Cet éclairage a été publié pour la première fois par Louise THIRION, en août 2022, dans La Revue n°11.
Dans les revues précédentes nous avons décliné les causes d’irresponsabilité pénale consacrées par le Code pénal.
C’est pourquoi, d’autant plus dans le cadre d’une revue consacrée aux mineurs auteurs d’infraction, nous continuons dans notre lancée en consacrant cette rubrique à l’excuse de minorité[1].
Le principe
Tout d’abord, sur la notion de minorité, elle ne pose pas de difficulté de compréhension, puisque depuis 1906 déjà de nombreuses années la majorité pénale est fixée à 18 ans. Ainsi, toutes les personnes âgées de moins de 18 ans sont des mineures de fait, comme le prévoit d’ailleurs l’article 388 du Code civil[2].
La responsabilité pénale du mineur, quant à elle, a depuis longtemps été consacrée, reposant sur le principe de la responsabilité personnelle. Les parents ne pourraient être punis pénalement pour un fait commis par leur enfant, même si la peine pécuniaire sera la plupart du temps à leur charge.
Néanmoins, l’excuse de minorité signifie que les mineurs bénéficient d’un régime de responsabilité pénale dérogatoire.
Les fondements sont nombreux. La Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies[3], a imposé aux Etats signataires de se doter d’une justice protégeant les mineurs.
Le Conseil constitutionnel[4] a consacré le principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) d’une justice autonome des mineurs, comprenant l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge.
Bien qu’il ait évolué au fur et à mesure des réformes, le principe demeure inchangé.
Le discernement, notion centrale du principe
Le discernement est posé en condition de la responsabilité pénale des mineurs. En son absence l’ordonnance du 2 février 1945 consacre une présomption d’irresponsabilité, reposant sur une appréciation in concreto des juges. Ces derniers consacrent de manière constante le principe depuis un célèbre arrêt Laboube[5].
« Attendu, en effet, que si les articles 1er et 2 de l’ordonnance de 1945, posent le principe de l’irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement de l’intéressé, (…), encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu cet acte ; que toute infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ».
Ainsi, le discernement s’entend de la faculté du mineur d’apprécier avec justesse les situations. Selon le Défenseur des enfants[6], « cette notion recouvre la capacité pour l’enfant de comprendre ce qui se passe, d’appréhender la situation qu’il vit, de pouvoir exprimer ses sentiments à ce propos ».
Le magistrat compétent aura la charge d’apprécier son existence ou son absence. Pour cela, il prend en considération l’âge de l’enfant, mais aussi et surtout sa maturité, son degré de compréhension, les circonstances de la cause (ou contexte) et la nature du litige. L’appréciation se fait donc au cas par cas laissant une large marge d’appréciation au juge.
Cependant, les pratiques d’appréciation sont variables d’une juridiction à une autre, voire d’un magistrat à un autre, ce qui a tendance à engendrer une incompréhension des décisions. Ainsi, certaines juridictions se réfèrent à un âge ou une « fourchette », comme à Strasbourg où le mineur est considéré pénalement doué de discernement dès l’âge de 7-8 ans, tandis que d’autres ne fixent pas d’âge.
La réforme
Désormais, depuis la ratification[7] de l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant la création du code de la justice des mineurs, une présomption de non-discernement est consacrée.
La règle est que les mineurs de moins de 13 ans sont présumés ne pas être capables de discernement, inversement les mineurs âgés d’au moins 13 ans sont eux présumés capables de discernement[8]. Cette nouvelle disposition permet de mettre en adéquation le droit français avec la Convention internationale des droits de l’enfant, et précisément à l’article 40, prévoyant que les Etats signataires doivent établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants sont présumés ne pas avoir la capacité d’enfreindre la loi.
Précisons qu’il s’agit d’une présomption simple pouvant donc être renversée et dépendant toujours de l’appréciation des juges.
La grande innovation de ce nouveau code est qu’il intègre une définition du discernement : « le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet ».
Les implications du principe
Le principe de l’excuse de minorité ne joue pas que sur la responsabilité pénale du mineur, il influence en effet tous les terrains de la procédure pénale. Ce principe est en effet à combiner avec d’autres : la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions[9].
Nous ne développerons que sommairement ces implications, notre étude approfondira ces questions.
Sur la répression, l’excuse « atténuante » de minorité conduit à encadrer la peine encourue par le mineur. En effet, cette excuse repose sur le principe de l’éducatif, le répressif demeurant subsidiaire en matière de droit pénal des mineurs[10].
L’ordonnance de 1945 organisait les peines des mineurs par pallier de tranches d’âge. Ainsi, pour les mineurs de moins 10 ans seules des mesures éducatives pouvaient être prononcées. De 10 à 13 ans, encore une fois seules les mesures et/ou les sanctions éducatives pouvaient être prononcées, sauf exceptions. Pour les mineurs de 13 ans des peines pouvaient être prononcées et jusqu’à 16 ans l’excuse de minorité s’appliquait obligatoirement, tandis qu’elle était facultative pour les mineurs de 16 ans.
Sur la peine, le Code de la justice pénale des mineurs reprend les règles de l’ordonnance. Les articles L121-5 et L121-6 prévoient qu’il ne peut être prononcé à l’encontre d’un mineur une peine supérieure à la moitié de la peine prévue dans les textes. Les peines les plus restrictives de liberté sont également encadrées et des maximas sont prévus, tout comme pour la peine d’amende qui est limitée à 7 500 €.
Comme l’ordonnance de 1945, le CJPM prévoit des exceptions à ces atténuations. L’article L121-7, en particulier, énonce que si le mineur est âgé de plus de 16 ans le juge pourra, à titre exceptionnel et par décision spécialement motivée, appliquer une peine non réduite en tenant compte toujours des circonstances de l’espèce, de la personnalité du mineur et de sa situation, ainsi que pour certaines infractions[11].
Louise THIRION
[1] Expression non consacrée en droit pénal.
[2] Article 388 du Code civil « Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de 18 ans accomplis ».
[3] Convention date du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 et entrée en vigueur le 6 septembre 1990.
[4] Cons. cons., 29 août 2002, n° 2002-461 DC.
[5] Cass. Crim., 13 décembre 1956, n°55-05.772
[6] Rapport annuel 2008, p191 ; https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/084000714.pdf ; le DE a été remplacé par le Défenseur des droits.
[7] Par l’article 1er de la loi n° 2021-218 du 26 février 2021.
[8] Article L11-1 « Lorsqu'ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l'article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d'au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. Est capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet ».
[9] Article préliminaire CJPM, voir (I) de la présente étude sur les grands principes de la justice pénale des mineurs.
[10] La peine doit d’ailleurs toujours être spécialement motivée.
[11] Les infractions en question : le crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne commis en état de récidive légale, le délit de violences volontaires, d’agression sexuelle ou encore un délit commis avec le circonstance aggravante de violences commis en état de récidive légale. D’ailleurs en cas de multi-récidive de ces infractions, l’excuse de minorité est automatiquement écartée, sauf décision contraire de la juridiction.
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