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Fraude fiscale : le verrou de Bercy a (partiellement) sauté !

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023


"Frauder l’impôt est évidemment tout à fait inacceptable. C’est un coup de canif, voire un coup de poignard au pacte républicain. C’est s’attaquer aux fondements même de la démocratie représentative, dont l’avènement est intimement lié aux prélèvements obligatoires."[1] Il paraît donc fondamental de lutter contre la fraude fiscale, ce qui implique une constante amélioration des dispositifs anti-fraude. C’est dans cet objectif qu’a été adoptée la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale. Le droit pénal fiscal étant un sujet bien complexe, un petit éclaircissement sur les récentes modifications apportées à la lutte contre la fraude fiscale semble opportun. Si par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, le législateur a entendu consacrer un droit à l’erreur au bénéfice du contribuable de bonne foi qui aurait commis une erreur ou un oubli, la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 vient, quand à elle, s’attaquer à la question du contribuable qui se soustrait sciemment à ses obligations.

"La fraude fiscale est un sujet d’une éminente importance dans notre société, notamment en ce qu’elle constitue une attaque au pacte républicain"

La fraude fiscale est un sujet d’une éminente importance dans notre société, notamment en ce qu’elle constitue une attaque au pacte républicain. En effet, l’impôt est un prélèvement qui a pour objectif de “subvenir aux dépenses d'intérêt général de l'État ou des collectivités locales”[2] de sorte que ne pas payer ses impôts c’est porter atteinte à l’Etat, à la société. Il ne s’agit cependant pas là de la seule conséquence de la fraude fiscale, mais il convient, avant de faire état de ses enjeux, de définir ce qu’est la fraude fiscale.

Définition. Dans un sens général, la fraude fiscale se définit comme “toute action du contribuable qui implique une violation de la loi, dans le dessein délibéré d’échapper à l’impôt”[3]. S’agissant de sa définition juridique, c’est à dire l’incrimination de la fraude fiscale, elle figure à l’alinéa premier de l’article 1741 du code général des impôts [4]. Il résulte des dispositions de ce texte que constituent une fraude fiscale les cinq comportements suivants : la soustraction ou tentative de soustraction à l’établissement ou au paiement (total ou partiel) des impôts, l’omission volontaire de faire sa déclaration dans le délai imparti, la dissimulation d’une partie des sommes imposables, l’organisation de son insolvabilité ou d’autres manoeuvres faisant obstacle au recouvrement de l’impôt et enfin tout autre acte frauduleux. Ainsi, il existe non pas “une” mais “des” fraudes fiscales, impliquant tantôt une action, tantôt une omission. Mais toutes poursuivent le but de se soustraire au paiement de l’impôt. Il résulte de cette finalité de la fraude fiscale un certain nombre d’enjeux.

"La fraude fiscale entraîne une rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, certains payant dûment leurs impôts pendant que d’autres se soustraient à ce devoir"

Enjeux. Il est important de rappeler les conséquences de la fraude fiscale pour mesurer l’ampleur du problème qu’elle représente. En premier lieu, la fraude fiscale entraîne une rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, certains payant dûment leurs impôts pendant que d’autres se soustraient à ce devoir. De cette rupture d’égalité découle un déclin du consentement à l’impôt de la part des citoyens s’acquittant de leurs obligations fiscales. Or l’affaiblissement du consentement à l’impôt peut constituer un premier pas vers la volonté d’échapper au recouvrement de l’impôt et donc de commettre une fraude fiscale.

La fraude fiscale est également facteur d’inégalités entre les entreprises dans la mesure où elle fausse le jeu de la concurrence. En effet, l’entreprise qui ne paye pas ses impôts, ayant ainsi réduit ses charges, pourra baisser ses prix, la rendant plus concurrente que les entreprises qui, ayant payé leurs impôts, ne pourraient se permettre d’exercer de tels prix.

Enfin, la fraude fiscale présente un intérêt d’ordre juridique, en ce sens qu’elle est souvent connexe à d’autres délits, tels que l’abus de biens sociaux, la banqueroute, l’escroquerie ou encore le faux en écriture. La lutte contre la fraude fiscale participe donc de la prévention de ces autres infractions.

