Pour compléter la revue, nous republions un article initialement publié le 16 décembre 2019, et rédigé par Mathilde AMBROSI, une ancienne membre de l’association
L’aveu a longtemps été considéré comme la ”reine des preuves”. Néanmoins, avec les progrès scientifiques qui ont jalonné et influencé la matière médico-légale depuis les années 1980, la trace ADN semblerait se substituer à l’aveu à ce statut. Pourtant, l’ADN revêt en réalité une relativité en tant que preuve, qu’il convient de ne pas négliger.
L’ADN, ou acide désoxyribonucléique, est une molécule biologique, que l’on trouve dans toutes les cellules, et qui peut servir à l’identification génétique des individus. On en trouve notamment dans les cheveux, la peau, les fluides corporels…
L’utilisation de l’empreinte génétique dans le cadre médico-légal a été développée par Sir Alec Jeffreys, un généticien britannique, à la fin des années 1980[1]. Son usage demeure demeure donc relativement récent, et a malgré tout bouleversé la matière pénale. Les progrès scientifiques ont permis de pouvoir relever ces traces ADN, et d’en faire des indices dans le cadre de la recherche d’auteurs d’infractions. Or, l’ADN n’est pas l’apanage des criminels. Chaque jour, chaque personne laisse dans tous les endroits où elle est allée, des centaines de milliers de traces ADN.
Si la reconnaissance et l’usage globaux de cette méthode est louable, puisqu’elle constitue un formidable outil pour détecter certains éléments ou constituer des indices, il convient de nuancer sa force probatoire.
Juridiquement, l’ADN a autant de poids que tous les autres moyens de preuve. En effet, en matière pénale, on dit de la preuve qu’elle est libre, comme le précise l’article 427 du Code de procédure pénale[2] : on peut prouver par tous moyens, même si cette liberté demeure conditionnée par la loyauté de la preuve. Toujours est-il qu’il semble important de rappeler que la preuve ADN n’a pas plus de poids qu’un témoignage, un écrit, et même un aveu. La valeur probatoire de tous les indices est laissée à l’appréciation du juge, selon son intime conviction.
I) La fragilité de la preuve ADN : la potentialité des erreurs de manipulation
Au-delà de l’aspect purement juridique, la valeur probatoire de la trace ADN se doit d’être nuancée, car le relevé de telles traces peut faire l’objet d’erreurs.
En effet, le relevé de traces ADN peut prendre place sur la scène de crime notamment. Dans ces cas, il faut garder à l’esprit que de nombreuses erreurs peuvent être commises : un mégot de cigarette négligemment jeté par les personnes présentes, un oubli de changement de gants… Des équipements existent et sont obligatoires pour le relevé de telles preuves, afin d’éviter que la scène de crime ne soit “contaminée” par des traces émanant des techniciens, enquêteurs ou magistrats, comme une combinaison spéciale, une charlotte, des lunettes de protection, des gants, des surchaussures… Cependant, ces précautions, quoique nécessaires, ne peuvent supprimer totalement la totalité des contaminations possibles.
Après les relevés effectués sur la scène de crime ou sur la victime, il convient de mentionner l’analyse de prélèvements, qui a lieu dans des laboratoires. Des erreurs peuvent également être commises à ce stade. Par exemple, des cas d’inversions d’échantillons sont survenus, et ces simples erreurs sont lourdes de conséquences. Effectivement, des personnes n’ayant de toute évidence rien à voir avec l’affaire en cours ont pu être mises en cause.
De plus, d’un point de vue strictement scientifique, certains profils génétiques constituent de fortes similarités.
Dans un cadre où l’absence d’erreur au moment du prélèvement ou de l’analyse de la trace ADN semble si difficile à obtenir, on pourrait se féliciter de la possibilité de demande d’une contre-expertise en la matière. Or, et même si cette possibilité existe, il n’est malheureusement pas systématiquement fait droit à ces demandes, notamment en raison du coût élevé desdites expertises.
