La responsabilité internationale pénale des individus, appréhendée par une approche historique
Le Préambule du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998), précise que "les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale". Il est en outre ajouté que les États signataires sont "Déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes".
Les engagements ici évoquées touchent le cœur de la justice pénale internationale. Elle a en effet pour objet de réprimer les individus auteurs de crimes considérés comme les plus graves[1] par la communauté internationale. Or, ce principe, quoique compréhensible, semble immédiatement se heurter à un paradoxe. En effet, le droit international public est sous-tendu par un principe omniprésent : la souveraineté des États.
Il pourrait dès lors sembler quelque peu improbable que des individus puissent faire l’objet d’une répression au niveau international. Ne s’agirait-il pas pour les États d’une certaine remise en question de leur souveraineté ? Autrement dit, et pour citer le Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, "pourquoi certains faits seraient-ils tellement illicites qu'ils échapperaient au principe traditionnel du droit international selon lequel la répression relève uniquement de la souveraineté nationale ? Aucune nation au monde ne dispose du moindre fondement juridique pour se déclarer concernée par les violations de la loi qui se déroulent plus loin que ne porte le bras de sa justice"[2]. Or, la répression au niveau international se révèle nécessaire, car dans de nombreux cas, les chefs d’État notamment bénéficient d’une immunité politique dans le cadre de leurs fonctions. Cet élément donnant lieu à des situations d’impunité, difficilement tolérables dans le cadre des crimes les plus graves, justifie la nécessité de création de mécanismes relevant de la justice pénale internationale.
Il convient de préciser que ne seront pas traitées dans cet article les questions relevant du droit pénal international, lequel désigne les infractions relevant du droit pénal national, mais comportant un élément d’extranéité (nationalité étrangère de la victime ou de l’auteur…)[3]. Aussi, seul sera envisagé le droit international pénal. Dans ce cadre, la justice pénale internationale sera ici uniquement traitée au regard de la répression des individus. La responsabilité pénale étatique ne sera donc pas envisagée.
La justice pénale internationale ne peut être abordée indépendamment de considérations historiques. En effet, les événements conflictuels de notre histoire sont autant de raisons rendant nécessaire la création de mécanismes répressifs.
Les premiers tribunaux internationaux pénaux
Les premières juridictions internationales pénales ont été consécutives à la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit du Tribunal de Nuremberg, crée le 8 août 1945, et du Tribunal de Tokyo, du 19 janvier 1946.
À la suite du véritable traumatisme collectif de ce conflit mondial et des exactions ayant été entraînées, la nécessité de répression était évidente.
Cette volonté a été freinée par une problématique d’absence de certains auteurs : beaucoup étaient en fuite, ou s’étaient suicidés.
Malgré tout, ces tribunaux ont permis le jugement d’individus par la communauté internationale, au sein de juridictions implantées sur les territoires où les crimes ont été perpétrés. Les juges n’avaient ni la nationalité des victimes, ni la nationalité des auteurs. Malgré l’existence de ces tribunaux, le jugement de certains criminels de guerre a été nettement postérieur, mais surtout, a eu lieu au sein de juridictions nationales. En France, il convient de mentionner à cet égard le procès de Klaus Barbie, en 1986, ou encore le procès de Maurice Papon, en 1998.
Les tribunaux ad hoc
Les tribunaux ad hoc ont été créés spécialement pour le jugement de certains crimes, commis dans une zone délimitée, à une période délimitée. L’expression latine "ad hoc", signifiant "pour cela", incarne tout à fait le caractère spécifique de tels tribunaux.
Ces derniers, créés dans les années 1990, ont constitué une réponse à des crimes notamment commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Dans le cadre des Nations Unies, l’intervention du Conseil de sécurité s’est révélée cruciale pour lutter contre un climat d’impunité.