Contexte. Cette multitude d’enjeux explique que la lutte contre la fraude fiscale soit un objectif d’intérêt général à valeur constitutionnelle, découlant de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce texte dispose en effet, que “Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. Mais une fois la lutte contre la fraude fiscale posée comme objectif, encore faut-il savoir comment la mettre en œuvre. En France, le législateur a fait le choix de recourir à des sanctions administratives (par exemple des majorations appliquées aux impôts et taxes non payés) mais également à des sanctions pénales (principalement emprisonnement et amende pénale).

Parmi les dernières interventions législatives notables en la matière, il convient d’évoquer la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cette loi a été notamment remarquée pour avoir créé le Parquet National Financier, désormais seul compétent en France en matière boursière et qui dispose d’une compétence partagée avec les juridictions interrégionales spécialisées et les tribunaux de grande instance en matière fiscale.

Mais la loi qui retient ici notre intérêt est celle relative à la lutte contre la fraude, en date du 23 octobre 2018. Cette loi s’inscrit pleinement dans la dualité administrative et pénale que revêt la lutte contre la fraude fiscale. S’agissant de la branche administrative de la lutte contre la fraude fiscale, celle-ci se voit notamment renforcée par la création d’une police fiscale rattachée au ministère en charge du budget ou encore par la création d’une sanction de publication de l’amende administrative ou de la majoration appliquée. Le volet pénal de la lutte contre la fraude fiscale est également largement consolidé. C’est à ces dispositions pénales de la loi du 23 octobre 2018 que seront consacrés les développements suivants. On peut identifier deux catégories de dispositions pénales dans cette loi : celles impactant la procédure et celles relatives à la sanction de la fraude fiscale.

"On observe un durcissement des sanctions pénales de la fraude fiscale, ciblant le patrimoine et la réputation du condamné. Il s’agit là, en effet, des mesures les plus dissuasives pour les acteurs économiques"

Sanctions pénales de la fraude fiscale. Concernant la sanction de la fraude fiscale, des modifications sont apportées à deux titres par la loi du 23 octobre 2018. Tout d’abord, le montant de l’amende pénale sanctionnant la fraude fiscale peut désormais  “être porté au double du produit tiré de l'infraction”[5]. De plus, la peine d’affichage et de diffusion de la décision de condamnation dont le prononcé était jusque là une faculté pour le juge, est dorénavant obligatoire. Cependant, pour ne pas être en contradiction avec l’interdiction des peines automatiques posées par le Conseil constitutionnel[6], il est bien précisé que le juge peut “par une décision spécialement motivée, décider de ne pas ordonner l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur.” Le recours au “name and shaming”[7] est en effet une sanction efficace en matière économique où la réputation des entreprises a une valeur primordiale.

Ainsi, on observe un durcissement des sanctions pénales de la fraude fiscale, ciblant le patrimoine et la réputation du condamné. Il s’agit là, en effet, des mesures les plus dissuasives pour les acteurs économiques. Augmenter la peine d’emprisonnement ne serait pas utile dans la mesure où elle est rarement prononcée en la matière.


Fraude fiscale et procédure pénale. S’agissant de la poursuite de la fraude fiscale, la loi du 23 octobre 2018 apporte trois modifications considérables. En premier lieu, la procédure de comparution volontaire sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) sera à présent applicable à la fraude fiscale. Ce mode de poursuite alternatif[8], repose, comme son nom l’indique, sur l’aveu préalable de sa culpabilité par l’auteur des faits. Inspirée du “plaider-coupable” américain, elle permet d’éviter un procès et consiste à accepter la peine (qui ne peut excéder un an d’emprisonnement) proposée par le procureur de la République. Tous n’étaient pas favorables à cette extension de la CRPC à la fraude fiscale, considérant que cette possibilité “ne peut que favoriser les plus puissants, comme par exemple les multinationales, qui peuvent non seulement se payer des conseillers juridiques mais de surcroît faire du chantage à l’emploi pour négocier une sanction plus faible”[9].


