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Interview d'un Conseiller Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (CPIP)

I. Explications concernant le parcours et infos essentielles pour cerner le poste


Quel est votre parcours


J’ai commencé mes études de droit à l’université. En arrivant en Master, je me suis renseignée sur les différents concours de la fonction publique sur le site du Ministère de la Justice. Une page était alors consacrée aux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. J’ai ainsi appris l’existence de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (ENAP). Après un Master 2 en droit pénal, j’ai passé le concours afin d’intégrer cette école. 


Comment devient-on conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP)


Le concours de l’ENAP est très exigeant. Quand je l’ai passé, il n’y avait que 90 places pour 5000 personnes inscrites. Une fois le concours obtenu, notre promotion devait se former pendant deux ans. Lors de la première année, nous étions en alternance, entre stages et cours. La deuxième année n’était composée que de stages. 

Aujourd’hui, les deux ans de formation se découpent entre stages et formations. 


Y a-t-il plusieurs voies pour intégrer l’ENAP


Il existe un concours externe, ouvert aux candidats titulaires d’un titre ou d’un diplôme homologué au moins au niveau II, ou qui justifient d’un diplôme, d’un titre ou d’une qualification professionnelle reconnus comme équivalents dans les conditions prévues par le décret du 13 février 2007. 


Un concours externe sur titre est également prévu, ouvert aux candidats titulaires d’un diplôme homologué au moins au niveau II dans les domaines social ou éducatif, ou d’une qualification reconnue comme équivalente à ce diplôme par une commission dont la composition et le fonctionnement sont fixés par arrêté. 


Ensuite, un concours interne est ouvert aux fonctionnaires et agents de l’Etat et de ses établissements publics, collectivités territoriales, établissements publics qui en dépendent, qui justifient de quatre ans de services publics à la date d’ouverture du concours. 


Enfin, un concours est ouvert aux candidats justifiant de l’exercice, pendant au moins cinq ans au cours des dix dernières années précédant la date d’ouverture du concours, d’une ou plusieurs des activités mentionnées au 3° de l’article 19 de la loi du 11 janvier 1984. 


Pouvez vous définir votre métier en trois mots


Exécution d’une peine ; Prévention (de la récidive) ; Accompagnement.  


Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont pour objectif de lutter efficacement contre la récidive, en favorisant la réinsertion des personnes sous main de justice. Pour ce faire, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation interviennent soit en milieu fermé soit en milieu ouvert. En quoi les fonctionnements de ces services sont-ils différents


Lorsque le CPIP est mandaté par le juge pour intervenir en milieu carcéral, il agit en « milieu fermé ». Mais la prison étant l’exception, le CPIP travaille également avec les personnes sous-main de justice « en milieu ouvert », lorsque les personnes ne sont pas détenues. Dans ce cas, les individus sont convoqués au sein des services en ville.

 

Les missions du CPIP sont les mêmes, qu’il travaille en milieu fermé comme ouvert. Il sera chargé de créer une relation de confiance avec la personne sous main de justice, de l’accompagner pour identifier les facteurs de risques pouvant mener à la récidive; d’identifier quels sont les freins au changement, comme les leviers permettant à la personne d’évoluer positivement, de sortir de la délinquance .


Les seuls changements sont liés aux structures dans lesquelles les CPIP interviennent. En milieu fermé, le CPIP sera plus « contraint » dans son activité. Certes, l’agent peut convoquer les détenus, mais ceux-ci peuvent plus facilement refuser l’entretien. Les personnes sous main de justice peuvent également écrire aux services pour obtenir un rendez-vous. Le travail du CPIP, en milieu fermé, dépend également très fortement des autres services (greffe, surveillants, chef de bâtiments…). Il faut savoir travailler avec des collègues qui ont des objectifs différents.


En cas de problème avec un détenu, il faudra par exemple prévenir immédiatement un surveillant. 

En milieu fermé, l’accompagnement sera d’une certaine façon plus exigeant car le CPIP devra s’assurer que la personne puisse sortir avec un toit et un travail. Sans ces fondamentaux, le risque de récidive est plus important. Le travail avec la famille du détenu est plus important. L’agent maîtrise moins son emploi du temps, soumis à de grosses cadences (surtout en maison d’arrêt car le flux de détenus est plus important). Enfin, en prison, il ne faut pas oublier que l’on passe de nombreux portiques, que le bruit est important. Tous ces aspects modifient les conditions de travail, qui seront différentes en milieu ouvert. 

