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La cour criminelle départementale : retour sur les premières audiences expérimentales

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023




« La Cour » ! La nouvelle juridiction est annoncée, c’est la cour criminelle départementale. Ce qui est le plus remarquable c’est que cette cour n’est composée uniquement de magistrats professionnels, il n’y a pas de jurés, c’est l’essence même de cette juridiction de jugement. La loi du 23 mars 2019[1] a instauré la cour criminelle départementale. Son article 63 dispose donc que « les personnes majeures accusées d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale, sont jugées en premier ressort par la cour criminelle ». La composition de cette juridiction est donc constituée d’un président et de quatre assesseurs, et donc juge les crimes les moins graves quant à leurs peines.

"Nous vivons donc sans doute les dernières heures de la cour d’assises telle qu’on la connaissait jusqu’à présent avec cette nouvelle juridiction, qui vient compléter les juridictions répressives dans l’ordre judiciaire."

Cette réforme a, par ailleurs, affaibli considérablement le principe de l’oralité des débats devant la cour d’assises, puisque l’ensemble de la composition a désormais accès au dossier et il pourra être emporté dans le cadre du délibéré[2].

Pour l’heure, cette juridiction est en cours d’expérimentation pour une durée de trois ans dans sept départements[3]. L’objectif affiché est d’éviter la correctionnalisation des infractions criminelles et l’aléa des décisions des jurés. En effet, à la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi[4], il y est affirmé que cette nouvelle juridiction est créée « afin principalement de réduire la durée des audiences, de permettre ainsi le jugement d’un plus grand nombre d’affaires à chaque session, et de limiter par voie de conséquence les délais d’audiencement. » Le terme « principalement » laisse perplexe quant aux objectifs des évolutions. Et, forcément, en toile de fond, il apparait un objectif budgétaire à cette réforme du fait du coût des audiences criminelles des cours d’assises[5].

De prime abord, il est évident qu’il sera difficile de mobiliser cinq magistrats professionnels pour une audience criminelle, alors que jusque maintenant trois suffisaient. Cependant l’audience devrait durer a priori moins longtemps. De plus, avec l’extension de l’amende forfaitaire et le développement du juge unique résultant de cette même loi[6], la réussite est acquise pour certains[7]. Il sera donc difficile de ne pas généraliser cette nouvelle juridiction.


Nous vivons donc sans doute les dernières heures de la cour d’assises telle qu’on la connaissait jusqu’à présent avec cette nouvelle juridiction, qui vient compléter les juridictions répressives dans l’ordre judiciaire.

Remarquons à l’occasion que l’intérêt de la classification tripartite des infractions pour déterminer la compétence matérielle des juridictions répressives[8] est, avec la cour criminelle départementale, rendue flou.

Il apparaitra donc intéressant de faire un bilan global des premières audiences expérimentales dans les cours criminelles départementales. La pratique judicaire à l’épreuve de l’expérimentation. Les premières audiences expérimentales et retour d’expérience[9] conduisent essentiellement à indiquer que les objectifs seront remplis en fonction des pratiques judiciaires.


Un des objectifs de la réforme est de gagner en rapidité de jugement des crimes et, évidemment une rapidité d’audiencement, cela est clairement indiqué dans l’exposé des motifs de la loi[10]. Un des autres objectifs affichés est d’éviter la correctionnalisation[11] de certaines affaires. En effet, le co-rapporteur Monsieur le Sénateur Monsieur François-Noël Buffet indiquait que « L’intérêt de cette mesure est que certaines infractions ne seront plus correctionnalisées. »[12]


Lorsqu’à Caen les premières audiences de cette nouvelle juridiction se déroulent sur une journée pour des ordonnances de mises en accusation rendues quatre mois avant l’audience, l’objectif semble rempli. Mais, lorsque dans d’autres cours criminelles départementales, comme sa consœur de Normandie à Rouen ou celle de Versailles[13], les dossiers sont audiencés comme pour une cour d’assises, sur deux (ou plus) jours d’audience, avec des délais qui ne changent pas, on ne peut pas dire que l’objectif sera rempli. Bien au contraire. Cela est d’autant plus remarquable que les mécanismes procéduraux mis à la disposition de cette nouvelle juridiction ne sont pas appliqués devant ces cours. Les magistrats en charge des affaires criminelles dans ces cours n’ont pas souhaité appliquer pleinement la réforme. Alors que dans d’autres comme celles de Bourges ou de Caen, où la réforme est appliquée pleinement, les affaires sont audiencées plus rapidement et les audiences sont plus rapides, les assesseurs accèdent au dossier, peu de témoin et d’experts sont cités …

La présidente de la cour criminelle siégeant à Caen nuance cela, en indiquant que des dossiers seront audiencés sur plusieurs jours (deux) pour des dossiers où les faits seront contestés[14]. Cela conduirait presque à réfléchir sur la systématisation de cette cour criminelle départementale pour les infractions criminelles non contestées.