On notera également qu’il sera désormais possible de recourir à la convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale. La convention judiciaire d’intérêt public est un accord conclu entre le procureur de la République et la personne morale qui reconnaît sa culpabilité pour des faits de corruption, de trafic d’influence, de blanchiment de fraude fiscale et désormais de fraude fiscale. La finalité de cet accord est de fixer des obligations pour la personne morale coupable : verser une amende au Trésor public[10] et la mise en place d’un programme de mise en conformité prévoyant des mesures afin de lutter contre la corruption[11].  A l’instar de la CRPC, cette mesure alternative aux poursuites[12] laisse une place aux négociations au sein de la justice pénale. Comme le relèvent certains opposants à la CRPC, cela peut nuire au caractère exemplaire des sanctions prononcées. De plus, comme le faisait remarquer le professeur Virginie Peltier lors d’un colloque portant sur la lutte contre le blanchiment[13], les sociétés peuvent s’arranger avec le Parquet lors des négociations pour faire porter le risque pénal sur une filiale ayant un chiffre d’affaire moindre. En effet, le montant de l’amende à verser au Trésor public est fixé proportionnellement au chiffre d’affaire, de sorte qu’il y a là une stratégie possible pour les groupes de sociétés.


Mais au delà de la critique du concept même de convention judiciaire d’intérêt public on peut se demander quelle est sa pertinence en matière de fraude fiscale. D’une part, comme il vient d’être souligné, l’obligation de verser une amende au Trésor public n’est guère dissuasive au regard de son montant. Comme le relevait Gérard Darmanin lors de la présentation du projet de loi devant l’Assemblée Nationale, “la première de ces conventions a concerné la banque HSBC, qui s’est vu imposer une pénalité de 300 millions d’euros alors qu’elle devait 1,6 milliard... Autrement dit, quand on prend un cambrioleur, on lui prend une toute petite partie de son butin et on l’autorise à continuer !”. D’autre part, l’obligation de mettre en place un programme de mise en conformité ne semble pas adaptée à la fraude fiscale. En effet, l’article 131-39-2 du Code pénal, qui prévoit le contenu de ce programme de mise en conformité, ne vise que la corruption et le trafic d’influence. Il aurait été nécessaire que le législateur adapte ces dispositions afin de s’assurer de donner son plein effet à l’ouverture de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale.

"Le verrou de Bercy se définit comme l’exigence d’une plainte préalable de l’administration fiscale pour poursuivre l’auteur d’une infraction fiscale"

Enfin, la mesure la plus emblématique de cette loi est très certainement la suppression partielle du verrou de Bercy. Le verrou de Bercy se définit comme l’exigence d’une plainte préalable de l’administration fiscale (la situation du Ministère de l’économie et des finances à Bercy explique l’expression verrou “de Bercy”) pour poursuivre l’auteur d’une infraction fiscale. Il s’agit là d’un tempérament au principe du monopole de l’opportunité de poursuite que détient le Ministère Public[14]. Mécanisme ancien, institué en 1920 suite à la création de l’impôt sur le revenu en 1917, le verrou de Bercy suscite de nombreux débats depuis l’affaire Cahuzac.


Présentation du mécanisme du verrou de Bercy. Jusqu’au 25 octobre 2018, l’article L228 du Livre des procédures fiscales disposait dans un premier alinéa que “Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs [...] sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.”. Instituée par une loi du 29 décembre 1977, la commission des infractions fiscales examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Ainsi, en pratique, l’administration fiscale doit effectuer une sélection des affaires pouvant justifier l’application de sanctions pénales (selon des critères fixés par décret[15]). Elle saisit ensuite la Commission des infractions fiscales aux fins de rendre un avis concluant à la nécessité ou non de poursuivre l’auteur d’une fraude fiscale devant le juge pénal.