Le SPIP intervient dans tous les types d’établissements pénitentiaires et sur toutes les structures (maison d’arrêt / centre de semi-liberté, SAS, UHSA etc).


En milieu ouvert, la logique est différente. Les personnes sous main de justice n’étant pas contraintes par la détention, les règles sont plus strictes. Ainsi, les entretiens par exemple sont obligatoires. Si la personne accompagnée refuse trois fois le rendez-vous, le magistrat est prévenu. En milieu ouvert, le CPIP reçoit seul la personne sous main de justice, dans le box, soit au domicile de la personne accompagnée ou encore dans des maisons du droit et de la justice. 


Le CPIP va alors travailler sur les mêmes axes qu’en milieu fermé, soit les facteurs de risques, de protection et de réceptivité. Les conditions de travail seront cependant différentes: les familles sont moins présentes dans l’ensemble, l’emploi du temps est plus libre car non soumis aux horaires des promenades ou des activités. De la même façon, le CPIP dispose de plusieurs mois pour rédiger les rapports. Le rythme de travail est moins cadencé. Les tenues vestimentaires sont également plus libres, même si par exemple, il est fortement déconseillé de porter une écharpe en hiver.


Quelle est votre journée type (en fonction du milieu dans lequel vous travaillez)


La journée type est différente selon que l’on se trouve en milieu ouvert ou en milieu fermé, ou encore si on est de permanence (quand des collègues sont absents par exemple). Les services fonctionnent sur le principe de l’interchangeabilité. Ainsi, quand un collègue est absent, les autres présents prennent le relais pour traiter les urgences. Le chef de service peut également surveiller les dossiers et donner son avis. Ainsi, même si de principe, chaque personne sous-main de justice dispose d’un CPIP défini, permettant ainsi de construire une relation de confiance, d’autres conseillers peuvent intervenir sur le dossier en cas d’urgence. 


Les journées peuvent également être différentes en fonction de la taille des services. Les plus petits peuvent par exemple faire en même temps milieu ouvert et milieu fermé. Cela modifie donc les rythmes de travail.


En milieu fermé, les CPIP doivent tenir à tour de rôle des permanences « arrivants ». Ces permanences varient en fonction de la taille des services, de la politique pénale appliquée sur le ressort. 


Il n’existe pas d’emploi du temps défini. Le principe reste la liberté d’organisation. Le CPIP doit obligatoirement être présent au service en fonction de la charte des temps du service. Le reste du temps, chaque CPIP peut s’organiser comme il le souhaite. Ainsi, de mon côté, le matin est consacré aux entretiens. Je privilégie la mi-journée pour rédiger mes rapports, appeler les associations partenaires pour organiser le suivi des personnes. 


Les journées peuvent également être ponctuées de réunions de supervisions, pluridisciplinaires comme avec d’autres agents CPIP, afin de discuter des dossiers et des suivis. 


Existe-t-il des procédures établies pour débuter un accompagnement avec une personne sous main de justice? Comment prépare-t-on le premier entretien? 

Peut-on agir au « feeling »


Nous sommes formés aux techniques d’entretien. Il ne peut pas y avoir de feeling. Nous suivons un processus bien établi, partant de l’évaluation de la personne. Ce sont des techniques d’entretien utilisées depuis une dizaine d’années en France. Ces programmes viennent du Canada, présentés par Denis Lafortune. 


Qu’on soit en milieu ouvert ou en milieu fermé, le point de départ lors du premier entretien est identique. On part des facteurs de risques de la personne accompagnée, en évaluant différents points de sa vie: santé, vie professionnelle, volet pénal, vie sociale, vie familiale. 

On étudie également les points de protection, qui sont les éléments positifs, qui peuvent empêcher la personne de retomber dans la délinquance. Par exemple, si un individu n’a pas de toit, mais que tous les jours, il se rend dans une association auprès de qui il a des contacts, parle avec quelqu’un: c’est un point de protection à prendre en compte. 


De la même façon, si la personne accompagnée est soutenue fortement par sa famille ou encore si elle a des enfants. Ces éléments pourront être des leviers, permettant à la personne de sortir de la délinquance. 

Ensuite, il est nécessaire d’établir les besoins de la personne. Ces besoins, bien établis, pourront éviter que l’individu ne récidive. 


Enfin, sera abordée la réceptivité de la personne sous main de justice: est ce qu’elle veut changer? Qu’a-t-elle mis en place pour changer? Ou au contraire, ne veut-elle pas changer? Reconnaît-elle l’existence d’un problème? Malgré la reconnaissance d’un problème, la personne continue-t-elle de commettre des infractions? Ici, l’idée est, pour le CPIP, d’encourager le changement. 