S’agissant de la procédure, pour certains magistrats c’est une anomalie que cette juridiction ait la même procédure que la cour d’assises. En assistant à de telles audiences, on se pose inévitablement la question de l’adaptation de la procédure à cette cour criminelle. En échangeant avec l’avocat général près la cour d’assises du Calvados, celui-ci affirme qu’il n’y a plus d’oralité des débats avec ces juridictions criminelles, il y a le respect du principe du contradictoire, mais l’oralité des débats n’est plus.

"Ce qui est principalement regrettable dans cette absence de jurés est qu’il est enlevé le caractère démocratique des audiences criminelles"

L’absence des jurés est remarquable et se ressent sur plusieurs points.

En premier lieu sur l’ambiance dans la salle d’audience, le caractère solennel accentué réside, cependant l’aspect émotionnel, qui est important dans une salle d’audience de cour d’assises, n’est pas présent (ou aussi présent) dans une cour criminelle départementale. La salle d’audience de la cour d’assises a pour habitude d’entendre la vie des parties, et la charge émotionnelle est importante, l’un encourt une peine privative de liberté, l’autre souhaite que soit reconnu son statut de victime, certains découvrent l’enceinte judiciaire, et les derniers cherchent la vérité judiciaire. L’ensemble de ces aspects donne une charge émotionnelle qui ne se retrouve pas dans une cour criminelle départementale. Ce qui a pour conséquence indirecte de ne pas voir les avocats accentuer ce côté émotionnel comme ils le feraient dans le cadre des cours d’assises.


En second lieu, un assesseur magistrat honoraire (permanent des audiences criminelles) indiquait que son positionnement dans le cadre du délibéré est plus aisé, puisque ce n’est pas évident pour ces magistrats professionnels de donner leur avis en présence des jurés, il y a une inquiétude certaine pour eux de ne pas influencer les jurés[15].

Ce qui est principalement regrettable dans cette absence de jurés est qu’il est enlevé le caractère démocratique des audiences criminelles[16]. Certes la cour d’assises n’est pas supprimée totalement, mais l’intervention moindre des jurés, éloigne le citoyen de la justice en tant que juge et c’est donc la démocratie directe qui recule. La cour d’assises étant le reflet de la démocratie. La Présidente de la Cour d’assises de la Somme[17], introduisait presque systématiquement les sessions par ces quelques mots « la Cour d’assises est l’émanation de la démocratie ». De plus, M. Denis Salas affirme, qu’« avec son jury populaire, la Cour d’assises est le miroir d’un idéal démocratique »[18].

"Une fois encore pour que l’expérimentation puisse être évaluée, il est nécessaire que les juridictions désignées s’en emparent et que les moyens y soient déployés."

Les moyens humains des juridictions de jugement criminel. A la problématique de l’engorgement des cours d’assises et à la volonté de raccourcir les délais de jugements des crimes, la réponse n’est pas une augmentation des moyens notamment humains au sein des juridictions criminelles mais celle de la création de cette nouvelle juridiction. Lorsqu’est donc posée la question des moyens, notamment au greffe, il y a une gêne à répondre. En effet, les moyens humains ne sont pas arrivés ou que très peu. Deux exemples parmi les cours criminelles départementales, les cours normandes du Calvados et de la Seine-Maritime, l’une ses effectifs de greffe ont été doublés trois mois après le début de l’expérimentation et deux magistrats honoraires y sont affectés, ce qui soulage les assesseurs mais aucunement la présidence de cette cour. L’autre son effectif greffe s’est vu augmenté d’un 0,20 équivalent temps plein, c’est-à-dire un greffier qui prend une audience sur cinq, et au niveau magistrat : rien. Il est donc constant qu’au niveau des moyens humains cela dépend de la gestion de ces moyens au niveau local. Une fois encore pour que l’expérimentation puisse être évaluée, il est nécessaire que les juridictions désignées s’en emparent et que les moyens y soient déployés. Un objectif budgétaire en toile de fond ? L’un des objectifs non affichés de la réforme pourrait être budgétaire. En effet, l’absence de jurés, de témoins, d’experts, une mobilisation moins longue des auxiliaires de justice ont pour conséquence que cette juridiction est moins coûteuse. Cependant, comme ce n’est pas une finalité qui est exposée dans les motifs de la réforme, il pourrait être envisagé de déployer des moyens humains pour ces nouvelles juridictions, soit en augmentant les moyens dédiés aux cours d’assises, soit – dans le cas où la cour criminelle départementale est pérennisée et généralisée – de créer des services dédiés à ces juridictions avec les moyens adéquates. Par ailleurs, les audiences des cours criminelles départementales, ont lieu dans les salles d’audience des cours d’assises. C’est dire que les moyens ne sont pas mis en face de la réforme. De plus, pour l’objectif de rapidité, ce n’est pas pour aider. Pendant que la cour d’assises siège, la cour criminelle départementale ne peut siéger, l’inverse vaut également. Il faudrait donc pouvoir mobiliser de l’immobilier, pour que les audiences n’aient pas lieu au même endroit. Par conséquent, il serait envisageable de voir siéger en même temps les cours d’assises et criminelles départementales. Ce qui serait un moyen de remplir encore plus efficacement les objectifs donnés à ces juridictions criminelles départementales. Vers une refonte de la compétence matérielle des juridictions répressives ? Actuellement les compétences sont réparties en fonction de la classification tripartite des infractions. Autrement dit les contraventions sont jugées par le tribunal de police[19], les délits par le tribunal correctionnel[20], et jusqu’à l’instauration de la cour criminelle départementale, les crimes par les cours d’assises[21]. Avec l’instauration de cette juridiction, la répartition des compétences est moins claire. D’autant que cela complexifie la compréhension du système judiciaire par le justiciable. Deux possibilités peuvent donc être mises en exergue.