II) Le talon d’Achille de la preuve ADN : l’éventualité d’un transfert
Il convient désormais d’évoquer également une faille importante liée à l’emploi de la trace ADN en tant que preuve. Il s’agit de l’hypothèse du transfert, qui peut intervenir à plusieurs stades de l’exploitation de la trace ADN.
Tout d’abord, dans la vie courante, il apparaît évident que les échanges d’ADN involontaires interviennent perpétuellement. Or, il est moins intuitif de savoir qu’une personne qui n’a eu aucun contact avec une autre peut se retrouver avec son ADN. Il suffit que les deux protagonistes aient touché le même objet, comme une poignée de porte par exemple. En conséquence, cette hypothèse de transfert tend à nettement relativiser la valeur probatoire de l’ADN. De plus, certains éléments, comme les cheveux, sont très volatiles et peuvent donc se déposer n’importe où.
Ensuite, au stade du prélèvement et de l’analyse, des hypothèses de transfert existent également. Dans le cas du prélèvement de vêtements d’une victime par exemple, ces derniers sont placés sous scellés, parfois sans avoir été séparés au préalable. Les différentes parties des vêtements étant alors en contact, les transferts sont alors inévitables. De plus, et même dans le cas où les vêtements sont séparés, un seul vêtement plié transfère l’ADN d’un endroit du vêtement à un autre, rendant l’exploitation d’un tel élément totalement biaisé. Le conditionnement et le transport de scellés constituent une possibilité de contamination à ne pas négliger, particulièrement dans la mesure où les détails précis concernant ces procédures ne sont pas toujours mentionnés dans les procès-verbaux.
III) L’indéniable biais psychologique associé à la preuve ADN
Enfin, il convient de mentionner ce que l’on pourrait appeler un élément psychologique au sujet de l’exploitation de la preuve ADN.
Au sein de l’opinion publique, le discours selon lequel l’ADN et la culpabilité vont de pair est assez courant.
Les lieux communs de cette sorte peuvent se révéler très problématiques. En effet, comme chaque citoyen peut être amené à être juré à un moment donné, le raccourci peut s’avérer préjudiciable pour tout mis en cause.
Mais au-delà des idées préconçues erronées émises par l’opinion publique, le risque se situe dans la conviction par des membres de la sphère judiciaire, que la force de l’ADN est irréfragable. En effet, on retrouve, parmi les officiers de police judiciaire, certains magistrats ou des avocats notamment, une certaine doxa du caractère incontestable de l’ADN. Il va de soi que de telles opinions, en plus de n’être fondées que sur des croyances, ne sont pas pertinentes, et peuvent aller à l’encontre de la bonne exécution de la justice, et surtout de la recherche efficiente de la vérité.
À cet égard, Maître Patrice Reviron, avocat au Barreau d’Aix-en Provence, estime : ”Mais parfois l'expertise ADN est totalement erronée. Elle peut être alors la source redoutable d'erreurs judiciaires qui sont d'autant plus difficiles à détecter que la fiabilité accordée aux expertises génétiques est presque absolue.”[3]
Par voie de conséquence, il convient de déconstruire ce mythe de l’irréfragabilité de l’ADN. Admettre la relativité d’une telle preuve, revient tout simplement à accepter qu’il existe des failles inhérentes aux expertises génétiques, et qu’elles ne constituent donc aucunement une ”reine des preuves”, mais un élément à manier avec une extrême précaution
Ces considérations doivent être prises au sérieux, à plus forte raison parce que la matière pénale est porteuse d’un poids particulier. Dans des cas de crimes et de délits notamment, les expertises ADN peuvent –et sont– être employées à charge. L’enjeu pour la personne mise en cause est alors extrêmement important, puisqu’elle risque une peine de privation de liberté. Précisément, lorsque l’enjeu est tel, il semble essentiel de procéder avec la plus grande des attention quant à la qualité des éléments de preuve employés.
Mathilde AMBROSI
[2] Article 427 du Code de procédure pénale : ”Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui.”
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