"Compte tenu du double filtre préalablement exercé, la grande majorité des dépôts de plainte pour fraude fiscale donne lieu à des poursuites : 97 à 98 % en moyenne chaque année"

Il faut bien ici comprendre que, avis favorable ou non, cela ne fait pas obstacle à l’application de sanctions administratives. Il s’agit bel et bien de cumuler des sanctions pénales aux sanctions administratives (ce qui fait d’ailleurs débat dans la jurisprudence tant européenne que nationale). L’avis de la Commission liant l’administration, seule l’hypothèse d’un avis favorable, permet (voire même impose) à l’administration fiscale de déposer une plainte. Cette plainte se matérialise par une lettre adressée au procureur de la République où sont présentés les faits susceptibles d’être qualifiés de fraude fiscale. C’est alors seulement à ce moment que le procureur de la République retrouve son opportunité de poursuivre. Toutefois, compte tenu du double filtre préalablement exercé, la grande majorité des dépôts de plainte pour fraude fiscale donne lieu à des poursuites : 97 à 98 % en moyenne chaque année, selon les données communiquées par le Ministère de la Justice à propos des juridictions de la région parisienne.


Constitutionnalité du verrou de Bercy. Bien qu’ayant perduré pendant presque un siècle, le verrou de Bercy a suscité de nombreux débats. Dans une décision du 22 juillet 2016, le Conseil Constitutionnel[16] a eu l’occasion de se prononcer sur la conformité du verrou de Bercy à la Constitution, notamment au regard de trois principes : le principe d’égalité devant la loi (garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[17]), le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire (posé par l’article 64 de la Constitution[18]) et enfin le principe de séparation des pouvoirs (garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [19]). Le Conseil Constitutionnel déclare le verrou de Bercy conforme au principe d’égalité devant la loi, considérant que “Les dispositions contestées n'instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les auteurs présumés d'infractions contre lesquels l'administration dépose plainte”. Le Conseil Constitutionnel semble ici avoir contourné la question soulevée par les requérants. En effet, ces derniers ne soulevaient pas une inégalité entre les auteurs d’infractions fiscales mais entre les personnes dont l’infraction relève de la procédure de droit commun et celles auxquelles s’appliquent le verrou de Bercy.

Le principe de séparation des pouvoirs (entre l’administration fiscale dépendant du pouvoir exécutif et le parquet relevant de l’autorité judiciaire) et celui d’indépendance de l’autorité judiciaire sont ensuite envisagés conjointement. Le Conseil constitutionnel considère tout d’abord, qu’une fois la plainte de l’administration fiscale déposée, le procureur de la République reste libre d’engager des poursuites de sorte qu’il n’y aurait pas d’atteinte à l’opportunité de poursuite dont il a le monopole. De plus, le champ d’application du verrou de Bercy s’étend à des actes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Etat et causent un préjudice principalement au Trésor Public de sorte que l’absence de poursuite (si l’administration fiscale ne dépose pas plainte) ne constituerait pas un trouble à l’ordre public. Enfin, le Conseil constitutionnel déclare que ce dépôt de plainte préalable s’inscrit dans une politique pénale déterminée par le gouvernement et respecte le principe d’égalité. Rappelons tout de même que le Conseil Constitutionnel venait juste de prononcer la conformité du verrou de Bercy au principe d’égalité, dans des termes quelque peu contestables.

"Au delà d’un simple filtre, le verrou de Bercy est une arme de négociation entre les mains de l’administration fiscale"

Ainsi, au terme de cette décision, le Conseil Constitutionnel conclut à la conformité du verrou de Bercy à la Constitution. Cette décision a été vivement critiquée par les partisans de la suppression de ce mécanisme. Pour autant, il faut s’arrêter ici quelques instants pour présenter l’intérêt qu’il y a à faire perdurer le verrou de Bercy. Rappelons que l’administration fiscale a pour but d’obtenir le recouvrement de l’impôt, ainsi elle peut proposer au fraudeur qu’il procède rapidement au paiement de l’impôt dû, en échange de quoi elle s’abstiendra de déposer plainte. Au delà d’un simple filtre, le verrou de Bercy est une arme de négociation entre les mains de l’administration fiscale. Bien entendu, il ne s’agit pas là de légitimer ce mécanisme, mais il est important de pouvoir mesurer les enjeux se cachant derrière ce mécanisme de dépôt de plainte préalable de l’administration. De plus, ce raisonnement convainc probablement plus facilement les fiscalistes que les pénalistes, pour qui toute infraction constituée devrait en principe être poursuivie. Outre l’argument de la protection des intérêts du Trésor, les partisans du verrou de Bercy justifient ce mécanisme comme étant un gage d’efficacité face à la technicité de la matière fiscale et une manière de prévenir l’engorgement des juridictions.

