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Introduction : la preuve en droit pénal

Dernière mise à jour : 26 nov. 2023



La preuve désigne à la fois la « démonstration de l'existence d'un fait ou d’un acte dans les formes admises ou requises par la loi » et le « moyen employé pour faire la preuve »[1]. Elle renvoie donc à la fois à l’exigence probatoire et aux modes de preuve.


La preuve, une question centrale en matière pénale. Parce qu’elle permet d’établir un fait, la preuve permet de confirmer un soupçon. Elle est donc essentielle en matière pénale, où la présomption d’innocence commande de ne condamner que sur le fondement de certitudes puisque « le doute profite à l’accusé »[2]. La preuve a toujours été un enjeu majeur et l’appréhension de cette notion a connu diverses évolutions dans le temps[3] et continue de se renouveler. En cela, elle est un sujet passionnant, vaste, soulevant d'innombrables problématiques, et toujours d’actualité.


Un encadrement des divers modes d’établissement de la preuve en droit pénal. Parce que la preuve est essentielle, se sont développés avec le temps des moyens d’investigation. Aussi, si une grande diversité de preuve est admise depuis longtemps[4], la preuve pénale a connu un renouveau grâce au développement de modes de preuve atypiques, dont certains sont discutés voire interdits[5]. La conception des différents modes de preuve a varié avec le temps. L’aveu semble par exemple aujourd’hui dépassé face à l’ADN, dont certains se demandent s’il ne serait pas la nouvelle « reine des preuves »[6]. Aujourd’hui, des protocoles sont prévus pour recueillir une preuve de qualité : si l’on peut penser aux règles en matière de scène de crime et de police technique et scientifique, de manière plus quotidienne, on peut mentionner l’enregistrement audiovisuel obligatoire en matière criminelle, ainsi que le traitement spécifique dont fait l’objet le recueil de la parole des enfants victimes pour préserver la qualité de leurs témoignages[7].


Une réglementation de l’administration de la preuve adaptée aux spécificités de la matière pénale. Malgré le développement de différents modes de preuve, les principes fondamentaux de son administration sont heureusement maintenus. Si le principe de liberté de la preuve est maintenue, l’encadrement du recueil des preuves passe par le maintien en jurisprudence[8] de l’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve[9] et que la présomption d’innocence est maintenue[10], même si le droit de ne pas fournir d’élément contre soi-même a pu faire l’objet d’aménagements[11]. Ces impératifs se justifient par la nécessité de maintenir la paix sociale en ne permettant pas la recherche de la preuve à n’importe quel prix, mais surtout de protéger les libertés individuelles. En effet, rappelons que par définition, celui contre qui la preuve est recherchée est encore, à ce stade, présumé innocent.

Une preuve aux objets multiples. En matière pénale, la preuve porte sur des objets multiples. En effet, il faut prouver l’existence d’une infraction, avec la réunion des éléments légal, matériel, et moral, mais aussi en identifier le(s) auteur(s) ou complice(s) afin de pouvoir imputer l’infraction. La preuve en matière pénale s’applique également aux éléments de personnalité qui serviront dans la détermination de la peine ou qui permettront d’établir une irresponsabilité pénale pour cause de minorité ou de trouble mental par exemple.


Aussi, même si par « preuve en matière pénale », on entend souvent la preuve de l’infraction, il faut garder à l’esprit les différentes dimensions qu’elle peut recouvrer.

Preuve et rôle du juge. Les preuves contradictoirement discutées lors des débats sont appréciées librement par les magistrats, qui déterminent la force probante à leur donner, et décident d’après leur intime conviction des suites à donner[12] même si certaines exceptions existent en matière de procès verbaux[13]. La décision doit toutefois être motivée, et certains éléments ne pourront pas être pris en compte par le juge (par exemple une pièce annulée pour vice de procédure), ou ne seront pas suffisantes (notamment, l’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose qu’ « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui »). L’appréciation des éléments de preuve peut dans certains cas varier selon les juridictions[14], question qui est au cœur d’une partie des interrogations sur l’institution des cours criminelles départementales.


Preuve et vérité judiciaire[15]. Parfois, il arrive qu’un doute subsiste, ou que les éléments manquent pour justifier une décision de condamnation. Dans ce cas, le principe de la présomption d’innocence doit conduire à un non-lieu (devant les juridictions d’instruction), une relaxe, ou un acquittement.


Il ne faut cependant pas oublier que la justice ne délivre qu’une vérité : la vérité judiciaire.

Si cette dernière a des conséquences procédurales (comme par exemple la publication de la décision, l’indemnisation du temps passé à tort en détention provisoire, l'autorité de la chose jugée etc.), il se peut parfois que la vérité judiciaire ne recouvre pas les vérités individuelles des protagonistes ni la réalité des faits.


Preuve et vérité judiciaire : Les vérités individuelles. Tout d’abord, les vérités individuelles des protagonistes des faits en cause peuvent diverger. Ainsi, il peut arriver que l’auteur n’ait pas eu l’impression de faire « quelque chose de mal », estimant par exemple que son acte n’est « pas si grave ». De la même façon, une victime d’un fait peut se sentir lésée, sans qu’une infraction pénale puisse véritablement être caractérisée à raison d’un vide juridique (pour ne donner qu’un exemple, pensons à l’arrêt à du 16 mars 2016[16] dans lequel la Cour de cassation a rappelé que n’était « pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l'image d'une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement », quand bien même la photo la représentait nue alors qu’elle était enceinte, arrêt qui avait donné lieu à l’introduction d’une infraction spécifique, applicable au « revenge porn » dans le Code pénal[17]). En l’absence d’un texte pénal applicable, et conformément au principe de légalité criminelle, l’action sur le terrain pénal doit être exclue. Toutefois, une action sur le terrain civil pour obtenir réparation est possible, à supposer que soient réunies les conditions inhérentes au régime juridique applicable (responsabilité contractuelle, responsabilité extracontractuelle, régimes spéciaux de responsabilité).


