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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Le statut ambigu des magistrats du parquet

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023



"Le magistrat, qu’il soit au parquet ou au siège est le garant de la sérénité du procès". Les termes prononcés par O. Leurent en 2016 à l’occasion de l’accueil de la promotion à l’Ecole Nationale de la Magistrature, imposent tout d’abord d’effectuer la distinction entre les magistrats du siège et ceux du parquet. Alors que les magistrats du siège sont chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice, les magistrats du parquet ont pour fonction de requérir l’application de la loi, et d’exécuter les décisions de justice. Les magistrats du parquet, que l’on désigne aussi par l’expression "ministère public", représentent la société au cours d’une procédure pénale, et pendant le procès. Ils ont notamment pour fonction le déclenchement de l’action publique (l’opportunité des poursuites) et son exercice. En phase de poursuite, le Procureur dirige et contrôle l’activité de la police judiciaire. Il adresse des instructions aux enquêteurs, et veille au respect du droit pendant les actes d’investigation. Cependant, et alors que les termes de M. Leurent étaient sans ambiguïté, le statut du parquet en France est l’objet de controverses depuis de nombreuses années. On lui reproche en effet un manque, voire une absence d’indépendance et d’impartialité. L’indépendance concerne une problématique statutaire, elle désigne plutôt des pressions extérieures, tandis que l’impartialité, elle, désigne davantage des pressions intérieures, intrinsèques à la personne. Or, dans le cas des controverses qui entourent le statut du ministère public en France, on reproche parfois à ce dernier de n’être ni totalement indépendant, ni vraiment impartial. Les enjeux attachés au statut du parquet concernent directement la liberté individuelle, et plus précisément, la sûreté. Aussi, cette question est essentielle et se doit d’être étudiée avec attention.

I) La question de l’indépendance du parquet

"Les doutes quant à l’indépendance du ministère public découlent en grande partie du fait que le parquet est d’une certaine manière inféodé à l'exécutif"

L’indépendance des magistrats désigne un statut attaché au magistrat, de protection contre les pouvoirs exécutif et législatif, lui conférant tous les pouvoirs de fait, sans être soumis à des pressions extérieures, quelle que soit leur forme.

Les doutes quant à l’indépendance du ministère public découlent en grande partie du fait que le parquet est d’une certaine manière inféodé à l’exécutif, ce qui porterait atteinte à l’impératif de séparation des pouvoirs, principe à valeur constitutionnelle, en vertu de l’article de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Cette subordination du parquet à l’exécutif se traduit en particulier par le fait que le Procureur général près la Cour d’appel est en lien avec le Garde des Sceaux : il reçoit des instructions de ce dernier. Le ministre de la Justice définit les grandes orientations de la politique pénale, en vertu de l’article 30 du Code de procédure pénale.

Avant la loi du 25 juillet 2013, ces instructions pouvaient même concerner une affaire spécifique. Cela impliquait que le Garde des Sceaux, membre du Gouvernement, pouvait donner des instructions précises sur une affaire en particulier, ce qui impliquait une réelle immixtion possible de l’exécutif dans le domaine judiciaire. De toute évidence, cette particularité atteignait très fortement l’indépendance du parquet.

Depuis 2013, le Garde des Sceaux ne peut plus transmettre d’instructions spécifiques portant sur un affaire en particulier, mais détermine toujours de grandes orientations. Ces instructions sont donc beaucoup plus larges. On précisera tout de même que le Procureur général peut transmettre au Procureur de la République des instructions écrites versées au dossier, dans le but d’engager des poursuites. Cependant, selon l’adage "La plume est serve, mais la parole est libre", on considère que le ministère public conserve tout de même une certaine liberté de parole. Cette liberté de parole peut être nuancée en raison de l’indivisibilité des membres du parquet. En effet, ces derniers sont interchangeables. Autrement dit, chacun de ses membres représente les mêmes intérêts. Le procureur qui engage des poursuites par exemple, ne le fait pas en son propre nom, mais engage l’ensemble du ministère public.

On peut donc penser que la liberté de parole est illusoire, parce que selon toute hypothèse, si un magistrat constatait que son subordonné n’était pas tout à fait convaincu par les réquisitions écrites, il pourrait décider qu’un autre individu intervienne au cours de l’audience. Aussi, un lien de subordination, quoique atténué depuis 2013, persiste entre le parquet et le pouvoir exécutif, et est encore la source de nombreux débats. Cela met met véritablement en exergue la problématique liée au statut du parquet.

II) La question de l’impartialité du parquet

"Une jurisprudence constante de la Cour de cassation semble impliquer que le ministère public n’est guère soumis à un principe d’impartialité, puisqu'il agit au nom de la société et contre la personne mise en cause"