Cependant, ces dernières années, les arguments militant contre le maintien du verrou de Bercy semblent remporter la faveur de la majorité. Après une suppression attendue en 2013, annoncée en 2017, c’est finalement la loi du 23 octobre 2018 qui prononce la suppression, mais seulement partielle, du verrou de Bercy.


Suppression partielle du verrou de Bercy. Dans le rapport d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales déposé en mai dernier à l’Assemblée Nationale[20], l’éventuel maintien du dispositif actuel ou le transfert au Parquet de l’intégralité de la mission de sélection des dossiers ont été d’emblée écartés. C’est dans ce mouvement d’une réforme, et non d’une suppression totale du verrou de Bercy (telle que le souhaitaient certains parlementaires), que s’inscrit la loi du 23 octobre 2018. Là où avant, l’article L228 du Livre des procédures fiscales prévoyait un principe absolu (le dépôt de plainte préalable de l’administration fiscale), est désormais prévu un principe accompagné d’exceptions.

Sur la forme, les exceptions, issues de la loi du 23 octobre 2018, sont présentées dans un I, avant le rappel dans un II de l’exigence, dans toutes les autres hypothèses, d’une plainte préalable sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. Cela semble témoigner de la volonté de mettre en avant cette suppression partielle du verrou de Bercy.

Sur le fond, sont prévues plusieurs situations où l’administration est désormais “tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle”. Dans chacune de ces hypothèses, une double condition s’applique. Tout d’abord, est prévue une condition tenant à la gravité des faits : le montant des droits doit être supérieur à 100 000 euros, ou à 50 000 euros s’agissant de certains élus publics. Ensuite, le législateur a posé une condition tenant à la sanction administrative déjà appliquée :

  • Soit la majoration de 100 % qui s’applique notamment lorsque des droits ou des créances de nature fiscales doivent être restituées à l’Etat

  • Soit la majoration de 80%, entre autres appliquée, en cas de découverte d’une activité occulte, ou de dissimulation d’une partie du prix stipulé dans un contrat

  • Soit la majoration de 40 % sanctionnant par exemple un manquement délibéré ou l’absence de déclaration dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure d’avoir à produire ladite déclaration.

Ainsi, la suppression du verrou de Bercy concerne seulement les hypothèses les plus graves d’infractions fiscales. Si on peut se satisfaire de constater que le verrou de Bercy ne s’érige plus en obstacle à la répression pénale des fraudes fiscales les plus importantes, on peut ici rappeler la critique émise précédemment, à savoir que la poursuite d’une personne en vue de sa condamnation pénale ne saurait être liée à l’importance du montant en jeu. En outre, 100 000 euros étant un seuil relativement élevé, c’est une grande partie de la matière fiscale qui demeure soumise au verrou de Bercy.

"On peut saluer cette avancée, en espérant y voir une étape vers la suppression totale du verrou de Bercy"

En conclusion, il ne s’agit pas là de la suppression tant attendue mais d’une remise en question en demi-teinte du verrou de Bercy. Toutefois, on peut se réjouir d’y voir l’amorce de la consécration du rôle des Parquets dans la poursuite des infractions fiscales, dans la lignée de la loi du 6 décembre 2013 ayant institué un parquet national financier. On citera ici la députée Amélie de Montchalin : “Si l’on croit à la République, il faut croire aux institutions et à la séparation des pouvoirs, donc à la capacité des juges et des procureurs à proposer la meilleure issue, au regard de la connaissance qu’ils ont des dossiers. [...] Il s’agit de donner à ceux qui, au quotidien, combattent la fraude fiscale et se trouvent souvent pénalisés par le manque d’outils mis à leur disposition, les moyens permettant de prononcer des sanctions”[21].

