Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Eva BAROUK, en septembre 2018, dans La Revue n°2.
Cass. Crim., 16 mai 2018, n°17-81.686
Dans cet arrêt, un homme est soumis à un contrôle routier par des agents des douanes. Circulant en direction d’un bureau de Poste, les douaniers ont alors trouvé dans son véhicule neuf faux chèques, chacun dans une enveloppe. Toutes les enveloppes étaient libellées à l’adresse d’individus connus pour faire partie du réseau criminel « Darknet », ces chèques leur permettant in fine d’opérer des transactions frauduleuses. L’homme a d’abord été poursuivi et condamné par le tribunal correctionnel pour détention de chèques falsifiés ou contrefaits ; or le Ministère Public a interjeté appel, considérant qu’il y avait là tentative d’escroquerie. La cour d’appel retient cette qualification, or la Cour de cassation vient finalement casser cet arrêt.
Il s’agit donc de rappeler ce qu’est l’escroquerie, et ce qu’est la tentative. Tout d’abord, l’escroquerie est définie en ces termes par le Code pénal, à l’article 313-1 : « L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. ». Si l’on pourrait admettre qu’en l’espèce, tout le système mis en place entre le prévenu et le réseau Darknet constitue des manœuvres frauduleuses dans le but de tromper une personne, il est plus malaisé de déduire de ces faits que les agissements du prévenu ont eu pour conséquence de déterminer de tierces personnes à remettre des fonds à leur préjudice. En effet, ce n’est que l’utilisation ultérieure de ces chèques par les membres du réseau Darknet qui conduirait à l’escroquerie. Le fait pour le prévenu de mettre de faux chèques dans des enveloppes destinées à être envoyées à un réseau criminel, n’est pas en soi constitutif d’une escroquerie car ce n’est pas cet acte en lui-même qui vise à escroquer les personnes victimes de ce réseau.
La tentative quant à elle est définie à l’article 121-5 du Code pénal : « La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. ». En l’espèce, le prévenu n’a pas pu poster les chèques en raison d’une circonstance indépendante de sa volonté : l’intervention des douaniers. On pourrait donc penser à la tentative ; or la tentative nécessite un commencement d’exécution. Le commencement d’exécution est l’acte qui tend directement et immédiatement à commettre l’infraction, qui est univoque tant sur l’élément matériel de l’infraction (c’est bien tel acte que le protagoniste va commettre), mais aussi sur l’élément moral de celle-ci (l’auteur ne reculera pas au moment de commettre l’infraction, il en a vraiment l’intention).
Toute la question de cette affaire était donc de savoir si le fait de mettre de faux chèques dans des enveloppes et de conduire en direction d’un bureau de Poste peut constituer un commencement d’exécution. Pour la cour d’appel, la réponse est affirmative, considérant d’une part que l’infraction recherchée est bien l’escroquerie, mais aussi d’autre part que le fait de mettre ces chèques dans des enveloppes et de conduire en direction du bureau de Poste constitue bien le commencement d’exécution de cette infraction. Partant, cette dernière retient la tentative d’escroquerie.
La cour d’appel retient donc ici une conception souple du commencement exécution, en ce sens qu’elle accepte de prendre en compte des actes qui ne sont pourtant pas constitutifs d’une partie de la réalisation matérielle, concrète, de l’infraction. Ces actes sont antérieurs et extérieurs à l’infraction ici recherchée : l’escroquerie. Cette conception permet d’éviter que l’infraction ne soit finalement commise. Le commencement d’exécution ainsi retenu est le commencement d’une tentative, et non pas le commencement d’une infraction : les actes exécutés ont beau être différents de ceux constituant l’infraction l'escroquerie, la cour d’appel préfère retenir cette conception large. Cette vision des choses permet certes d’empêcher la commission de l’infraction ; cependant, elle peut être dangereuse. En effet, plus le droit incrimine tôt les actes, plus le doute est permis quant à la réelle future commission de l’acte et donc à la véritable culpabilité de son auteur. La Cour de cassation vient donc ici confirmer une position plus prédominante en jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation vient casser cet arrêt, affirmant que les actes réalisés par le prévenu ne constituent pas un quelconque commencement d’exécution mais bien des actes préparatoires. Les actes préparatoires visent à préparer une infraction mais ne sont pas réprimés par la loi pénale, étant donné que l’on ne peut affirmer, à ce stade, que les actes effectués tendent directement et immédiatement à la commission de l’infraction. De plus, quand bien même ces actes auraient abouti comme prévu par le prévenu, ils n’auraient pas été constitutifs d’escroquerie : comme nous l’avons vu plus haut, ils ne tendent pas à consommer l’infraction d’escroquerie.
La Cour de cassation énonce à ce sujet que ces actes n’ont « pas pour conséquence directe et immédiate la consommation d'escroqueries, alors que les faux chèques étaient destinés par le prévenu non pas directement à des victimes contre remise recherchée de fonds... mais à des malfaiteurs censés s'en servir comme moyen pour tirer profit de transactions frauduleuses ». De fait, elle préfère retenir une conception plus matérielle du commencement d’exécution, en affirmant qu’il doit être caractérisé seulement par un acte qui révèle sans aucun doute possible l’infraction recherchée par l’auteur. Les actes doivent alors être extrêmement proches de la consommation de l’infraction. Cette conception est certes plus pragmatique et donne le risque de ne pas incriminer des actes assez tôt, mais pour autant elle a le mérite de réduire la marge d’erreur possible en n’incriminant pas prématurément et systématiquement certains actes qui n’auraient peut être finalement jamais donné lieu à une quelconque infraction. Cela rappelle les solutions retenues concernant la tentative d’escroquerie à l’assurance : tant que l’auteur n’a pas sollicité l’indemnisation à sa compagnie d’assurance, la tentative n’est jamais retenue. Ainsi par exemple, le fait de détruire volontairement son véhicule dans le but de déclarer un sinistre ne peut, à lui seul, prouver la tentative d’escroquerie. La tentative ne pourra être retenue que quand l’indemnisation a été demandée auprès de la compagnie d’assurance. Ce n’est que lors de cette déclaration mensongère que l’intention et le projet criminels apparaissent sans équivoque et permettent d’affirmer avec certitude l’existence d’une tentative d’escroquerie.
On peut donc déduire de tout cela que ni l’escroquerie, ni même sa tentative n’étaient les qualifications adéquates à donner à ces actes. La Cour de cassation propose plutôt de partir sur la qualification de tentative d’usage de chèques contrefaits, ce qui semble plus judicieux. En effet, le prévenu avait bien la volonté, en conduisant en direction du bureau de Poste avec les enveloppes litigieuses, de les poster et donc d’user de ces faux chèques ; son acte tendait directement et immédiatement à user de ces chèques contrefaits. La tentative s’appliquerait donc bien concernant cette infraction d’usage de faux. De fait, cet arrêt a donné l’occasion à la Cour de cassation d’écarter la qualification d’escroquerie s’agissant des actes commis par le prévenu, mais aussi de rappeler aux juges du fond la distinction entre un acte préparatoire et un commencement d’exécution, s’il était toutefois encore nécessaire de le faire...
Eva BAROUK
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