Dans le procès pénal, la preuve joue un rôle central. En effet, la présomption d’innocence implique la nécessité de prouver la culpabilité de la personne jugée pour que celle-ci soit condamnée. À défaut, celle-ci sera relaxée ou acquittée car le doute profite à l’accusé. Ainsi, il est nécessaire de rapporter la preuve de la culpabilité afin de transformer les soupçons en vérité.
En principe, en procédure pénale, la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tout moyen dès lors que cela est légal. Cela résulte de l’article 427 du code de procédure pénale.
Cette liberté s’explique par la faculté laissée aux juges d’apprécier souverainement les preuves qui leur sont soumises. Il s’agit de l’intime conviction. À ce titre, aucun mode de preuve n’a de valeur supérieure à un autre. Cependant, les moyens d’obtention de preuve peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux tels que la vie privée, la liberté d’aller et venir voir même une atteinte à la dignité. C’est pourquoi cela est encadré, notamment en vertu des principes directeurs communs à toutes les techniques d’enquête et d’obtention de preuve comme le principe de nécessité, de proportionnalité, du respect du secret professionnel mais surtout en vertu du principe de loyauté qui fera l’objet de cet article.
Le principe de loyauté n’est pas consacré en tant que tel par le code de procédure pénale. Il s’agit donc d’une notion doctrinale, consacrée par la jurisprudence mais pas par la loi. Cela peut alors poser des difficultés car il n’existe pas de définition légale de cette notion. Il est cependant possible de définir ce principe comme « une manière d'être de la recherche des preuves, conforme au respect des droits de l'individu et à la dignité de la justice »[1].
Malgré cela, la Cour de cassation se réfère régulièrement, dans ses solutions, au « principe de loyauté de la preuve » et fait une application différente en fonction de la personne qui apporte la preuve dans le procès pénal. En effet, ce principe ne s’applique pas aux particuliers car ils n’ont pas les mêmes moyens d’investigation que les autorités publiques qui elles, doivent respecter strictement ce principe. Les autorités publiques sont les fonctionnaires judiciaires qui interviennent tout au long de la procédure pénale tels que les policiers, gendarmes, magistrats.
Cette application stricte du principe de loyauté de la preuve envers les autorités publiques résulte de l’affaire Wilson en date du 31 janvier 1888. Cette affaire mettait en cause un juge d’instruction qui avait téléphoné à un suspect en dissimulant son identité afin d’obtenir des informations à son encontre. La chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que ce procédé s’éloignait des règles de loyauté que doivent observer les autorités judiciaires.
Cette question de la loyauté des preuves apportées par les autorités judiciaires a mené à la mise en place d’une distinction importante entre la provocation à la preuve et la provocation à l’infraction.
La provocation à la preuve est l’hypothèse dans laquelle une infraction à déjà été commise, sans intervention préalable des enquêteurs. Ainsi, si ces derniers utilisent un stratagème uniquement pour récolter des preuves relatives à l’infraction déjà commise, le principe de loyauté est respecté.
À contrario, le principe de loyauté n’est pas respecté quand une autorité publique incite le suspect à commettre une infraction. Il s’agit de la provocation à l’infraction qui est donc prohibée.
Cette distinction provient de la Cour européenne des Droits de l’Homme[2] et fut consacrée par la jurisprudence française. Par exemple, dans un arrêt du 30 octobre 2006, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que des preuves qui avaient été collectées par le biais d’informations étaient recevables dans un procès pénal, dès lors que cela n’a fait que révéler l’existence d’un trafic de stupéfiant pré existant à l’infiltration. La Haute juridiction établit ainsi une distinction. Dans une première hypothèse, le trafic est préexistant à l'opération d'infiltration et dans ce cas l’opération a simplement pour but de rapporter la preuve des faits : la preuve rapportée est alors loyale. Dans une seconde hypothèse, l'agent organise lui-même le réseau et est donc à l'origine du trafic ; il commet ainsi une provocation à l'infraction et la preuve est alors déloyale.
Plus récemment, le 9 décembre 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l'affaire de "la sextape de Mathieu Valbuena", a posé l’exigence selon laquelle le requérant doit caractériser un stratagème déloyal et une atteinte à l’un de ses droits pour qu'il y ait atteinte au principe de loyauté.