La première reprendrait les compétences actuelles mais, changerait de dénomination les infractions de la compétence de la cour criminelle départementale, afin de créer en quelque sorte une quatrième catégorie d’infractions. La seconde procéderait une répartition des compétences en fonction de catégorie d’atteinte, et le recours aux jurés pourrait être envisagé pour les atteintes les plus graves. Par exemple le tribunal de police pourrait être en charge de la sécurité routière et des incivilités, le tribunal correctionnel des atteintes aux biens et à l’environnement, la cour criminelle départementale des atteintes aux personnes (hors la vie) et à la santé, et les cours d’assises les atteintes à la vie et à la nation. En conclusion, la réforme instaurant la cour criminelle départementale peut avoir des points positifs, pour cela il faut que l’expérimentation soit prise au sérieux. De cette expérimentation, l’évaluation devra réfléchir à la suite. Les cours d’assises n’en sortiront pas indemnes, si les cours criminelles départementales sont abandonnées, il faudra trouver des solutions pour éviter les correctionnalisations et désengorger certaines cours d’assises[22]. En revanche, si elles sont généralisées, il faudra prendre acte d’une nécessité d’adaptation de la procédure à ces nouvelles juridictions et, revoir les compétences matérielles des juridictions répressives. Pour cela, il est nécessaire de refaire un point d’étape à la fin de la première année d’expérience.



Thomas HERMAND


 

[1] Loi numéro 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice. [2] Article 63, I, 10°, et III, 5° de ladite loi, récrivant l’article 316-1 du code de procédure pénale. [3] Arrêté du 25 avril 2019 relatif à l’expérimentation de la cour criminelle (NOR : JUSD1912083A). Les départements concernés sont les Ardennes, le Calvados, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines. [4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000036830320&type=expose&le gislature= [5] Article R129 du code de procédure pénale pour les témoins et, article R140 du même code pour les jurés. [6] Article 58 de la loi numéro 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice. [7] J-B. Perrier, « Les (r)évolutions de la procédure pénale », D n°19, 23 mai 2019, p. 1061. [8] F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Ecnomica, 4ème édition, n°637 et 662. [9] Les premiers éléments de retour d’expérience qui sont avancés dans le présent article ont pour base des audiences de cours criminelles départementales du Calvados et de la Seine-Maritime, ainsi qu’un retour de questionnaire des cours criminelles départementales, ainsi que des entretiens menés avec des magistrats et greffiers des juridictions criminelles. [10] https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000036830320&type=expose&le gislature= [11] La correctionnalisation est le fait de faire juger un crime, qui relève normalement de la Cour d'Assises, par un Tribunal correctionnel (délit) [12] Compte rendu des débats devant le Sénat, lors de la séance du 11 octobre 2018. [13] Pour les délais d’audience de la cour criminelle départementale siégeant à Versailles, Dalloz actualité du 4 décembre 2019 par Gabriel Thierry. [14] Entretien du 29 novembre 2019, lors d’une audience de cour criminelle départementale du Calvados [15] Entretien lors d’une audience criminelle normande en novembre. [16] D. Salas, La cour d’assises actualité d’un héritage démocratique, la documentation française, 361p. [17] Mme S. K. fût Présidente des Assises de l’Aisne et de la Somme de 2013 à 2018 après avoir été pendant une dizaine d’années présidente dans le Nord et le Pas de Calais. Avant son retour en tant que président de chambre à la Cour d’appel de Douai pour les assises de son ressort, en septembre 2018. [18] La Cour d’Assises, actualité d’un héritage démocratique, sous la direction de Denis Salas, édition la documentation française 2016, page 11 et suivantes. [19] Article 521 du code de procédure pénale. [20] Article 381 du code de procédure pénale. [21] Article 214 du code de procédure pénale. [22] En effet, toutes les cours d’assises ne sont pas concernés par un engorgement, les stocks des dossiers des juridictions criminelles varient d’un département à l’autre




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