L’arrêt rendu par la chambre criminelle de Cour de cassation le 17 décembre 2024 concernant la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire d’un accusé, sur le fondement de l’article 380-3-1 du code de procédure pénale, est un exemple clair des défis rencontrés par le système judiciaire face à l'engorgement des juridictions criminelles.
Cet arrêt révèle, une fois de plus, les difficultés de gestion des délais judiciaires et l'impact des réformes récentes, notamment l'instauration des cours criminelles départementales.
En l’espèce, la Cour de cassation valide la prolongation de la détention provisoire d’un accusé en raison de l'encombrement des juridictions criminelles des Bouches-du-Rhône. Elle souligne que, malgré les efforts pour accélérer les procédures, les juridictions sont confrontées à une surcharge, rendant nécessaire le report de certains jugements.
En l’espèce, l'accusé a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour viols, et attend son jugement en appel. Le ministère public a sollicité la prolongation de sa détention provisoire.
La cour de cassation a rejeté le pourvoi, estimant que la prolongation de la détention était justifiée par des raisons de fait, liées à l'engorgement des juridictions criminelles, et qu'aucune irrégularité n'avait été commise dans la gestion des délais. La Cour a précisé que pour le premier semestre 2024, 232 jours d’audience étaient prévus pour la juridiction criminelle, mais seulement 132 dossiers ont pu être jugés. Cela a laissé l’équivalent de 435 jours d'audience en attente, ce qui a conduit à des choix dans l'audiencement des affaires, avec des dossiers plus anciens jugés en priorité.
Bien que la Cour valide la prolongation, cette décision illustre bien les limites de la réforme des cours criminelles départementales qui n'a pas permis de résoudre le problème de la surcharge des juridictions criminelles dans certains départements, comme les Bouches-du- Rhône. Cela montre que l'instauration de ces cours criminelles ne suffit pas à désengorger de manière efficace tout le système judiciaire.
Sur la prolongation de la détention provisoire, la Cour de cassation avait déjà annulé une décision de prolongation de la détention provisoire, considérant que la chambre de l'instruction n'avait pas suffisamment justifié les obstacles qui rendaient impossible le jugement dans un délai raisonnable. La décision a souligné que le juge devait caractériser les diligences entreprises pour réduire les délais, et non se contenter de motifs généraux comme l'engorgement des juridictions. Cet arrêt montre l'importance de la motivation des décisions pour garantir le respect des droits de la défense et la présomption d'innocence. Crim. 25 juin 2020 (n° 1981.618). Par ailleurs le 10 juillet 2024 (n°24-82.797), elle l’avait confirmée en effet, comme l’explique Pauline Le Guen :
« la Chambre criminelle a cassé la décision de prolongation au motif que la chambre de l’instruction s’était limitée à invoquer des problèmes généraux d’organisation (moyens insuffisants, surcharge de travail, augmentation du nombre de dossiers criminels), sans caractériser précisément les diligences concrètes qui auraient été entreprises ni expliquer en quoi ces difficultés constituaient des obstacles insurmontables. Faute d’avoir ainsi justifié la nécessité de prolonger la détention provisoire, la décision a été annulée »[1].
La Cour a également été amenée à se prononcer sur la prolongation de la détention provisoire dans un cas similaire où l'engorgement des juridictions criminelles avait été avancé comme argument. La Cour de cassation a validé la prolongation mais a insisté sur la nécessité d'une surveillance régulière de la situation, afin de ne pas violer le droit à un procès dans un délai raisonnable, conformément à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette décision souligne une nouvelle fois l'importance de garantir que la détention provisoire ne devienne pas une peine avant le jugement. Crim 15 mai 2019 (n° 18-83.091).
Dans une affaire où un accusé attendait de voir examiné son appel (Crim. 2 mars 2021, n° 20-86.729), selon Dorothée Goetz, l’accusé – mineur au moment des faits et condamné en première instance pour tentative de meurtre aggravé – contestait la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire en application de l’article 380-3-1 du code de procédure pénale, créé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. La Chambre criminelle rejette le pourvoi, considérant que :
1. Un accusé déjà condamné en première instance ne se trouve plus dans la situation d’une personne simplement suspectée au sens de l’article 5, § 1, c) de la Convention européenne des droits de l’homme. Par conséquent, la chambre de l’instruction n’avait pas à vérifier à nouveau l’existence d’indices graves ou concordants.
