Cet éclairage a été publié pour la première fois par Pierre-François LASLIER, en septembre 2018, dans La Revue n°2.
Historique – Historiquement, la responsabilité pénale revêtait un caractère collectif[1], et ne se présentait pas telle que nous la connaissons aujourd'hui dans notre droit pénal. Aux origines de toutes les civilisations prédominait la règle de la « vengeance privée », ici le droit pénal était l'affaire de tous. La victime et son groupe réagissaient contre le groupe de l'offenseur, le règlement était purement privé. Lorsque qu'une personne était blessée ou tuée, la famille de l’auteur se voyait être responsable de ses actes. Cette philosophie de la responsabilité pénale évolue au fur et à mesure que la justice devient publique. Loysel[2] écrivait « En matière de crime, il n'y a point de garant ». Il a fallu attendre 1789 et la Révolution française pour que le caractère personnel du crime soit confirmé. Cependant, aussi indiscutable que soit ce principe, aucune disposition ne fera figurer cette idée d'une responsabilité pénale individuelle. Le Code pénal de 1810 restera également muet sur ce point. Le droit pénal français s'en remettra à la Cour de cassation qui, dans de multiples arrêts, affirmera que « nul n'est responsable qu'en raison de son fait personnel »[3]. Le Conseil constitutionnel a par la suite conféré une valeur constitutionnelle à ce principe[4]. Finalement, le Code pénal de 1992 consacrera en son article 121-1 que « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ».
Présentation du principe de responsabilité du fait personnel – Le principe de responsabilité du fait personnel revient à dire que l'on ne peut être déclaré responsable que si l'on a participé soi-même à la perpétration de l'acte délictueux. Ce principe produit deux conséquences sur les conditions de la responsabilité pénale. D'une part, on ne peut être responsable que si l'on a commis une faute personnelle. D'autre part, on ne peut se voir imputer, pour responsabilité pénale, que les infractions que l'on a personnellement commises. Ainsi, ce principe constitue l'un des axes fondamentaux de la justice pénale en ce qu'elle rejette l'idée d'une responsabilité collective et affirme que seul l'auteur du fait délictueux doit être considéré comme le responsable. D'un point de vue juridique, ce principe contribue donc à une juste répartition des fautes, en évitant de rendre responsable des individus qui n'ont pas commis de faute. D'un point de vue moral, ce principe vise également à protéger tous les citoyens d'une justice arbitraire.
L'exigence d'une faute personnelle – La responsabilité pénale individuelle suppose donc que, pour imputer[5] une infraction à son auteur, l'accusation doit impérativement rapporter la preuve d'une faute personnelle. En effet, on ne peut être responsable que si l'on démontre que l'on personnellement commis une faute. En somme, ce principe fonde indirectement les principes gouvernant la preuve en matière pénale. En matière de preuve, toute personne est innocente tant que sa culpabilité n'a pas été démontrée par le Ministère Public, c'est ce que l'on dénomme la présomption d'innocence. Finalement, la présomption d'innocence découle indirectement du principe de responsabilité du fait personnel.
Les différents auteurs principaux d'une infraction en droit pénal – Le droit pénal classifie les différents auteurs potentiels d'une infraction. En effet, l'auteur peut commettre une infraction de plusieurs manières. En premier lieu, il peut commettre matériellement l'acte délictueux, faisant ainsi de lui un auteur matériel. En deuxième lieu, il peut commettre intellectuellement l'acte délictueux, c'est ce que l'on appelle un auteur moral ou intellectuel. Ici, on parle de participation intellectuelle en ce sens que « la personne, sans agir elle-même, s'associe à une infraction commise par autrui en poussant son auteur à la commettre ou lorsqu'une personne s'abstient d'empêcher autrui de commettre une infraction dont elle a, ou aurait dû avoir, conscience »[6]. Dans ce cas précis, il n'y a pas de dérogation au principe de responsabilité du fait personnel dans la mesure où l'auteur « répond d'une action ou d'une abstention qui lui est propre »[7]. Enfin, on trouve l'hypothèse de la coaction, hypothèse dans laquelle deux ou plusieurs personnes commettent ensemble un acte tombant sous le coup de la loi pénale. Chaque participant accomplit les différents éléments caractérisant l'infraction et en répond comme s'il en était le seul auteur, on parle ici de coauteur.
Les controverses sur l'effectivité du principe de responsabilité du fait personnel – Si notre droit pénal donne une force effective au principe de responsabilité du fait personnel, il se peut néanmoins que ce dernier peut être mis à mal au regard de certaines données, laissant ainsi à penser pour une partie de la doctrine qu'il existerait une responsabilité pénale du fait d'autrui. Il s'agira de sélectionner deux hypothèses, parmi de nombreuses, qui peuvent fragiliser l'effectivité du principe de responsabilité du fait personnel : l'infraction commise dans le cadre d'un groupe et la responsabilité en matière de droit pénal des affaires.