Aussi, le Conseil de sécurité[4], par une résolution de 1993[5] votée à l’unanimité, a créé un Tribunal international visant à "juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991". Une résolution de la même année a adopté le Statut du Tribunal international. Le Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie (TPIY) a constitué un opportun précédent à la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), instance adoptée par une résolution de 1994[6], qui vise à "juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide et de violation grave du droit international humanitaire sur le territoire rwandais, et ceux des États voisins". Le Rwanda avait pourtant à l’époque exprimé un souhait de création de tribunal ad hoc au niveau national : ce dernier aurait alors pu appliquer la peine de mort, celle-ci étant proscrite au niveau juridictionnel international.
Ici, la question de la souveraineté étatique est à considérer. En effet, le Rwanda a quelque part été dépossédé de la sienne, puisqu’il n’a pas pu juger les auteurs des crimes commis alors qu’il en avait la volonté. Le Conseil de sécurité, quant à lui, est parvenu à justifier ses actions par le chapitre V de la Charte des Nations Unies, qui dispose ses compétences. Ce dernier est en effet en principe chargé d’une mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cependant, aucun article de ce chapitre ne dispose une possibilité de création de tribunaux internationaux ad hoc. Seul l’article 29 précise que le Conseil peut mettre en place "les organes subsidiaires qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions".
Aussi, la mise en œuvre de ces tribunaux ad hoc a suscité certaines contestations. Les compétences du Conseil de sécurité à créer de telles instances ont été mises en cause.
La légalité du Tribunal a en effet été contestée dans une fameuse affaire dite Tadić[7]. L’argument d’incompétence a toutefois été pleinement rejeté en appel. Dans une décision du 2 octobre 1995, le tribunal a donc entrepris de démontrer sa propre compétence[8]. En outre, suite aux accords de Dayton de 1995, il a été postulé que le retour a la paix vidait le Conseil de sécurité de ses compétences, puisque ce dernier est précisément chargé du maintien de la paix. Or, les accords de 1995 ne remettaient aucunement en cause la compétence du Conseil en la matière. Pire encore pour les contestataires, ils liaient conventionnellement les États de l’ex-Yougoslavie à coopérer avec le Tribunal.
Après le rejet de ces contestations, les tribunaux ont pu fonctionner selon des principes d’indépendance et de représentativité. Les juges étaient élus par l’Assemblée générale des Nations Unies, tandis que les procureurs étaient proposés par le Secrétaire général, et nommés par le Conseil de sécurité. Les organes du tribunal étaient supposés représenter la communauté internationale : les magistrats venaient de tous pays et de tous continents. L’idée sous-jacente de ce procédé est de considérer que les crimes jugés n’atteignent pas simplement les victimes dans un zone géographique déterminée, mais qu’ils sont véritablement des atteintes à l’humanité en tant que telle.
Malgré cette considération, la compétence des tribunaux ad hoc était tout de même délimitée.
En matière de compétence territoriale (ratione loci), elle s’étendait à l'ensemble du territoire de l’ex-Yougoslavie[9]. En ce qui concerne le TPIR, la compétence s’étendait au territoire du Rwanda et aux États voisins, pour autant que l'infraction ait été commise par des citoyens Rwandais. En matière de compétence personnelle (ratione personae), seules les personnes privées pouvaient être poursuivies et jugées devant ces tribunaux. Tant les auteurs que les participants (co-auteurs, complices) étaient punissables. En matière de compétence temporelle (ratione temporis), pour le Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie, les faits devaient avoir été commis à partir du 1er janvier 1991. Pour le Tribunal pénal international du Rwanda, les faits devaient avoir été commis entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1995.
Même si en principe, une transition a été opérée par une résolution du 22 décembre 2010, avec le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux, les Tribunaux pénaux internationaux ont continué à juger après cette date, c'est-à-dire jusqu’en 2015 pour le TPIR, et jusqu’en 2017 pour le TPIY.
Des jugements véritablement historiques ont été rendus par ces tribunaux.
