La preuve permet d’établir la vérité, d’emporter l’intime conviction du juge, voire des jurés. Elle est apportée devant les juridictions pénales afin de caractériser la culpabilité ou l’innocence de l’individu soupçonné d’avoir porté atteinte à l’ordre public. Ces atteintes peuvent être de trois types, en fonction de leur gravité. De la plus grave à la moins grave, les infractions sont catégorisées[1] en tant que crime, délit, ou contravention[2]. Cette classification détermine la juridiction pénale compétente pour les juger, le Tribunal de police pour les contraventions[3], le Tribunal correctionnel pour les délits[4], et la Cour d’assises ou la Cour criminelle départementale pour les crimes[5], par principe. La distinction entre ces deux juridictions criminelles est que la Cour criminelle départementale[6] ne sera compétente que pour les personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle, en dehors d’un cas de récidive légale, en premier ressort. Les autres crimes, et ceux commis en récidive, ou en instance d’appel, sont de la compétence de la Cour d’assises. Il est à préciser, qu’aux côtés de ces juridictions de droit commun existent des juridictions d’exception, comme le Tribunal pour enfants pour juger, par principe, les délits des mineurs, ou encore, la Cour de justice de la République pour juger les actes commis par les membres du Gouvernement dans l’exercice de leur fonction. Ces juridictions d’exception ne seront pas traitées, il s’agira de voir les différences entre les juridictions de droit commun.
Ces différentes juridictions ont des compositions distinctes, pouvant aller d’une juridiction à juge unique, à une juridiction avec trois magistrats et un jury populaire, en passant par la collégialité exercée par trois magistrats.
Cette composition intéresse la preuve, en ce que la formation de l’instance est décisionnaire du poids de celle-ci. En effet, la preuve pénale est libre en droit français[7].
Dès lors, par principe, le juge ne peut exclure un mode de preuve, sauf prescription légale contraire. Cette liberté a pour corollaire le principe du contradictoire, ainsi la discussion de ces preuves, pour convaincre du caractère probant de l’élément. En effet, la preuve est libre, cependant la valeur et la portée des moyens rapportés et discutés à l’audience restent soumis à la souveraine appréciation des juges[8].
Par conséquent, la juridiction de jugement saisie est un élément à prendre en considération au regard du poids de la preuve apportée.
En quoi la composition de la juridiction pénale impacte-t-elle le poids de la preuve ?
Chaque juridiction a ses spécificités procédurales, propres à son domaine de compétence, qui peuvent influencer l’appréciation des moyens de preuve par le(s) juge(s). Également, certaines fragilités probatoires sont communes à toutes les juridictions. Néanmoins, le corps de règles générales aux jugement pénaux assure que chaque décision respecte le principe de légalité.
Le tribunal de police
Cette juridiction est composée d’un magistrat qui préside l’audience[9], elle est compétente pour les contraventions.
La preuve d’une contravention est constituée généralement par procès-verbal ou par rapports ou par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui[10]. Ce mode de preuve par procès-verbal est particulier en ce qu’il constitue une présomption légale. Sauf disposition légale contraire, les procès-verbaux et rapports établis par un agent habilité, ayant personnellement constaté l’infraction (comme un officier de police judiciaire) valent jusqu’à preuve contraire[11]. Cette position a été réaffirmée dans une décision de la Chambre criminelle du 13 mars 2012[12]. Le juge sera tenu de considérer ces éléments procéduraux comme probants, et ne pourra les infirmer de sa propre initiative. Le prévenu supportera la charge de la preuve contraire, par le biais des procédés cités à l’article 537 du Code de procédure pénale, selon un arrêt du 15 février 2000[13]. En dehors des cas de cet article, la preuve peut être établie par tout moyen.
De plus, le président n’est pas tenu de motiver sa décision sur le fond, ni sur la peine. Une décision du 22 octobre 2008 de la Cour de cassation précise expressément que le président du Tribunal de police n’est pas tenu de motiver spécialement le montant d’une amende choisi[14]. Sur le fond, si le magistrat « estime » que le fait constitue une contravention, il peut prononcer une peine[15]. Sa seule obligation est de vérifier que le fait poursuivi constitue une contravention[16].
Par conséquent, les règles de procédure pénale propres au Tribunal de police facilitent l’apport de preuve pour la répression des contraventions, d’autant que le magistrat ne se verra pas incomber l’obligation de motiver sa décision.
Ces éléments peuvent s’expliquer par la faible hauteur des peines encourues pour ce type d’infraction.
