policiers auraient eu un rôle actif dans le recueil de la preuve obtenue de manière déloyale, en raison d’un enregistrement clandestin. Il est toutefois argué que la participation des enquêteurs n’est qu'indirecte. Partant, le principe de loyauté de la preuve pénale n’aurait pas été méconnu.
Alors, la participation indirecte des policiers à l’enregistrement litigieux réalisé par une partie privée caractérise-t-elle une méconnaissance de l’exigence de loyauté et partant, vicie-t-elle la preuve ainsi produite ?
Dans cette affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a d’abord rappelé que la participation de l'autorité publique à l'administration d'une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée porte atteinte au principe de loyauté de la preuve pénale[3]. Elle censure la décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ayant refusé d'annuler lesdits enregistrements de conversations privées. Puisque l'autorité publique avait participé indirectement à l'obtention desdits enregistrements, par un particulier, la preuve était déloyale.
La chambre de l'instruction de renvoi a, à nouveau, rejeté les requêtes en annulation de pièces de la procédure pour déloyauté de la preuve puisque les enquêteurs n’ont pas eu un rôle actif. Leur seul comportement passif constitutif d’un « laisser faire » ne permet pas de caractériser un acte constitutif d'une véritable implication, viciant la recherche de la preuve.
L’Assemblée plénière considère qu’en l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, l’exigence de loyauté de la preuve n’avait pas été méconnue : les enquêteurs se sont contentés de retranscrire les enregistrements clandestins obtenus par la partie privée et de procéder à une opération de surveillance menant à l’interpellation des prévenus. Le stratagème employé par les policiers permettait de constater l’existence de l’infraction et ne vicie pas, en lui-même, le recueil de la preuve. Ainsi, l’Assemblée plénière rappelle que seule la provocation à la commission de l’infraction de la part des agents de l’autorité publique constitue une violation du principe de loyauté de la preuve pénale.
Sur le fond, dans cette affaire, les deux prévenus ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel qui les a condamné, le 14 mars 2023, à un an d’emprisonnement assorti du sursis et à 10 000€ d’amende. Ils ont immédiatement interjeté appel.
Affaire dite Benalla : Cass. Crim., 1 déc. 2020, n°20-82.078
Une nouvelle fois, la Cour de cassation a été amenée à statuer s’agissant de la question (épineuse) du respect du principe de loyauté de la preuve s’agissant d’enregistrements réalisés par un particulier, transmis à l’autorité publique et retranscris par les policiers.
En l’espèce, M. Benalla a été mis en examen des chefs d’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique et de violences volontaires en réunion sans incapacité temporaire de travail. Au titre des obligations lui incombant en raison de son placement sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction, le prévenu a l’interdiction d’entrer en contact avec les quatre autres mis en examen.
Or, un enregistrement sonore démontrant que deux des mis en examen se sont rencontrés, violant ainsi les obligations de leur contrôle judiciaire, a été publié par Médiapart. Les fichiers audio originaux sont remis aux enquêteurs par les journalistes. Néanmoins, ils arguent de leur droit à la protection des sources tel que prévu par la loi du 29 juillet 1881. Des investigations aux fins d'authentification des enregistrements et reconnaissance des voix sont réalisées pour établir l’origine des fichiers. En vain. Les enregistrements sonores sont postérieurement versés au dossier de la procédure.
Le mis en examen saisit la chambre de l’instruction d’une requête en nullité du PV de versement estimant que le principe de loyauté a été méconnu en se fondant sur l’article 6 Conv.EDH et l’article préliminaire du Code de procédure pénale. La requête est rejetée puisque le principe de loyauté ne s'applique pas aux journalistes, personnes privées.
Le pourvoi développe une argumentation selon laquelle la chambre de l’instruction n’avait pas déterminé la source des enregistrements litigieux. Partant, elle ne pouvait pas retenir que la preuve ainsi obtenue était loyale car elle ne pouvait affirmer qu’elle avait été recueillie par un particulier ou par un agent de l’autorité publique. Or, puisque le régime juridique varie en fonction de la qualité de celui qui administre la preuve, la requête en nullité n’aurait pas dû être rejetée. En effet, l’impératif de loyauté dans l’administration de la preuve pénale ne s’impose qu’aux agents de l’autorité publique.
Quid lorsque l’origine de la preuve et les conditions de recueil de celle-ci sont demeurées incertaines ? Dans cet arrêt de rejet, la Cour de cassation énonce que le fait que les enregistrements ont été remis aux enquêteurs par des journalistes n’est pas de nature à exclure que l'autorité publique a concouru à la réalisation de ces enregistrements. Néanmoins, leur versement au dossier n’est pas irrégulier au seul motif que les conditions de leur recueil sont restées incertaines. Ainsi, l’absence de certitude quant à l’intervention d’un agent de l’autorité publique dans le recueil de la preuve, n’est pas de nature à permettre l’annulation du procès-verbal de versement.
Juliette SUSSOT
[1] Voir l’article disponible dans cette revue : « Une liberté à géométrie variable présidant à l’administration de la preuve pénale », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[2] La preuve pénale à l'épreuve de la loyauté : éclairages sur l'affaire Valbuena, L’équipe LPEH, 22 mai 2020, https://www.lespenalistesenherbe.com/post/la-preuve-p%C3%A9nale-%C3%A0-l-%C3%A9preuve-de-la-loyaut%C3%A9-%C3%A9clairages-sur-l-affaire-valbuena
[3] Cass. Crim., 20 septembre 2016, n°16-80.820
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