Dans le cadre du TPIY, par exemple, Ratko Mladić, ancien commandant de l’état-major principal de l’armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, a été reconnu coupable de génocide, de crime contre l’humanité, et de violations des lois ou coutumes de la guerre. Son rôle dans l’organisation de massacres, comme celui de Srebrenica qui a causé la mort de 8.000 personnes environ, a contribué à cette reconnaissance de culpabilité. Condamné à perpétuité en 2017, il a interjeté appel. Le procès s’est ouvert au mois d’août 2020.
Dans le cadre du TPIR, Augustin Ngirabatware, ancien ministre rwandais, peut être mentionné. Ce dernier a été condamné en première instance, en 2012, à 35 ans de prison. Il a été reconnu coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide, d’avoir encouragé et aidé cette commission, mais aussi d’avoir commis un viol constitutif de crime contre l’humanité dans le cadre de la forme élargie de l’entreprise criminelle commune. Ce dernier ayant interjeté appel, la déclaration de culpabilité a été confirmée le 18 décembre 2014, et la peine de prison a été réduite à 30 ans. Une procédure de révision[10] de l’arrêt d’appel est en cours.
Depuis, le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux est compétent. La fonction d’une telle instance —chapeautée par l’Organisation des Nations Unies— est de connaître des derniers appels interjetés contre les décisions prises par les deux tribunaux ad hoc, d’examiner les demandes de révisions, et d’assurer la protection continue des témoins. Il s’agit en somme de continuer le travail de deux tribunaux aujourd’hui clos. D’ailleurs, ce mécanisme est voué à opérer prochainement le jugement d’un fugitif rwandais récemment retrouvé : Félicien Kabuga. Ce dernier est accusé de génocide et de crime contre l’humanité.
Malgré les condamnations prononcées par les tribunaux ad hoc, ces derniers ont fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, la procédure a été dénoncée comme étant lente, et trèscoûteuse[11]. Ces problématiques sont grandement liées à l'affirmation du principe de primauté[12] des juridictions internationales. Aussi, la division des tâches ou la coopération avec des juridictions internes n’ont pas été envisagées dans un premier temps. Il aurait notamment pu s’agir pour les juridictions nationales de juger les personnes portant des responsabilités dites moindres, tandis que les TPI conserveraient les affaires dites symboliques. Or, ces renvois, qui auraient été tout à fait salutaires, étaient proprement impossibles au Rwanda jusqu’à ce que cet État abolisse la peine de mort. Outre le certain problème de souveraineté que cela peut avoir soulevé, et qui a été à l’origine d’une certaine défiance étatique, cela a mis en exergue les failles de telles juridictions internationales.
Pour ces raisons, des juridictions internationales pénales dites hybrides ont ensuite été créées.
Les juridictions hybrides
Les juridictions dites hybrides ont tentés de corriger les défauts constatés dans le fonctionnement des tribunaux ad hoc.
L’idée était de créer des accords entre les juridictions nationales et les Nations Unies, pour former un système mixte, combinant la loi nationale et la légitimité internationale.
Des juridictions étaient ainsi créées à l’issue de négociations —parfois houleuses— dans le but d’assurer les garanties procédurales qui avaient notamment été mises en place dans les juridictions ad hoc : l’indépendance des juges notamment. Aussi, on pouvait y trouver des juges internationaux. Le mécanisme a été appliqué à plusieurs reprises.
Le procès des dirigeants des Khmers rouges, au Cambodge, a été organisé selon ce système hybride, mais seulement après de très longues années de négociations. La demande d’organisation d’un tel procès a été effectuée en 1997, et le premier procès a eu lieu en 2009. La répartition entre la composante interne et la composante internationale a en effet été l’objet de désaccords répétés entre le Gouvernement cambodgien et les Nations Unies. Ici, la problématique liée à l’affrontement de la souveraineté nationale avec les principes du droit international est évidente.
Les négociations ont été plus rapides et se sont déroulées dans de meilleures conditions concernant la Sierra Leone. L’accord, prévu dans une résolution du Conseil de sécurité en 2000[13] est parvenu à concilier la composante internationale avec le tribunal spécial national.