L’impartialité est définie comme une exigence déontologique et éthique inhérente à toute fonction juridictionnelle, qui implique que le juge doit bannir tout a priori, faveur ou préférence, préjugé et prévention. Il ne doit céder à aucune influence de quelque source qu’elle soit, ou se mettre en situation de conflit ou de conjonction d’intérêts avec l’une des parties. Les juges doivent logiquement respecter ce principe, notamment en traitant les parties avec égalité, et en départageant les prétentions au regard du droit, de l’équité et de la justice, sans autre considération[1]. La nécessité du respect du principe d’impartialité découle notamment de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial". Alors que le ministère public représente la société, et exerce les poursuites, exiger qu’il soit impartial pourrait sembler quelque peu contradictoire. Cependant, la loi du 25 juillet 2013[2] a modifié l'article 31 du Code de procédure pénale, qui dispose désormais que : "Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu". Néanmoins, une jurisprudence constante de la Cour de cassation semble impliquer que le ministère public n’est guère soumis à un principe d’impartialité, puisqu’il agit au nom de la société et contre la personne mise en cause. L’idée soutenue est donc qu’il n’est aucunement juge, mais adversaire. Selon certains auteurs, il s’agirait de la raison pour laquelle on ne peut récuser un membre du parquet, alors que l’on peut récuser un magistrat du siège. La récusation est un mécanisme garantissant l’impartialité, concernant les magistrats du siège et qui n’existe pas pour les membres du parquet, qui sont irrécusables[3]. On peut donc penser qu’assurer l’impartialité se révèle plus complexe dans ce cas. Aussi, cela marque une distinction notable entre le statut des magistrats du siège et celui du parquet. La loi de 2013 modifiant le Code de procédure pénale a été suivie par une loi du 3 juin 2016[4] qui introduit une disposition à l'alinéa 2 du nouvel article 39-3 du Code de procédure pénale, lequel prévoit que le Procureur de la République "veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée". On peut aisément constater dans ces dispositions un certain rapprochement avec le rôle attribué au juge d’instruction, ce qui vient ajouter à la conclusion, et aux interrogations quant à l’exigence d’impartialité du ministère public. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a renforcé le doute concernant l’impartialité du procureur de la République, en estimant dans un arrêt du 15 décembre 2010 que le ministère public ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité nécessaires pour pouvoir être qualifié d’autorité judiciaire. Ainsi, les juridictions et les législations se confrontent, pour former un tout hétérogène et peu cohérent.

III) Une autorité judiciaire ?


Lorsque l’on a établi que l’indépendance du ministère public est fragile, et que son impartialité peut être remise en cause, on peut en conclure que la véritable problématique qui est au cœur du statut du parquet français n’est pas réellement son absence d’indépendance ou d’impartialité. Comme l’explique Maître Daniel Soulez-Larivière, dans un article publié à l’AJ Pénal en 2012 : "Le problème en France est de couper le cordon non pas entre le parquet et le pouvoir politique mais entre les magistrats du siège et ceux du parquet. Non pour amoindrir l'autorité judiciaire, mais au contraire pour la renforcer, voire tout simplement pour constituer un pouvoir judiciaire."

"Aussi, on constate qu’à l’exception du Conseil constitutionnel, la jurisprudence estime que le ministère public ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire. "

Dans de nombreux pays, notamment anglo-saxons, le lien entre l’exécutif et le ministère public est établi et assumé. On pensera notamment aux Etats-Unis : le District Attorney (un d’équivalent du Procureur général) est élu, et a un fort ancrage politique. Cette hypothèse n’est aucunement envisagée en France, notamment parce que le les membres du parquet sont toujours considérés comme des magistrats. Dans un célèbre arrêt du 10 juillet 2008, "Medvedyev contre France", la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que "le Procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire" au sens de la Convention européenne des droits de l'Homme. Dans la même affaire, réunie en Grande Chambre, la Cour a statué dans le même sens, en mettant en valeur le fait que le juge d’instruction présente des garanties d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif que n’a pas le ministère public. Un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme le 23 novembre 2010, "Moulin contre France", a confirmé cette position jurisprudentielle européenne, au visa de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention. Aussi, l’absence d’indépendance du parquet à l’égard de l’exécutif conduit la jurisprudence du Conseil de l’Europe à se refuser à le considérer comme une autorité judiciaire. Cela marque une réelle distinction entre le ministère public et les magistrats du siège. On précisera à cet égard que si leur mode de formation est identique (au sein de l’Ecole Nationale de la Magistrature), leur mode de nomination diffère. Les magistrats du parquet sont nommés sur avis simple du Conseil National de la Magistrature, alors que les magistrats du siège, sont nommés certes par le Garde des Sceaux, mais sur avis conforme du Conseil National de la Magistrature. Cette différence technique renforce le questionnement sur les distinctions statutaires entre le parquet et les magistrats du siège.

De plus, le Conseil constitutionnel statue en totale opposition avec les arrêts rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme. En effet, il a rappelé dans une décision en date du 30 juillet 2010 (concernant la garde à vue), et dans une décision du 6 mai 2011 concernant le déferrement d’une personne devant le Procureur de la République que "l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet".

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a quant à elle repris la conception de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2010, (n° 10-83.674), elle affirme que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire car "il ne présente pas les garanties d’indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante". Ici, à la fois la fonction, l’indépendance et l’impartialité du parquet sont mises en cause, pas en tant que telles, mais pour une qualification d’autorité judiciaire. On précisera cependant au sujet de cet arrêt qu’il demeure isolé, et valide la mesure de garde à vue de 24 heures placée sous le seul contrôle du ministère public.

Aussi, on constate qu’à l’exception du Conseil constitutionnel, la jurisprudence estime que le ministère public ne saurait être considéré comme une autorité judiciaire. Or, peut-on séparer les notions d’autorité judiciaire et celle de magistrat ?

Les membres du ministère public sont des magistrats au sens français du terme mais sans appartenir, selon la jurisprudence, à l’autorité judiciaire. Or, que désigne l’autorité judiciaire, sinon les magistrats ? Établir clairement le statut du ministère public sans tomber dans le sophisme est malaisé. La résistance opposée par le Conseil constitutionnel à cet égard complexifie grandement la détermination du statut du parquet français.



Mathilde AMBROSI


 

[1] Lexique des termes juridiques, 2017-2018, 25e édition

[2] Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013

[3] Article 669 du Code de procédure pénale

[4] Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016


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