top of page

La géolocalisation en procédure pénale

Photo du rédacteur: Les Pénalistes en HerbeLes Pénalistes en Herbe


La surveillance par géolocalisation en temps réel devient une pratique policière de plus en plus courante. Indéniablement, elle présente de nombreux avantages par rapport aux filatures et surveillances visuelles qui requièrent la mise à disposition de moyens plus importants en personnel et en matériel. 

Il convient de distinguer deux techniques de géolocalisation en temps réel qui peuvent être mises en œuvre au cours d'une enquête soit par un téléphone[1] soit par une balise.


Le recours à un tel moyen de preuve est-il valable en matière pénale ?


Brièvement, il conviendra de rappeler l’évolution jurisprudentielle et législative sur la question.

Jurisprudence européenne (2010) : la Cour européenne des droits de l'homme, via l'arrêt Uzun c/ Allemagne [2], établit des conditions strictes pour la validité de la géolocalisation, fondées sur les principes de nécessité et de proportionnalité (article 8 § 2 de la Conv. EDH).

Jurisprudence interne (2013) : la Cour de cassation[3] reconnaît la géolocalisation comme un moyen légitime d’enquête, basé sur l'article 81 du Code de procédure pénale (CPP). Cependant, elle interdit au procureur de recourir à cette mesure sur le fondement de l’article 41 du CPP.

Intervention législative (2014-2019) : la loi du 28 mars 2014[4] encadre la surveillance par géolocalisation, renforcée en 2019. Les règles sont inscrites aux articles 230-32 à 230-44 du CPP.


I. L’application de la surveillance par géolocalisation (art 230-32 du CPP & s.)


En principe, il peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national d’une personne à son insu, d’un véhicule ou de tout autre objet (sans le consentement du propriétaire ou du possesseur). 


Le code de procédure pénal exclut du champ d’application du dispositif la géolocalisation d’un objet appartenant à la victime d’une infraction ou à une personne disparue. La recherche de l’objet dérobé ou de la personne disparue n’est pas soumise au contrôle d’un magistrat indépendant et fait l’objet de réquisitions judiciaires (Article 230-44 du CPP[5]).


Sous cette réserve, la géolocalisation ne peut être pratiquée qu’en raison de la nécessité d’une enquête ou d’une instruction relative à un crime ou délit, puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, ou d’une enquête ou instruction relative à la recherche des causes de la mort d’une personne disparue ou en fuite.

Le procédé technique est mis en place par l’officier de police judiciaire ou sous sa responsabilité par un agent de police judiciaire. 



A. Qui peut autoriser une telle surveillance ?

Enquête 

Instruction 

- Par le procureur 

- 8 jours, ou 15 jours (pour les infraction en criminalité organisée), consécutifs

- Renouvelable par le JLD (sur requête du procureur) pour 1 mois[6]

- Par le juge d’instruction 

- 4 mois 

- Renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée


L’autorisation des mesures peut être renouvelée sans limite. Cependant, la durée totale des opérations ne peut excéder un an, ou deux ans pour les infractions de criminalité et délinquance organisée (art 706-73 ou 706-73-1). 


Les décisions du JLD et du juge d’instruction sont écrites. Cependant, elles n’ont pas de caractère juridictionnel et sont insusceptibles de recours



B. Où la surveillance peut-elle être mise en place ? (Art. 230-34 du CPP)

L'autorisation est donnée par le procureur (dans le cadre d’une enquête) ou le juge d’instruction (en cas d’ouverture d’une information judiciaire) pour autoriser la pénétration dans les lieux privés utilisés comme entrepôt de véhicules, de fonds ou valeurs, ou dans un véhicule situé sur la voie publique[7] afin d’y installer un dispositif de géolocalisation (balise). Cette autorisation peut être donnée une installation en dehors des heures prévues en dehors des horaires légaux applicables aux perquisitions (6h-21h ; Art 59 du CPP).


“Cette catégorie désigne notamment les parkings dans lesquels des véhicules peuvent être garés, ainsi que les conteneurs ou les hangars dans lesquels diverses marchandises sont entreposées. Elle concerne également l’habitacle d’un véhicule dans lequel il est parfois nécessaire de pénétrer pour installer ou retirer une balise de géolocalisation.” [8]

S’agissant des lieux privés ne constituant pas des lieux d’entrepôt ou des lieux d’habitation, l’utilisation de la géolocalisation a notamment vocation à encadrer la pénétration dans les locaux professionnels. Par exemple, les locaux d’une administration, d’une banque, ou de toute entreprise dans lesquels il serait nécessaire de pénétrer pour installer un dispositif de géolocalisation.

