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La permission ou l'ordre de la loi ou le commandement de l'autorité légitime

Cet éclairage a été publié pour la première fois par Louise THIRION, en février 2021, dans La Revue n°9.


Nous poursuivons dans cette nouvelle revue, concernant la notion de droit pénal général, sur les faits justificatifs. Après avoir traité l'état de nécessité puis la légitime défense, nous envisageons à présent l'article 122-4 du code pénal[1] relatif à l’ordre ou la permission de la loi et au commandement de l'autorité légitime.


Ces deux notions faisaient déjà l'objet d'un texte dans l'ancien code pénal qui les reprenait dans une seule phrase[2], en employant la conjonction « et ». En effet, dans l'esprit de l'époque le commandement de l'autorité légitime était indissociable de l'ordre de la loi. Le nouveau Code pénal de 1994 reprend la réunion de ces notions dans le nouvel article 122-4 en leur consacrant néanmoins un alinéa distinct.


Ainsi, cet article prévoit dans son premier alinéa l'irresponsabilité pénale d'une personne accomplissant un acte ordonné ou autorisé par la loi. Le second consacre l'irresponsabilité pénale de la personne obéissant à l'ordre, non manifestement illégal, donné par une autorité légitime.


Même si ces textes bénéficient du même fondement légal, les conditions applicables sont différentes c'est pourquoi il faudra envisager chaque notion séparément.


I) Les conditions d'application de l'ordre ou de la permission de la loi

Deux catégories de conditions sont à réunir concernant l'alinéa 1er de l'article 122-4 du code, certaines sont relatives à la norme justificative et d'autres au comportement de celui qui s'en prévaut.


La norme justificative.

Nature. En tant que fait justificatif, l'ordre ou la permission de la loi exclut la responsabilité pénale de celui dont le comportement délictueux était imposé ou autorisé par une disposition légale ou réglementaire. L'expression « dispositions législatives » désigne la loi au sens formel et matériel du terme, c'est-à-dire l'acte du pouvoir législatif ayant une portée générale et obligatoire, particulièrement les dispositions pénales[3]. Les « dispositions réglementaires » peuvent également justifier une infraction. Ceci est admis de longue date, précision faite que le règlement ne doit pas être entaché d'illégalité.


En outre, la jurisprudence considère que la coutume peut, dans certaines circonstances, justifier la commission d'une infraction. Parfois la loi elle-même intègre cette notion de coutume, notamment l'article 521-1 du code pénal qui la pose en réserve à l'infraction de cruauté envers les animaux[4]. En revanche, la jurisprudence est hostile à ce que des circulaires, des autorisations ou de simples tolérances administratives puissent valoir justification d'une infraction. Enfin, si la loi étrangère ne peut fonder le fait justificatif de l'article 122-4 du code pénal[5], le droit international issu de traités ou conventions signés et ratifiés par la France – ayant une valeur supra-légale – semble pouvoir fonder la justification d'un comportement interdit. Peu importe donc la nature législative ou réglementaire des dispositions, il convient de respecter la hiérarchie des normes. Ainsi, seul un texte à valeur égale ou supérieure au texte d'incrimination pourra lui apporter dérogation.


Objet. L'article du code exonère la responsabilité d'une personne accomplissant « un acte prescrit ou autorisé ». Ainsi, l'objet de la norme justificative peut être une injonction (un ordre) ou une permission. En intégrant la permission dans l'article, le Code pénal de 1994 consacre une jurisprudence classique qui assimile l'ordre à l'autorisation de la loi[6].


Le comportement justifié

Un comportement infractionnel. Le comportement litigieux doit constituer une infraction. L'ancien code semblait restrictif puisqu'il commençait ainsi « ni crime ni délit », évinçant ainsi les contraventions, mais les juges étendirent son application et décidèrent que la liste d'infractions de l'article n'était qu'indicative. Le nouveau code consacre ces extensions. Peu importe donc la nature ou la gravité du fait justifié s'il est constitutif d'une infraction, la jurisprudence conçoit largement le champ des comportements susceptibles de justification.


Un comportement expressément prévu. Enfin, il faut que ce comportement corresponde à ce qui était expressément requis ou autorisé par la loi, c'est-à-dire qu'il y ait adéquation entre la norme justificative et l'attitude du prévenu. D'une manière générale – et conformément à l'exigence de proportionnalité, dénominateur commun à tous les faits justificatifs – l'agent doit respecter la mesure de la prescription légale. De sorte que « l'excès de zèle » dans la mise en œuvre de la norme, aura pour effet d'écarter le bénéfice du fait justificatif[7].