Le tribunal correctionnel
Le Tribunal correctionnel est la juridiction compétente pour juger des délits, et des contraventions connexes, en dehors des cas où la loi en dispose autrement. Il est composé de trois magistrats, soit un président et deux assesseurs. Si le procès va engendrer de longs débats, le président du tribunal judiciaire pourra désigner des magistrats supplémentaires pour assister aux débats. Inversement, pour certaines infractions listées à l’article 398-1 du Code de procédure pénale, la composition du Tribunal correctionnel sera à juge unique. Cette formation pourra toutefois, d’office ou sur demande des parties ou du ministère public, renvoyer l’affaire à la formation collégiale si l’affaire est complexe[17].
Au cours de l’audience en formation collégiale les assesseurs pourront poser des questions concernant les moyens de preuve apportés. Cette possibilité permet de discuter de la valeur d’un moyen de preuve, et ainsi de renforcer leur conviction.
L’unique exception aux principes attachés à la preuve pénale est l’existence de présomptions. En effet, la jurisprudence a dégagé des présomptions pour certains modes de preuve, que les juges pourront d’office considérer comme ayant une force probante. C’est le cas, par exemple, des pièces issues d’une autre procédure soumise à la contradiction des parties[18].
Ainsi, comme devant le Tribunal de police, certaines preuves ne seront pas soumises à l’appréciation des juges, elles seront immédiatement considérées comme probantes.
La Cour d’assises
La Cour d’assises est la formation compétente pour juger les crimes, en dehors du champ de compétence de la Cour criminelle départementale. Elle est composée de trois magistrats, soit un président, et deux assesseurs, mais également, d’un jury criminel. Le jury est composé de six personnes en première instance, et de neuf en appel[19].
Il s’agit d’une juridiction singulière, au regard de son jury populaire et de sa procédure pénale propre. Notamment, les jurés en ce qu’ils sont le symbole de la démocratie participative. Dès lors, l’appréciation des moyens de preuve et leur poids dans la décision à venir sont d’autant plus particuliers puisque la composition de la juridiction est bien plus étendue dans son effectif et dans sa diversité.
L’oralité a une place primordiale durant les procès d’assises. Elle prime sur la procédure écrite, ce qui fait état du caractère accusatoire des procès pénaux. La conviction de la cour ne pourra se fonder que sur les débats oraux tenus devant lui. Ainsi, la conviction des jurés reposera exclusivement sur les débats[20]. Ce principe est une règle d’ordre public. Dès lors, il sera nécessaire pour les parties d’évoquer tous les points qu’elles estiment nécessaires à l’audience afin de s’assurer qu’ils soient considérés dans le délibéré.
L’appréciation de la preuve est dépendante de sa présentation et démonstration orale lors de l’audience. Même s’il est à noter que des pièces écrites peuvent être lues au cours des débats.
Une autre particularité de cette juridiction tient à la motivation de l’arrêt rendu. En effet, pendant longtemps la Cour d’assises n’était pas tenue de motiver ses décisions en raison du jury populaire. Cette absence de motivation rendait opaque le poids des preuves apportées à l’audience, et dès lors, leur impact sur l’intime conviction de la cour. Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel avait estimé que cette absence de motivation ne constituait pas une violation du droit à un procès équitable[21]. Dans un second temps, la loi du 10 août 2011 est venue modifier les articles 353 et 365-1 du Code de procédure pénale pour exiger une motivation des décisions rendues par les Cours d’assises. En effet, il s’agit de la feuille de motivation venant énoncer les principaux éléments ayant convaincu de l’acquittement ou de la culpabilité de l'accusé, et dans ce dernier cas, de la peine prononcée à son encontre[22]. Il s’agit d’un véritable progrès pour la compréhension des décisions, mais également, pour la transparence dans la prise en considération des moyens de preuve.
La Cour criminelle départementale
La Cour criminelle départementale est compétente pour juger les personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ans ou de 20 ans de réclusion criminelle, en dehors des cas de récidive légale, en premier ressort. Elle se compose de cinq magistrats professionnels, dont deux d’entre eux peuvent être des magistrats honoraires ou des magistrats exerçant à titre temporaire.
Il s’agit d’une juridiction pénale récente. Elle a été introduite à titre expérimental par l’article 63 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Elle a été généralisée le 1er janvier 2023[23]. Sa particularité est de supprimer le jury populaire pour le jugement des crimes de sa compétence.
Suite à un rapport d’octobre 2022[24], plusieurs éléments concernant la preuve sont à relever. D’une part, les débats sont plus centrés sur les aspects techniques et juridiques.
Ce constat permet d’estimer que l’appréciation des moyens de preuve est plus précise qu’au sein de la Cour d’assises puisque seuls des professionnels y sont confrontés.
D’autre part, la composition de cette juridiction permettrait d’éviter des aléas judiciaires, parfois constatés devant la Cour d’assises. Ainsi, cette juridiction assurerait une appréciation plus constante et uniforme des preuves que la Cour d’assises.