A contrario, les négociations concernant une juridiction hybride au Liban, pour "juger toutes les personnes responsables du crime terroriste qui a entraîné la mort de l’ancien Premier Ministre libanais Rafic Hariri et d’autres personnes"[14] ont fait l’objet de fortes contestations, notamment en raison d’importants troubles politiques au niveau national.
Enfin, l’exemple totalement opposé à ces juridictions hybrides peut être mentionné. Le jugement de Saddam Hussein et de ses complices s’est fait exclusivement dans le cadre interne irakien. Cette décision, quoique respectueuse de la souveraineté irakienne, a été très contestée. En effet, les victimes du dictateur n’étaient pas uniquement irakiennes. En outre, l’indépendance et l’impartialité du tribunal interne ont été fortement mises en cause. Le procès s’est déroulé dans un cadre extrêmement troublé : des avocats et des juges ont très régulièrement démissionné (en raison de pressions), voire ont été tués au cours de la procédure. Par ailleurs, la pendaison de S. Hussein et de ses complices, en 2006, s’est faite dans des conditions morales et physiques souvent qualifiées d’indignes et de très dégradantes. De toute évidence, l’absence de garanties offertes par la justice pénale internationale a eu des répercussions conséquentes sur la procédure. Il faut noter que paradoxalement, si la procédure avait été menée avec une composante internationale comme dans les systèmes dits hybrides, l’ancien dictateur aurait échappé à la peine de mort.
Ainsi, et pour citer E. Decaux et O. De Frouville, "Entre la justice "des vainqueurs", faite de sélectivité, et l’impuissance des victimes, sacrifiées à la stabilité, il y a place pour une justice rendue au nom de l’humanité"[15].
La Cour pénale internationale
Au regard des événements historiques marquants qui ont été mentionnés, la création d’une juridiction pénale internationale, en 1998, a été incroyablement tardive. Cet élément est encore plus étonnant en raison du fait que l’idée de la création d’une telle instance a été régulièrement amenée au fil des époques.
La première Cour pénale internationale remonte en effet à 1474, lorsqu’un tribunal composé de juges ordinaires d’Allemagne, d’Alsace, de Suisse et d’Autriche a été crée pour juger Peter de Hagenbach, accusé d’avoir commis des délits contre les "lois des dieux et des hommes". Un ambitieux projet de création d’un tribunal pénal international a ensuite été présenté en 1872 devant le Comité international de la Croix-Rouge par l’un de ses fondateurs, Gustave Moynier. Ce dernier a invité ses contemporains à mettre sur pied un tribunal qui aurait pour fonction l’exécution de la Convention de Genève de 1864. Ce projet n’a pas eu de succès. Les tentatives qui ont suivi, visant à créer une telle juridiction, n’ont pas abouti non plus. Par la suite, dans la Convention de La Haye de 1899 a été posée la question d’une juridiction pénale internationale, la communauté internationale ayant estimé qu’il était nécessaire de mettre en place un système ayant pour double objectif d’infliger des sanctions exemplaires aux auteurs des crimes, et de prévenir de nouveaux crimes par la dissuasion. Après la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles[16] disposait la création d’un tribunal international visant à juger l’empereur d’Allemagne. Ce projet n’a pas abouti car les Pays-Bas ont refusé d’extrader ce dernier. L’idée d’une justice pénale internationale est réapparue à travers la "Convention pour la création d’une Cour pénale internationale", conclue le 16 novembre 1937, le même jour où la Convention pour la prévention et la répression du terrorisme dans le cadre de la SDN[17] avait été adoptée.
Finalement, le 17 juillet 1998 a été voté l’acte adoptant le Statut de la future Cour pénale internationale, entré en vigueur en 2002.
Contrairement au principe de primauté des tribunaux ad hoc, la Cour fonctionne selon un principe de complémentarité avec les États.