En fonction de ce que dit la personne sous main de justice lors de ce premier entretien, un calendrier d’entretiens est fixé, tout en sachant faire preuve de souplesse. 


Lors de ce premier entretien, le risque suicidaire doit être évalué, que ce soit en milieu ouvert comme en milieu fermé. Cependant, en milieu fermé, un protocole bien déterminé est appliqué, car il est nécessaire de protéger l’individu du choc carcéral. 

De cette façon, en milieu fermé, le détenu, lors de son arrivée, est vu et évalué par différents services de l’établissement pénitentiaire : le CPIP, le médecin, le chef de bâtiment. Une réunion est ensuite organisée, pour faire un bilan de la situation. 

Les agents CPIP reçoivent une formation par des psychiatres, sur le risque suicidaire lors de l’entrée en prison. On évalue ainsi les facteurs de risque au suicide, les moyens (antécédents ; état actuel de la santé mentale; existence de tentatives de suicides et combien; la personne a-t-elle une consommation de produits stupéfiants; des personnes de l’entourage proche se sont-elles suicidées; la personne a-t-elle des idées noires…). Si le CPIP par exemple évalue l’existence d’un risque de passage à l’acte, alors le médecin est prévenu, ainsi que le chef de bâtiment. La personne sous main de justice devra à nouveau rencontrer ces deux professionnels.


Quels sont les rapports avec la hiérarchie? Comment rendre des comptes à la hiérarchie? 

Quelles sont les règles déontologiques? Existe-t-il des sanctions? Par exemple, si un CPIP envisage une relation avec une personne sous-main de justice sortant du cadre de l’accompagnement, comme une relation amoureuse, que se passe-t-il?


Beaucoup de choses passent par la hiérarchie: les congés, l’organisation du service, les actions collectives… Nous pouvons également nous rapprocher de notre hiérarchie en cas de difficultés avec une personne sous main de justice, qui sera alors convoquée. Un recadrage de la personne est possible, comme le changement d’affectation du dossier, délégué vers un autre CPIP. 


Nous devons également écrire des rapports adressés aux magistrats. Ces rapports sont soumis en premier lieu à la direction, qui donne son avis. 

Dans ces rapports, nous faisons des propositions au magistrat, que ce dernier peut décider de suivre ou de ne pas suivre. 


Les relations hors cadre sont interdites, dans un délai de cinq ans à compter du début de la prise en charge, et ce même si la prise en charge est terminée alors que le délai n’est pas expiré. 

Si une telle relation existe, le CPIP encourt des sanctions: blâme, licenciement, mise à pied conservatoire… Au risque de devoir quitter l’administration, comme cela est déjà arrivé.


Nous sommes soumis au secret professionnel, au devoir de réserve. Nous devons également prêter serment.


Comment sont constituées les équipes au sein d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation? Y a-t-il d’autres professionnels (psychologues, assistantes sociales, médecins…) entourant les personnes sous main de justice avec qui vous pouvez échanger? Comment se passe la transmission d’informations concernant la santé des personnes sous main de justice


Nous travaillons avec d’autres professionnels tels que des psychologues, des assistantes sociales, des médecins. Nous sommes soumis au secret professionnel; mais en principe, nous avons la possibilité de partager certaines informations, malgré leur caractère secret, en respectant les obligations posées par la loi. Nous pouvons rencontrer des difficultés avec les professionnels de santé. Certains ont tendance à appliquer une interprétation stricte du secret médical et ne partagent aucune information concernant la santé des personnes accompagnées. 

Cet aspect dépend cependant des pratiques personnelles de chacun. 

En cas d’injonction de soins en revanche, la levée du secret médical est rendue possible. Le juge mandate un médecin, dont la mission est de faire le lien entre le corps médical, le magistrat et le CPIP. Seul ce médecin aura la possibilité de transmettre des informations.


Comment fonctionne le pluridisciplinaire avec l’administration pénitentiaire? Quels sont les rapports entre l’administration pénitentiaire et le SPIP


Rien de particulier à signaler de ce point de vue: les services pénitentiaires d’insertion et de probation font partie de l’administration pénitentiaire. 


Comment réinsère-t-on


La réinsertion débute par l’évaluation des facteurs de risques, des éléments de protection, de la réceptivité, et par la relation de confiance construite entre la personne sous main de justice et le CPIP. Cette relation de confiance est primordiale pour pouvoir travailler sur les leviers, permettant d’éviter la récidive. Le CPIP doit devenir une personne ressource pour la personne sous main de justice. 