De même, l’association France Victimes suite à ce rapport d’octobre 2022 s’est exprimée sur cette juridiction[25]. Elle a précisé que les victimes sont moins inquiétées de témoigner devant cette juridiction que devant la Cour d’assises puisque le nombre de personnes présentes y est moins important, ce qui assure un « meilleur » témoignage et ainsi, une preuve de meilleure qualité. Également, il y a moins d’effort pédagogique à fournir pour expliquer certains éléments de preuve compte tenu du fait qu’il n’y a plus de jury. Enfin, les juges ont accès au dossier de la procédure, contrairement aux jurés d’assises, ce qui facilite l’appréhension de l’affaire.
Cette nouvelle juridiction est encore source de controverses, néanmoins il semblerait que l’aspect probatoire y est plus précis et plus simple à délivrer et à recevoir.
Une liberté d’appréciation encadrée par la légalité
Le droit pénal français, contrairement à celui d’autres pays, ne repose pas sur un système de preuve légale, il repose sur la preuve morale, soit l’intime conviction des juges, voire des jurés[26]. Ainsi, il n’y a aucune classification des preuves, le juge apprécie souverainement la valeur des preuves fournies.
Le juge rend une décision eu égard aux éléments de preuve devant exclure tout doute sur la culpabilité d’un individu. Ainsi, le juge dispose d’une grande liberté dans l’appréciation des moyens de preuve qui lui sont soumis.
Toutefois, il convient de rappeler que ce système de l’intime conviction n’est pas sans limite, puisqu’en effet la procédure pénale impose divers principes à respecter pour assurer la légalité du procès.
L’appréciation de la preuve pénale est libre, tout en étant soumise à des principes et obligations, afin d’en assurer la légalité.
Le principe au cœur de la justice pénale est celui du contradictoire. Le juge répressif ne doit fonder sa décision que sur des preuves produites aux débats et, soumises à la libre discussion des parties[27].
Également, le procès pénal est soumis à la publicité des audiences, sauf en cas de huis clos. Selon la CEDH, « la publicité des débats est un principe fondamental qui protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue l’un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et les tribunaux »[28].
Par conséquent, l’appréciation de la preuve peut varier selon les juridictions pénales, du fait de leur composition, mais également, compte tenu des particularités procédurales qui leur sont attachées.
Toutefois, dans un souci de légalité, la procédure pénale garantie des principes immuables pour limiter les divergences d’appréciation d’une juridiction à une autre. À noter que ces divergences d’appréciation peuvent se justifier par la différence de gravité des infractions dont ces juridictions ont à connaître.
Ainsi, des divergences sont à relever, sans pour autant que celles-ci ne constituent un problème puisqu’elles peuvent être justifiées, et sont encadrées.
Mathilde SAUER
[1] Art. 111-1 C.pén.
[2] Sur ce point, voir : Focus n°2 La distinction entre crimes, délits et contraventions, Adélie Jeanson-Souchon, 27 mai 2021, https://www.lespenalistesenherbe.com/focus
[3] Art. 521 C.proc.pén.
[4] Art. 381 C.proc.pén.
[5] Art. 231 C.proc.pén.
[6] Art. 380-16 C.proc.pén.
[7] Art. 427 C.proc.pén.
[8] Cass. Crim., 23 janvier 1964 n°62-92.440 ; Cass. Crim., 28 oct 1975 n°74-93.413 ; Cass. Crim., 28 juin 1995 n°94-85.684
[9] Art. 523 C.proc.pén.
[10] Art. 537 C.proc.pén.
[11] Voir l’article disponible dans cette revue : « Les procès-verbaux de constat : une super preuve ? », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[12] Cass. Crim., 13 mars 2012 n°11-84.892
[13] Cass. Crim., 15 février 2000 n°99-83.971
[14] Cass. Crim., 22 octobre 2008 n°07-88.111
[15] Art. 539 C.proc.pén.
[16] Cass. Crim., 31 mai 2005 n°04-86.384
[17] Art. 398-3 al. 3 C.proc.pén.
[18] Cass. Crim., 19 décembre 1973 n°73-90.924
[19] Art. 240 C.proc.pén.
[20] Cass. Crim., 7 janvier 1841
[21] QPC 1er avril 2011
[22] QPC 2 mars 2018 n°2017-694
[23] Loi n°2021-1729 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire
[24] Rapport du comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale – octobre 2022
[26] Voir l’article disponible dans cette revue : « Preuve et intime conviction », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[27] Art. 427 al. 2 C.proc.pén.
[28] CEDH 24 novembre 1997 Szücs et Werner contre Autriche
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