Cette complémentarité est double. Premièrement, elle signifie que la Cour ne juge que les crimes internationaux les plus graves, ceux qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. Deuxièmement, les États ont en principe l’obligation primaire de poursuivre les crimes internationaux. En vertu de l’article 17 du Statut de Rome, la Cour pénale internationale n’est supposée intervenir que dans le cas où les États ne peuvent ou ne veulent pas poursuivre les auteurs.
Ce principe de complémentarité a des conséquences en matière d’application du principe non bis in idem[18] notamment. En outre, cette dernière n’a vocation à juger que les crimes les plus graves, particulièrement ceux dont la personne mise en cause occupait autrefois une fonction importante au sein du pouvoir exécutif.
La Cour Pénale Internationale (CPI) est compétente pour les trois crimes déterminés lors du procès de Nuremberg : les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. Le crime de génocide y a été ajouté, car consacré par la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, du 9 décembre 1948.
Il faut préciser qu’elle n’est compétente que pour les crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut. En outre, elle est en principe compétente en ce qui concerne les États parties à la convention dont les nationaux sont accusés, ou sur le territoire desquels le comportement en cause s’est produit. Il existe des possibilités d’extension de la compétence de la Cour, notamment si des nationaux d’un État non partie ont commis des crimes sur le territoire d’un État partie ou si, par la même logique, des nationaux d’États parties ont commis des crimes sur le territoire d’États non parties. Aussi, les conditions inhérentes au Statut peuvent être nuancées en ce sens. De plus, un État non partie peut consentir à accepter la compétence de la Cour dans un contexte d’urgence notamment[19]. Enfin, les compétences du Conseil de sécurité demeurent intactes en la matière, en ce qu’il peut provoquer des procédures judiciaires (sur le même fondement que celui qui lui avait permis de créer les tribunaux ad hoc). Or, cette possibilité, qui pourrait contribuer à donner un réel effet utile à la CPI, peut être relativisée : le Conseil de sécurité est souvent freiné dans ses démarches par le droit de veto des États. À titre d’exemple, il ne peut pas engager de poursuites dans le cas syrien en raison du perpétuel veto russe.
Cette Cour demeure donc contestée. Elle a en effet connu des crises internes, et de nombreux États l’accusent de perpétuer une "justice des vainqueurs". Les États africains se plaignent en outre d’être plus poursuivis que les États occidentaux pour des faits similaires[20]. Aussi, les contestations dont la CPI fait aujourd’hui l’objet laissent penser que cette solution, quoique séduisante, nécessite encore des améliorations.
Surtout, la constatation que toutes les formes de juridictions internationales pénales ont comporté des failles constitue la preuve que la conciliation entre la nécessité de répression et la souveraineté étatique est loin d’être accomplie.
Les Chambres africaines extraordinaires
Enfin, il convient de mentionner une juridiction différente de tous les autres systèmes. Elle est en effet à la fois hybride et postérieure à l’institution de la Cour pénale internationale. Il s’agit des Chambres africaines extraordinaires. Leur objectif était de juger l’ancien chef d’État tchadien Hissène Habré, ayant exercé entre 1982 et 1990. Il était soupçonné de crimes divers. Même si ce dernier était exilé au Sénégal, il n’a pas pu être jugé par les juridictions locales, faute de compétence. La compétence universelle belge, réputée pour sa souplesse, a été invoquée par les victimes, mais sans succès. Malgré une décision de la Cour Internationale de Justice[21], des constatations par le Comité contre la torture, et des demandes politiques, H. Habré n’était ni extradé ni jugé. Finalement, en 2010, la Cour de Justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a enjoint le Sénégal à juger H. Habré au moyen d’une juridiction spéciale ad hoc à caractère international. Par suite, un accord du 22 août 2012 entre l’Union africaine et le Sénégal, a entériné la création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Ces dernières étaient annexées aux juridictions sénégalaises tout en comportant une composante internationale en raison des juges, qui pouvaient être de différentes nationalités issues de l’Union africaine. Ces chambres étaient compétentes à l’égard du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, et de la torture. Le procès de H. Habré a commencé le 20 juillet 2015. Moins d’une année plus tard, ce dernier était reconnu coupable et condamné à la prison a perpétuité. Cette sentence a été confirmée en appel. Cette procédure a prouvé l’efficacité de cette institution, proposant une solution alternative en matière de justice pénale internationale.