L’introduction dans ces lieux privés suppose que la procédure soit relative à une infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à 5 ans, ou soit diligentée dans le cadre d'une enquête ou d’une instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition (Art 74 à 74-2 ou 80-4 du CPP).

Le procureur de la République ou le juge d’instruction sont compétents pour autoriser la pénétration dans cette catégorie de lieux, y compris en dehors des heures légales.


S’agissant des lieux privés d’habitation, une autorisation est donnée par le juge des libertés et de la détention sur requête du procureur (dans le cadre d’une enquête), ou par le juge d’instruction (dans le cadre d’une information judiciaire)[9]. Sont notamment concernés les maisons, les appartements, et leurs annexes ou dépendances (garage, un jardin clos du moment qu’il est situé dans la dépendance étroite et immédiate de l’habitation).


Si le véhicule est géolocalisé en dehors du territoire national, les données issues de cette géolocalisation ne peuvent être exploitées que sur autorisation de l’autorité compétente de l’Etat étranger.[10]


S’agissant des lieux mentionnés aux articles 56-1 à 56-4 du CPP (avocat, presse, notaire, médecin, huissier, secret défense) et le bureau ou le domicile des personnes mentionnées à l’article 100-7 du CPP (magistrats, députés, sénateurs), la mise en place du moyen technique de géolocalisation est exclue (Art 230-34 du CPP, dernier alinéa). 


Les opérations de géolocalisation doivent être réalisées “aux seules fins de mettre en place le moyen technique”, excluant ainsi la réalisation concomitante de toute saisie ou perquisition[11].



C. Conditions dérogatoires dans le cadre de l’urgence

En cas d'urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, les opérations peuvent être mises en place ou prescrites par un officier de police judiciaire qui en informe immédiatement le procureur ou le juge d'instruction[12]


S’il s’agit de s’introduire dans un lieu privé, l'OPJ doit obtenir l’accord :

- du JLD saisi par le procureur 

- ou du juge d’instruction, ou, si l'introduction doit avoir lieu en dehors des heures légales, du JLD saisi à cette fin par le juge d'instruction.


Ces magistrats disposent d’un délai de 24h  pour prescrire par décision écrite la poursuite des opérations. À défaut, la géolocalisation prend fin[13].


D. La nouveauté : l’activation à distance d'un appareil électronique aux fins de géolocalisation (art. 230-34-1 du CPP)

Depuis 2023, l’article 230-34-1 du CPP autorise l’activation à distance d’un dispositif électronique pour localiser une personne en temps réel, applicable aux enquêtes sur des infractions passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement.


Enquête : autorisation par le JLD sur requête du procureur, pour un mois renouvelable.

Instruction : décision du juge d’instruction, pour une durée maximale de quatre mois renouvelable 


II. L’exécution de la surveillance par géolocalisation 


Pour mettre en œuvre le dispositif autorisé, le JLD, le procureur ou l’officier de police judiciaire peut solliciter l’intervention de tout agent compétent ou d’un service ou organisme placé sous l’autorité ou le contrôle du ministère de l’Intérieur. Les opérations sont effectuées sous la supervision du magistrat ayant donné l’autorisation. En cas de découverte d’autres infractions, les procédures incidentes ne sont pas annulées.


L'officier de police judiciaire (ou l'agent) dresse un procès-verbal de chaque opération effectuée, décrivant le dispositif technique et les opérations réalisées, ainsi que les circonstances de mise en place de l'opération. Il mentionne la date, l'heure de début et de la fin de l’opération[14].


Dans le cadre de la criminalité ou délinquance organisée, le juge des libertés et de la détention peut autoriser, sur demande du juge d'instruction, la non-mention de certaines informations liées à la géolocalisation (date, heure, moyen technique, etc.) pour protéger les investigations. Ces informations sont consignées dans un procès-verbal distinct, non joint au dossier, mais inscrites dans un registre spécifique (Article 230-40 du CPP).

La personne mise en examen ou le témoin assisté peut contester cette mesure dans un délai de 10 jours après avoir pris connaissance des opérations. Le président de la chambre de l'instruction examine alors la demande et peut soit annuler l'opération pour non-respect des conditions légales ou atteinte aux droits de la défense, soit ordonner le versement des documents occultés au dossier. Sa décision est rendue par ordonnance motivée, sans possibilité de recours (Article 230-41 du CPP).

La loi précise qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur la base des éléments obtenus par géolocalisation non mentionnée dans le procès-verbal, sauf si ce dernier a été intégré au dossier (Article 230-42 du CPP).