Ainsi, on peut saluer cette avancée, en espérant y voir une étape vers la suppression totale du verrou de Bercy. La mise en place d’un parquet européen, disposant notamment d’une compétence fiscale, sera probablement l’occasion de débattre de nouveau sur la question.


Alizée DECROS


 

[1] DARMANIN Gérard en septembre dernier devant l’Assemblée Nationale, à l’occasion de son discours de présentation du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la lutte contre la fraude

[2] Extrait de la définition de “l’impôt” du dictionnaire Larousse

[] OCDE (1987), L’évasion et la fraude fiscales internationales : quatre études

[4] Alinéa premier de l’article 1741 du code général des impôts (version en vigueur au 25 octobre 2018) : “Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction.”

[5] Aux termes de l’article 1741 du code général des impôts, les peines sanctionnant la fraude fiscale sont donc désormais : cinq ans d’emprisonnement et une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, ou en cas de fraude fiscale aggravée : sept ans d’emprisonnement et une amende de 3 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction

[6] Voir par exemple la décision du Conseil Constitutionnel du 7 août 2014 sur la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales “27. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique que la peine d'amende ne puisse être appliquée que si le juge ou l'autorité compétente l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce”

[7] Nommer et pointer du doigt, stigmatiser

[8] La CRPC est un mode de poursuite alternative (et non une mesure alternative aux poursuites) dans la mesure où le déclenchement de l’action publique se fait de manière dérogatoire au déclenchement classique des poursuites.

[9] DARMANIN Gérard, Discours de présentation du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude devant l’Assemblée Nationale, le 17 septembre 2018

[10] Article 41-1-2 I- 1° du code de procédure pénale  “Verser une amende d'intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ”

[11] Article 41-1-2 I- 2° du code de procédure pénale “Se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité destiné à s'assurer de l'existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures énumérées au II de l'article 131-39-2 du code pénal.”

[12] On parle de mesure alternative aux poursuites lorsque le parquet décide de ne pas poursuivre un individu tout en estimant opportun de ne pas classer l’affaire sans suite. Parfois appelée la troisième voie pénale, il s’agit là d’apporter une réponse pénale sans engager de poursuites, impliquant une procédure d’une durée souvent importante. Attention à ne pas confondre mesure alternative aux poursuites (on choisit une réponse pénale autre que celle apportée par la poursuite de l’auteur d’une infraction) et poursuites alternatives (on poursuit bel et bien l’auteur d’une infraction mais dans un cadre dérogatoire aux poursuites “classiques”)

[13] “Les professionnels et le dispositif anti-blanchiment”, colloque organisé par l’Observatoire de la délinquance et de la justice d’affaires de l’université de Bordeaux (IRDAP- ISCJ) le 5 novembre 2018

[14] Le principe de l’opportunité des poursuites découle de l’article 31 du code de procédure pénale qui dispose que “Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu.”. En pratique le principe de l’opportunité des poursuites signifie que le procureur de la République est seul compétent pour décider si il y a lieu de poursuivre un individu devant la justice, de classer l’affaire sans suite ou de recourir à une mesure alternative aux poursuites (c’est à dire d’apporter une réponse pénale plus rapide que ne le serait un procès pénal).

[15] Décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 pris pour application de l’article L. 561-15-II du code monétaire et financier

[16] Décision du Conseil Constitutionnel du 22 juillet 2016 concernant la question prioritaire de constitutionnalité suivante : “Les dispositions prévues par l'article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 portent-elles atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et à l'article 64 de la Constitution qui garantit l'indépendance des juridictions ?”

[17] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 :  “Elle [la loi] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ”

[18] Article 64 de la Constitution : “Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire”

[19] Article 16, DDHC : “Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.”

[20] Rapport d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, de Mme Emilie CARIOU déposé le 23 mai 2018, par la mission d’information commune, présidée par M Eric DIARD

[21] Compte-rendu de la séance de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire du mercredi 25 juillet 2018




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