2. La décision de prolongation prise par le président de la chambre de l’instruction était suffisamment motivée, au sens de l’article 380-3-1 du code de procédure pénale, par des raisons de fait et de droit faisant obstacle à la tenue de l’audience dans le délai légal (ici, la crise sanitaire et le droit d’appel exercé par l’accusé, notamment).
3. Le juge statuant sur une prolongation exceptionnelle de détention provisoire en vertu de l’article 380-3-1 n’a pas à motiver sa décision au regard des critères classiques des articles 137 et 144 du code de procédure pénale, confirmant une ligne jurisprudentielle déjà établie.
En définitive, cet arrêt met en lumière l’articulation entre la procédure d’appel pour une personne déjà condamnée et la nécessité d’une prolongation de détention provisoire, tout en rappelant que des difficultés concrètes (organisationnelles, sanitaires, etc.) peuvent justifier cette prolongation, à condition d’être suffisamment explicitées et motivées[2].
L'impact des cours criminelles départementales sur les délais de jugement. La réforme des cours criminelles départementales (loi du 23 mars 2019) visait à alléger le travail des cours d’assises en permettant aux cours criminelles départementales de traiter certaines affaires criminelles, passibles de peines de réclusion criminelle inférieures à 20 ans. Bien que l’objectif de cette réforme soit de réduire les délais de jugement, plusieurs problèmes en résultent qui peuvent encore aggraver les retards dans les procédures judiciaires. Dans un arrêt de la chambre criminelle rendu le 14 novembre 2020 (n° 19-86.442) la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur un délai excessif de jugement dans une cour criminelle départementale. Bien que la loi vise à désengorger les juridictions criminelles, l'afflux de dossiers a parfois conduit à des délais encore plus longs dans certaines cours criminelles départementales, qui manquent des ressources nécessaires pour traiter un grand nombre d'affaires. Dans un autre arrêt rendu le 2 juillet 2021 (n° 20-82.102), la Cour a souligné qu’une gestion incohérente des affaires criminelles, entre les cours d’assises et les cours criminelles départementales, avait créé une disparité dans le traitement des dossiers, générant des délais de jugement supplémentaires. L’instauration de ces cours a, en effet, engendré de nouveaux déséquilibres géographiques dans le traitement des affaires criminelles. Certains départements, comme les Bouches-du-Rhône, connaissent encore des délais de jugement excessifs, malgré cette nouvelle juridiction.
La mise en place des cours criminelles départementales depuis la loi du 23 mars 2019, généralisée au 1er janvier 2023, a été vue comme une tentative d'alléger la charge des cours d'assises. Cependant, plusieurs critiques ont émergé quant à l'efficacité réelle de cette réforme, que l’on peut rappeler rapidement.
Disparités géographiques : L’une des principales critiques est que les cours criminelles départementales ne sont pas réparties de manière homogène, ce qui entraîne des disparités importantes dans le traitement des affaires criminelles d’une région à l’autre. Certaines juridictions connaissent un encombrement extrême, alors que d’autres sont moins sollicitées.
Absence des jurés : Devant les cours criminelles départementales il n’y a pas de jurés, contrairement à la cour d’assises. Ce qui entraine une subdivision des crimes, avec des crimes de seconde division comme les viols ... Et cela débouche à un éloignement de la justice des citoyens.
Manque de ressources : Les cours criminelles départementales ne disposent pas toujours des ressources humaines et matérielles nécessaires pour traiter le grand nombre d’affaires qui leur sont confiées, notamment pour siéger en même temps que la cour d’assises. Cela peut entraîner des retards dans les audiences, voire un allongement des délais de jugement dans certaines régions.
L'arrêt du 17 décembre 2024, montrent que malgré l’instauration des cours criminelles départementales, les problèmes liés aux délais de jugement et à l'encombrement judiciaire persistent. L'instauration de ces cours criminelles n’a pas permis de désengorger de manière suffisante le système judiciaire[3].
Thomas HERMAND
provisoire-les-diligences-mises-en-uvre-ou-les-ci
[2] Dalloz actualité du 17 mars 2021, https://www.dalloz-actualite.fr/flash/prolongation-exceptionnelle-de-
detention-provisoire-une-interessante-application-de-l-article-
[3] Sur la cour criminelle départementale, notamment : https://theconversation.com/justice-que-va-
changer-la-generalisation-des-cours-criminelles-departementales-197464
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