Mais le CPIP dispose également d’une autre casquette: il doit assurer une mission de probation, spécialement en milieu ouvert. Ainsi, si la personne sous main de justice commet une infraction en cours d’accompagnement, le CPIP doit le signaler au magistrat. Ce sont des principes professionnels. 


Y a-t-il des protocoles traditionnels? Des protocoles renouvelés? Ces nouveaux processus sont-ils impulsés par la Chancellerie ou de chaque SPIP


Les protocoles traditionnels sont ceux utilisés par l’ENAP pour former les agents aux techniques d’entretien, aux programmes conçus au Canada par Didier Lafortune, notamment.


Comment se répartissent les dossiers au sein d’une équipe de conseillers de probation et d’insertion? Développez-vous des compétences particulières qui font qu’il vous est possible de traiter de certains dossiers spécifiquement (violences intra-familiales, stupéfiants, violences sexuelles…)


Si jamais il y a récidive, est- ce le CPIP qui a accompagné auparavant la personne qui reprend son dossier


Cela peut être le cas, mais l’attribution des dossiers dépend de nombreux paramètres. Si le CPIP est toujours dans le même service, cela peut être une possibilité. 


Existe-t-il une possibilité d’organiser des sessions de travail collectif?


Jusque là, on a surtout exploité les sessions de travail en individuel. Il est cependant possible d’organiser des sessions en collectif. Les entretiens dans ce cas sont similaires, qu’ils aient lieu en milieu ouvert ou fermé. L’objectif est le même: la prévention de la récidive. 

Ainsi, on peut par exemple établir des programmes de prévention de la récidive en dix séances, des ateliers de justice restaurative avec une association, prévoir des programmes ADAPT / REPERE ou encore des randonnées, des ateliers d’écriture, de théâtre. Cela nécessite de disposer d’un cercle de partenaires associatifs important. 


II. Une vision un peu plus personnelle du métier


Romain Gautier, Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, reçu par Antoine Garapon lors de l’émission Esprit de justice, dit que pour exercer ce métier, il faut avoir une certaine foi. Cette fonction nécessite en effet de croire en soi, croire en l’autre, croire en ce que l’on fait. 

Etes vous d’accord avec cette vision des choses?


Oui, tout à fait! Il faut pouvoir croire au changement chez les individus, tout comme il faut admettre que certains ne changeront jamais. De manière générale, beaucoup de personnes sous main de justice changent, mais cela ne se dit pas forcément. 


Les qualités essentielles pour exercer ce métier?


La rigueur, l’empathie.


Avez-vous eu de belles découvertes


Oui, lorsque l’on voit au fil du temps le changement de perspectives, les motivations d’une personne. Quand vous la croisez dans la rue et qu’elle vous dit merci; qu’elle a beaucoup changé depuis qu’elle a été condamnée.


Des désillusions


Des désillusions oui, plus sur les faibles moyens de la justice et sur les conditions de travail pas toujours évidentes. Certains services disposent de plus de budget que d’autres pour mettre en place des actions collectives par exemple. 


Un souvenir professionnel qui vous a marqué?


Personnellement, j’ai eu de nombreux moments assez cocasses lors d’entretiens avec des personnes suivies. Certains collègues ont pu avoir en à prendre en charge l’un des derniers condamnés à mort ( mais condamnation commuée en perpétuité), des personnes terroristes, ou encore des personnes médiatiques.


Comment faites vous pour vous protéger par rapport aux dossiers difficiles?


Nous avons toujours la possibilité de parler avec les collègues. L’esprit d’équipe, la solidarité, c’est fondamental ! Quand un collègue ne va pas bien, on essaye toujours d’être présent pour le soutenir. 

Nous avons également des ateliers d’analyse de pratiques, supervisés par des psychologues. L’humour aide aussi ! 

Il est aussi nécessaire de protéger sa vie privée. En milieu ouvert, par exemple, on peut choisir son secteur géographique d’action, pour éviter d’avoir à intervenir dans un quartier où l’on va fréquemment, où on connaît du monde, où on habite. 


Quels conseils donneriez-vous aux étudiants


Il faut avoir de l’empathie, savoir prendre du recul pour ne pas être affecté par certains faits parfois atroces, ou histoires de vie très émouvantes. A terme, il convient peut-être d’avoir un plan de carrière, de passerelles vers d’autres métiers moins éprouvants.



Propos recueillis par Brune MERIGOT DE TREIGNY




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