Mathilde AMBROSI
[1] En droit international public, les crimes les plus graves sont le crime contre l’humanité, le crime de guerre, le crime d’agression et le crime de génocide.
[2] Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Justice internationale pénale : crimes – Aurélien LEMASSON ; Pierre TRUCHE ; Pierre BOURETZ – Octobre 2019, disponible en ligne à l’adresse URL : https://www-dalloz-fr.docelec.u-bordeaux.fr/documentation/Document?id=ENCY/PEN/RUB000383.
[3] Pour plus d’informations sur cette question, consulter la rubrique "Notion de droit pénal général" : L’application de la loi pénale dans l’espace, Revue n°6 : Droit pénal et libertés fondamentales, Décembre 2019, Les Pénalistes en Herbe, disponible en ligne à l’adresse URL : https://772759b3-ebc6-4f0a-8025-f7c7d56e3545.filesusr.com/ugd/a40b87_926275d32398445399cfe040681a45f5.pdf
[4] Le Conseil de sécurité est l’organe exécutif de l’Organisation des Nations Unies. Il est chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales, et comporte 15 membres, dont 5 membres permanents. Les États membres doivent respecter ses décisions.
[5] Résolution n°808 du 22 février 1993
[6] Résolution n°955 du 8 novembre 1994
[7] Pour plus de détails sur cette affaire, des informations sont disponibles sur le site du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, à l’adresse URL : https://www.icty.org/fr/case/tadic
[8] Arrêt complet : https://www.icty.org/x/cases/tadic/acdec/fr/51002JN3.htm
[9] La Yougoslavie était un État situé dans les Balkans. Le territoire correspond aux actuels États de Slovénie, Croatie, de Bosnie-Herzégovine, de Serbie, et de la Macédoine, ainsi que le territoire —revendiqué par la Serbie— du Kosovo.
[10] Une procédure de révision d’une décision de justice vise à faire annuler un jugement déjà prononcé afin qu’il soit de nouveau statué, en fait et en droit.
[11] Les budgets des Tribunaux sont approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les Tribunaux sont donc financés par les contributions obligatoires et volontaires des États membres.
[12] La primauté des juridictions internationales, en l’occurrence, correspond au fait que le fait que le droit interne n’incrimine pas un fait ne décharge pas l’auteur de toute responsabilité. Autrement dit, le droit international public prévaut sur le droit interne. Cela a notamment pour conséquence que l’autorité de la chose jugée du TPI s’impose à tous les États, mais aussi qu’il a la priorité pour juger, et peut demander aux juridictions internes de se dessaisir.
[13] Résolution n°1315
[14] Statut du Tribunal spécial pour le Liban
[15] Emmanuel DECAUX, Olivier DE FROUVILLE, Droit international public, 11e édition, HyperCours, Dalloz, 2018, p.354
[16] Article 227 du Traité de Versailles (1919)
[17] Société des Nations
[18] Le principe non bis in idem, qui s’applique en droit pénal, précise qu’une personne déjà jugée définitivement pour un fait ne peut pas être poursuivie de nouveau pour le même fait.
[19] La situation s’est présentée dans le cas de la Palestine, de la Côte d’Ivoire et de l’Ukraine notamment.
[20] Il existe un vif débat à ce sujet. En effet, alors que les dirigeants de certains États dénoncent une discrimination de la CPI envers les pays situés en Afrique, des auteurs font valoir le fait que sur dix situations africaines examinées par la Cour, six ont fait l’objet d’un renvoi par l’État concerné, deux ont été renvoyés à la Cour par le Conseil de sécurité, et uniquement deux ont été à l’initiative du Procureur. Cela prouverait que la CPI ne mène pas une politique discriminatoire.
[21] La Cour Internationale de Justice est le principal organe judiciaire de l’organisation des Nations Unies.
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