L'existence d'une infraction commise dans le cadre d'un groupe – Lorsque plusieurs personnes ont participé à la réalisation d'une infraction ou que cette dernière a été commise par un membre du groupe, les autres membres peuvent voir leur responsabilité pénale engagée en raison de leur appartenance à ce groupe, on parle alors de responsabilité collective. En réalité, il n'y a pas de remise en cause du principe de responsabilité du fait personnel. En effet, ce mécanisme d'imputation se fonde sur l'existence d'une entente préalable entre les auteurs[8]. Si les auteurs se sont préalablement entendus sur la commission de cette infraction, il est évident que chacun a une part de responsabilité, et ce quel que soit l'auteur matériel de l'infraction[9]. Or, s'il n'existe aucune entente préalable, aucune disposition du Code pénal ne prévoit une quelconque responsabilité collective, les juges s'efforceront donc à cerner la responsabilité individuelle de chaque participant.
La responsabilité en matière de droit pénal des affaires – En matière de droit pénal des affaires, le principe de responsabilité du fait personnel peut être mis à mal d'une part en ce qui concerne la responsabilité du chef d'entreprise et d'autre part en ce qui concerne la responsabilité de la personne morale. Ces deux hypothèses laissent dire à certains auteurs qu'il peut exister une forme de responsabilité du fait d'autrui en droit pénal, fragilisant ainsi le principe de responsabilité du fait personnel. Pour rappel, la responsabilité du fait d'autrui se définit comme le fait qu'une personne puisse être juridiquement responsable d'une autre personne.
La responsabilité pénale du chef d'entreprise – La Chambre criminelle de la Cour de cassation a pu reconnaître que le chef d'entreprise répond des infractions qui sont commises par ses salariés. Le chef d'entreprise peut donc voir sa responsabilité pénale engagée pour une infraction sans même qu'il n'en ait commis l'acte matériel. Cette règle concerne essentiellement les infractions commises dans le cadre d'une entreprise ou d'une industrie, comme la violation de règlementations professionnelles spécifiques ou de règlementations générales, ou encore en matière d'accidents du travail. Néanmoins, il serait malvenu d'affirmer qu'il existerait une responsabilité pénale du fait d'autrui dans cette hypothèse, dans la mesure où le chef d'entreprise reste dépositaire d'une obligation de surveillance et de sécurité de son personnel. Par conséquent, si une infraction est commise par son salarié, le chef d'entreprise devient responsable en ce qu'il a manqué à ses devoirs. Le droit pénal maintient donc l'exigence d'une faute personnelle.
La responsabilité pénale de la personne morale – La personne morale peut se définir comme une entité dotée de la personnalité juridique, lui conférant ainsi des droits et des obligations. La personne morale s'apparente donc à un groupe conçu par une ou plusieurs personnes physiques. L'article 121-2 du Code pénal[10] affirme que la personne que la personne morale voit sa responsabilité pénale engagée en raison d'une infraction commise pour son compte par son organe ou son représentant. Certains auteurs expliquent que notre droit positif pose une présomption d'imputation des infractions aux personnes morales par le simple fait d'un organe ou de son représentant[11], s'apparentant ainsi à une forme de responsabilité pénale du fait d'autrui.
Là encore, une telle affirmation peut être contestée. En effet, cette idée de présomption de responsabilité de la personne morale a été battue en brèche par les récentes décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. En effet, la Haute juridiction judiciaire exige que l'organe ou le représentant de la personne morale soit identifié, ou en tout cas que les juges du fond expliquent bien que l'infraction a été commise par l'un des deux protagonistes. Ainsi, la jurisprudence maintien l'exigence d'une faute personnelle commise par un organe ou un représentant, contredisant ainsi l'idée que l'on puisse engager la responsabilité de la personne morale dans la mesure où l'infraction ne peut être commise que par son organe ou son représentant.
L'essentiel – En somme, le principe de responsabilité du fait personnel demeure un principe clé du droit pénal, et reçoit de ce dernier une effectivité complète.
Pierre-François LASLIER
[1] Philippe Salvage, professeur à la faculté de droit de l'Université Pierre Mendès-France, Principe de la responsabilité personnelle
[2] Antoine Loysel, né le 16 février 1536 et mort le 28 avril 1617, est un jurisconsulte célèbre pour avoir collecté les principes généraux de l'ancien droit coutumier français
[3] Cass. Crim., 16 décembre 1948 pour un premier arrêt rendu sur ce sujet
[4] Cons. cons., 2 décembre 1976 DC
[5] Le fait d'attribuer à quelqu'un une infraction
[6] Emmanuel Dreyer, agrégé de droit privé et de sciences criminelles, Droit pénal général, LexisNexis
[7] Voir supra
[8] Philippe Salvage, professeur à la faculté de droit de l'université Pierre Mendès-France, Principe de la responsabilité personnelle
[9] Voir supra
[10] Article 121-2 du code pénal : « Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 »
[11] Elisabeth Fortis, Droit pénal de l'entreprise, Responsabilité pénale des personnes morales : une présomption d'imputation contraire à la loi
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