Steeve Loriau


Bibliographie consultée 

Bouloc Bernard. Procédure pénale. 29e éd., Dalloz, 2023.

Bouloc Bernard, et Haritini Matsopoulou. Droit pénal général et procédure pénale. 23e éd., Sirey, 2022.

Crocq Jean-Christophe. Le guide pénal: Procédure - Infractions. 26e éd., Editions Dalloz, 2024.






[1] Précision sur la géolocalisation d’un téléphone au moyen d’une ligne téléphonique : Elle nécessite un encadrement conforme au droit de l’Union européenne. En France, le procureur peut ordonner cette mesure sans contrôle préalable. La Cour de cassation juge cette règle contraire au droit européen (Crim. 27 févr. 2024, n° 23-81.061), mais précise que l'annulation d'une géolocalisation n'est possible que si elle a causé un préjudice, par exemple si elle n’était pas nécessaire ou hors du cadre de la lutte contre la criminalité grave. 

[2] CEDH, 5e sect., 2 sept. 2010, n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011, p. 724, note H. Matsopoulou

[3] Crim. 22 nov. 2011, n°11-84.308, Bull, crim. n° 234 ; Crim. 19 nov. 2013, n° 13-84.909 ; Crim. 14 janv. 2014, n° 13-84.909 ; Pour aller plus loin : v. H. Matsopoulou, L'illégalité des surveillances par « géolocalisation autorisées par le ministère public », D. 2014, p. 115

[4] LOI n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, modifié par la loi du 23 mars 2019 ; Pour aller plus loin : J.-P. Valat, “La loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation”, Dr. pénal 2014, étude n°12. 

[5] Pour aller plus loin : Une autre infraction peut être constatée de façon incidente du moment que la localisation d’un objet ou une personne n’est pas utilisée dans ce but directement (sinon elle est soumise au dispositif de la géolocalisation). Ces mesures ne sont soumises à aucun formalisme particulier ni à aucune condition de durée. Néanmoins, ces mesures ne devront être mises en œuvre que le temps strictement nécessaire à la localisation de la victime, de la personne disparue ou de l’objet dérobé.

[6] Crim 19 février 2019, n°18-84.671 : La loi n’exige par une continuité entre l’expiration du délai autorisé par le procureur et la délivrance de l’autorisation du JLD.

[7] Crim 8 juillet 2015, n°15-81.731, : l’ordonnance doit être motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire ; Pour un rappel récent sur l’exigence de motivation : Crim 1er octobre 2024 n° 24-80.363 ; Crim 17 novembre 2015 n°15-84.025 : L'ordonnance ne saurait valider une opération précédemment engagée.

[8] Circulaire du 1er avril 2014 de présentation de la loi n°2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation NOR : JUSD1407842C

[9] Crim 23 mai 2017 n°16-87.323 ; Crim 18 juin 2019 n° 18-86.421: un parking d’un hôtel n’est pas un lieu d’habitation mais un lieu privé destiné à l’entrepôt de véhicule

[10] Crim 9 février 2016 n°15-85.070 ; Crim 2 mars 2021 n°20-84.004 : en l'absence de toute indication sur son itinéraire dans le pays étranger, le PV des opérations de géolocalisation qui mentionne une simple indication de franchissement des frontières n’encourt pas la nullité.

[11] Circulaire du 1er avril 2014, op. cit. 

[12] Crim. 29 sept. 2020, n° 20-80.915 : la présence de circonstances insurmontables permettrait de déroger à cette obligation d’information.

[13] Crim 9 mai 2018 n°17-86.558 ; Crim 29 septembre 2020, n°20-80.915 : l'ordonnance doit énoncer les circonstances de fait établissant l'existence du risque éminent 

[14] Crim 11  mai 2021 n°20-86.182 : l’absence d’heure d’installation et du début de l’enregistrement ne fait pas grief hors les cas d’urgence ou de lieu privé

[15] Cons. const. n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 : À moins que la requête ou le procès-verbal mentionnés au dernier alinéa de l'article 230-40 n'aient été intégrés au dossier conformément à l'article 230-41, il incombe à la chambre de l'instruction d'ordonner le retrait des éléments recueillis dans les conditions prévues par l'article 230-40 avant la saisine de la juridiction de jugement.

76 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


© 2023 par Les Pénalistes en Herbe

CULTIVEZ VOTRE GRAINE DE CURIOSITÉ !  

  • hello_asso-removebg-preview
  • Logo-Facebook-rond
  • IMG-1262-removebg-preview
  • IMG-1261-removebg-preview
  • IMG-0951-removebg-preview
bottom of page