En l’espèce, M. Valbuena a fait l’objet de chantage de la part d’une personne qui menaçait de diffuser une vidéo à caractère sexuel dans laquelle le joueur de football apparaitrait. Ce dernier a alors porté plainte. C’est ainsi que le procureur de la République a autorisé un officier de police judiciaire à se faire passer pour un homme de confiance de M. Valbuena et ce, en utilisant un pseudonyme. Cela a conduit à plusieurs appels téléphoniques entre les malfaiteurs et l’officier de police judiciaire.
Dans un premier temps, le 11 juillet 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que le principe de loyauté des preuves n'avait pas été respecté par les enquêteurs qui avaient usé d'un stratagème ayant vicié la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels des personnes suspectées. Néanmoins, la Cour d’appel de renvoi[3] s’est opposée à cette solution en estimant qu’il n’y avait pas de provocation à la commission de l’infraction. Un pourvoi a été formé plaidant une atteinte au principe de loyauté de la preuve. C’est ainsi que le 9 décembre 2019, en rejetant le pourvoi, L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu la solution suivante: « Constitue une violation du principe de loyauté de la preuve toute provocation à la commission de l'infraction de la part des agents de l'autorité publique...
Le stratagème employé par un agent de l'autorité publique pour la constatation d'une infraction ou l'identification de ses auteurs ne constitue pas en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve.
Seul est proscrit le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d'une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie.
En l'espèce, le moyen, qui se borne à invoquer le fait que le procédé prétendument déloyal a conduit à l'interpellation de MM. B. et Z., sans démontrer ni même alléguer une atteinte à l'un de leurs droits, n'est pas fondé »
Cette solution affirme que le stratagème employé par une autorité publique pour obtenir une preuve n’est pas en sois une atteinte à la loyauté. L’atteinte ne sera caractérisée que si la loi a été contournée pour obtenir la preuve et seulement a pour objet ou effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels de la personne.
La Cour de cassation semble donc adopter une nouvelle conception de la loyauté de la preuve, plus stricte puisque l’atteinte à ce principe dépend de la caractérisation d’une violation d’un droit essentiel ou d’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie. Cela impliquerait donc, par exemple, une atteinte au droit de ne pas s’auto incriminer.
Cette solution est particulièrement critiquée par la doctrine qui considère qu’en l’espèce, les agissements constituaient une provocation déloyale à la preuve alors que l’Assemblée plénière affirme le contraire. De plus, il est regrettable de délimiter le champ d’application du principe de loyauté à une atteinte aux droits et libertés. Il serait davantage opportun de consacrer une définition légale de cette notion afin de garantir une prévisibilité des décisions. D’autant que plus récemment, le 7 janvier 2020, la Cour de cassation a statué sur une question relative à la loyauté de la preuve sans évoquer une atteinte aux droits essentiels mais uniquement en faisant mention d’un stratagème « Ne constitue pas un stratagème le fait, pour des gendarmes, de consigner dans un procès-verbal des propos qui n'ont pas été recueillis contre le gré de l'intéressé ou à son insu ». Mais l'incertitude demeure : si la condition "d'atteinte aux droits" n'a pas été reprise cette fois, c'est peut-être simplement parce qu'il manquait un préalable nécessaire : l'utilisation d'un stratagème...
L'équipe LPEH
[1] P. Bouzat, La loyauté dans la recherche des preuves in Mél. L. Hugueney : Sirey, 1964, p. 155
[2] Arrêt Texeira de gastro c. Portugal. La Cour considère que l’intervention d’agents infiltrés est admissible dans la mesure où elle est circonscrite et entourée de garantie. Toute fois, elle ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation judiciaire.
Cependant, le 6 mars 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation à apporter une nuance considérable à ce principe en considérant que la provocation à la preuve ne sera pas autorisée si elle porte atteinte aux droits à un procès équitable.
[3] la Cour d’appel de renvoi et la Cour qui statut après une cassation de la Haute juridiction.
Merci Pauline, cet article est très précis et particulièrement intéressant. Il m’a permis de mieux appréhender la notion de loyauté de la preuve. L’illustration à propos de l’affaire de la sextape est également bien trouvé ! Sujet éminemment d’actualité.