II) Les conditions d'application du commandement de l'autorité légitime

L'application de l'alinéa 2 de l'article 122-4 du code pénal implique des conditions relatives au commandement et au subrogé.


Le commandement

Un « acte commandé par l'autorité légitime ». L'autorité en question doit remplir deux caractéristiques - elle doit être publique et compétente[8]. Elle doit donc représenter la puissance publique, ce qui n'est pas le cas d'une personne privée, telle une mère donnant un ordre à son fils. En outre, elle doit être compétente, c'est-à-dire investie du pouvoir d'ordonner.


Un commandement légal. Le principe est qu'un ordre, bien qu'émanant d'une autorité légitime, s'il est illégal ne constitue pas un fait justificatif permettant de se soustraire à une incrimination. Néanmoins, il convient de préciser que le subalterne ne doit pas une obéissance passive[9] à l'autorité légitime. Suite au rejet de la thèse dite de l'obéissance raisonnée ou des « baïonnettes intelligentes »[10]- du fait de son incompatibilité pratique avec le respect de l'autorité hiérarchique – le législateur du nouveau code pénal a consacré la notion « d'ordre manifestement illégal » à l'article 122-4 alinéa 2 in fine. Ainsi, le subordonné confronté à un ordre manifestement illégal a le devoir de le déceler et d'y désobéir alors que l'ordre non manifestement illégal entraîne de droit l'application du fait justificatif. L'exonération dépend donc également du subordonné.


Les conditions relatives au subordonné

Les compétences du subordonné. Selon les auteurs, le caractère manifeste de l'illégalité doit relever d'une illégalité évidente s'appréciant sur la base du citoyen moyennement avisé. Toutefois, les juges ne font pas abstraction des facultés intellectuelles et de la position hiérarchique de l'agent en cause pour trancher. Dans certains cas, le subalterne a même le devoir de désobéir à tout ordre illégal – donc que l'illégalité soit manifeste ou non. Les crimes contre l'humanité notamment ne peuvent être exonérés du fait d'une action conforme aux instructions données. L'article 213-4 du code pénal consacre cette règle et légalise ainsi la thèse de l'obéissance raisonnée. La torture et les autres peines ou traitements inhumains ou dégradants relèvent également de ce régime spécifique.


L'attitude du subordonné. Pour profiter du fait justificatif il est nécessaire que le subordonné ait adopté le comportement adéquat, qui dépend encore une fois du caractère manifestement illégal ou non de l'ordre. Si l'ordre est manifestement illégal, le subordonné doit désobéir, mais alors le degré de coercition auquel il est soumis est pris en compte. Si l'ordre n'est pas manifestement illégal, aucune faute ne pourra en principe être reprochée au subordonné, sans qu'il soit autorisé à aller au delà de ce qui est attendu de lui.


III) Les effets de l'application

Comme tout fait justificatif l'article 122-4 alinéas 1 et 2 est une cause d'irresponsabilité pénale par la disparition de l'élément légal de l'infraction. Cette exonération s'étend aux personnes ayant participé à l'acte puisqu'il s'agit d'une cause objective d'irresponsabilité pénale. En outre, ce fait justificatif vaut également sur le terrain de la responsabilité civile[11].



Louise THIRION


 

[1] « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal ».


[2] Article 327 « Il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l'autorité légitime ».


[3] PRADEL, Droit pénal général, 20e éd., 2014, Cujas, n°346 ; en effet, la réponse est moins tranchée concernant les lois civiles, la chambre criminelle se montre défavorable à son application en tant que justification d'un comportement délictueux.


[4] Définie comme une « tradition locale ininterrompue ».


[5] Cass. Crim., 27 juin 1973, no 73-90.057


[6] T Police Bordeaux 18 mars 1981


[7] RASSAT, Le droit pénal, 2005, coll. Connaissance du droit, Dalloz, p.49. – VERMELLE, Le nouveau droit pénal, 1994, coll. Connaissance du droit, Dalloz, p. 65


[8] PRADEL, Droit pénal comparé, op. cit., n°101


[9] En somme une obéissance aveugle, dans un tel cas l'agent n'a jamais à s'interroger sur la légalité de l'ordre qu'on lui donne.


[10] Ici l'agent engage sa responsabilité toutes les fois qu'il exécute un ordre illégal de sorte que son refus d'obéissance ne peut lui être reproché si l'ordre délivré était effectivement entaché d'illégalité.


[11] JP ancienne, Réq. 12 mai1896, Crim., 19 novembre 1903


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