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L'application du principe "ne bis in idem" en cas de conflit de qualifications

Dernière mise à jour : 26 nov. 2023

Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Adélie JEANSON-SOUCHON, en août 2022, dans La Revue n°11.


Cass. Crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864


Dans un arrêt annoncé dès septembre 2021 par la lettre de la chambre criminelle de la Cour de cassation et rendu par la formation plénière de la chambre le 15 décembre 2021, la Haute juridiction est venue préciser les conditions d’application du principe « ne bis in idem » en cas de conflit de qualification, aussi appelé concours idéal d’infractions[1]. Afin d’étudier de façon la plus claire possible cet arrêt qui apporte des changements subtils, il faut d’abord revenir sur la jurisprudence antérieure (1), avant d’analyser l’arrêt et ses apports (2).


I) La jurisprudence antérieure – application classique du principe « ne bis in idem »

Le principe « ne bis in idem » signifie qu’il n’est pas possible d’être jugé deux fois pour la même chose. Si l'application première de ce grand principe concerne le second jugement d'une personne qui a déjà été condamnée définitivement pour les mêmes faits, elle trouve aussi à s'appliquer au sein d'une même procédure. En effet, une personne peut être jugée pour des faits susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques, autrement dit, susceptibles de constituer plusieurs infractions différentes. La question se pose alors de savoir si l’auteur peut être déclaré coupable de plusieurs infractions en n’ayant commis qu’un seul fait ou s’il faut nécessairement choisir entre les différentes qualifications possibles.


Historiquement, dans un arrêt Ben Haddadi (Crim. 3 mars 1960, Bull. crim. n° 138), la chambre criminelle avait jugé que le principe « ne bis in idem » ne trouvait pas à s’appliquer dans le cas où les différentes qualifications ne protégeaient pas les mêmes victimes ni les mêmes valeurs sociales. Dans cette situation, il était donc possible de retenir une pluralité de qualifications à l’encontre de l’auteur des faits (en l’espèce, un terroriste qui avait jeté une grenade sur la terrasse d’un café s’est vu condamné pour assassinat et destruction volontaire par moyen dangereux pour les personnes).


Par la suite, la Chambre criminelle a posé fermement le principe selon lequel « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552), principe repris et confirmé à de nombreuses reprises.


Ainsi par exemple, en reprenant expressément l’attendu de principe de 2016, un arrêt de la chambre criminelle du 25 octobre 2017, (n°16-84.133) énonce que « sans retenir des faits constitutifs de faux et usage distincts des manœuvres frauduleuses qu'elle a expressément retenues pour déclarer le prévenu coupable d'escroquerie ». Autrement dit, il ne fallait retenir qu’une seule qualification. Dans cet arrêt, la difficulté tenait au fait que le faux avait constitué la manœuvre frauduleuse, composante de l’escroquerie. Cet arrêt est intéressant en ce que les qualifications sont similaires à celle de l’arrêt du 15 décembre 2021 qui opère un revirement.


II) La jurisprudence du 15 décembre 2021 – restriction dans l’application du principe « ne bis in idem »

Dans l’arrêt rendu par la formation plénière de la chambre criminelle le 15 décembre 2021 et publié au bulletin[2], la Cour de cassation vient restreindre le champ d’application de « ne bis in idem » en présence d’un conflit de qualification.


Elle a ainsi considéré dans son attendu de principe que « l'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes ». Elle précise par la suite de manière tout à fait pédagogique ce qu’elle entend par là : « Dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue », tandis que « Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale ».


En l’espèce, elle a considéré qu’il était possible de condamner à la fois pour escroquerie et faux et usage de faux en faisant sien le raisonnement de la cour d’appel. La juridiction d’appel a considéré que l'escroc qui remet à l’associé d'une société de fausses attestations notariales garantissant sa solvabilité, afin de les convaincre de lui céder les parts, peut être condamné tout à la fois pour usage de faux et pour escroquerie. L'usage de faux n'est en effet par lui-même ni un élément constitutif de l'infraction d'escroquerie, qui ne vise spécifiquement dans son libellé que les manœuvres frauduleuses, ni une circonstance aggravante de cette infraction.


La cour a constaté que la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions n’excluait pas la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre et qu’aucune de ces infractions n’était un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'une des autres. En effet, l'article 313-1, qui incrimine l'escroquerie, vise les manœuvres frauduleuses et non spécifiquement le faux ou l'usage de faux comme élément constitutif de ce délit.


Le pourvoi est donc rejeté et la condamnation aux deux infractions confirmée.


Il est intéressant de remarquer que dans l’arrêt, la Cour de cassation justifie l’inflexion de la jurisprudence de 2016. Les points 18 à 20 de la décision évoquent notamment tout d’abord la perte de la possibilité pour certaines victimes de se constituer partie civile (lorsqu’elles sont victimes d’un préjudice causé par l’infraction qui n’est pas retenue), ensuite la limitation de la possibilité d’individualiser la peine prononcée au travers des peines complémentaires[3] (qui ne sont encourues que pour des infractions spécifiques, et qui peuvent donc ne pas être encourues pour l’infraction qui est retenue), et enfin le fait que ne retenir qu’une infraction peut avoir pour conséquence d'occulter un intérêt auquel l'action délictueuse a porté atteinte ou une circonstance de cette action, alors que la volonté de protéger cet intérêt ou de réprimer cette circonstance a déterminé le législateur à incriminer le comportement considéré.


Dans cet arrêt, la chambre criminelle a donc restreint le champ d’application du principe « ne bis in idem ». « Désormais, l'interdiction du cumul des qualifications ne s'applique que dans le cas où les faits en cause sont identiques. Elle ne s’applique par conséquent plus lorsqu’ils sont seulement indissociables »[4].



Adélie JEANSON-SOUCHON


 

[1] Il faut distinguer le concours idéal d’infraction du concours réel d’infraction qui désigne la situation où une personne commet plusieurs infractions avant d’avoir été définitivement condamnée pour la première.



[3] Par exemple : L'interdiction des droits civiques, civils et de famille ; L'interdiction de détenir ou de porter, une arme soumise à autorisation, l’interdiction de séjour, …


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