Preuve et vérité judiciaire : L’erreur judiciaire. Ensuite, et de manière plus récurrente, on peut indiquer que le cas le plus criant de l’écart qui peut exister entre la vérité judiciaire et la réalité des faits est celui de l’erreur judiciaire : il arrive qu’une personne soit injustement condamnée, ou injustement acquittée ou relaxée. Si le premier cas est le plus dangereux pour les libertés fondamentales (et peut donner lieu, à ce titre, à une procédure de révision et de réexamen), le cas de l’acquittement à tort fait l’objet d’un régime plus favorable pour la personne dont l’innocence est établie. En effet, lorsqu’une décision passée en force de chose jugée a acquitté ou relaxé une personne, ou qu’un non-lieu motivé en droit a été prononcé, la décision devient irrévocable (à l’inverse, un non-lieu motivé en fait, par l’absence d’identification de l’auteur des faits ou l'insuffisance des charges pourra donner lieu à une réouverture du dossier). A ce titre, il convient de rappeler qu’un classement sans suite n’a pas autorité de chose jugée.


Preuve et vérité judiciaire : Relaxe et acquittement « au bénéfice du doute ». Il arrive régulièrement que les tribunaux ou les cours d’assises (et désormais les cours criminelles départementales) décident de la non culpabilité « au bénéfice du doute ». Il en va des cas où le ministère public (et éventuellement la victime, corroborant l’action de ce dernier) ne sont pas parvenus à convaincre le(s) juge(s) et dans certains cas les jurés avec une certitude suffisante. Dès lors, les victimes ressentent le plus souvent cette absence de condamnation comme une grande injustice : la réponse apportée par la société, au travers de l’institution judiciaire, ne correspond nullement à « leur vérité », voire à la réalité matérielle. Cette question essentielle de la preuve se pose notamment dans des affaires sensibles telles que les infractions sexuelles et les violences intrafamiliales et conjugales[18]. Ainsi, il arrive que des dossiers d’infractions matériellement bien réelles soient classés sans suite ou donnent lieu à une ordonnance de non lieu ou à une relaxe ou un acquittement.


Preuve et vérité judiciaire : Apporter une réponse judiciaire la plus précise et proche des faits possible. Si cette possibilité d’une absence de condamnation est le plus souvent inaudible pour les victimes, elle se comprend par l’impossible mission du juge, qui n’était pas présent au moment des faits. Pour tenter de résorber partiellement le fossé qu’il peut y avoir entre vérité judiciaire et réalité des faits, des procédures sont mises en place afin d’apporter une réponse sur la plan moral (et dans certains cas financier) aux victimes : c’est le cas notamment de la nouvelle procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental[19], de l’intervention envisageable de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) dans le cadre de certaines affaires où l’auteur des faits est resté inconnu, ou encore de l’obligation de mentionner les motifs du classements sans suite (et notamment de faire valoir le motif de prescription expressément lorsqu’il est retenu).


Il faut saluer ces efforts, qui tendent à apporter une « réponse judiciaire », même si ce n’est pas une condamnation, pour permettre à la justice de se rapprocher de la réalité matérielle.

Cela peut concourir à l’objectif d’apaisement social, sans toutefois transiger sur les principes les plus essentiels de notre procédure pénale, à commencer par la présomption d’innocence et l’administration de la preuve.




Adélie JEANSON-SOUCHON


 

[1] Vocabulaire juridique, sous la direction de Gérard Cornu, 12è édition, 2018, PUF


[2] Voir l’article disponible dans cette revue : « Les implications probatoires de la présomption d’innocence », Adélie JEANSON-SOUCHON et Mathilde SAUER, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[3] Voir l’article disponible dans cette revue : « L’histoire des modes de preuve, de l’Antiquité au Moyen-Age », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal

[4] Voir l’article disponible dans cette revue : « Les différents modes de preuves classiques », Léa DOS SANTOS, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[5] Voir l’article disponible dans cette revue : « Preuves atypiques : quelles limites à leur recevabilité? », Léa DOS SANTOS, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[6] Voir l’article disponible dans cette revue : « La trace ADN : nouvelle reine des preuves ? », Mathilde AMBROSI, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[7] Voir l’article disponible dans cette revue : « Un recueil qualitatif de la parole des enfants victimes », Adélie JEANSON-SOUCHON, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[8] Voir l’article disponible dans cette revue : « Commentaires d’arrêts de la Cour de cassation rendus en matière de liberté de la preuve pénale », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal

[9] Voir l’article disponible dans cette revue : « Une liberté à géométrie variable présidant à l’administration de la preuve pénale », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[10] Voir l’article disponible dans cette revue : « Les implications probatoires de la présomption d’innocence », Adélie JEANSON-SOUCHON et Mathilde SAUER, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[11] Voir l’article disponible dans cette revue : « Droit pénal spécial : réflexions sur l’article 434-15-2 du Code pénal », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[12] Voir l’article disponible dans cette revue : « Preuve et intime conviction », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[13] Voir l’article disponible dans cette revue : « Les procès-verbaux de constat : une super preuve ? », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal

[14] Voir l’article disponible dans cette revue : « La juridiction pénale compétente : un élément déterminant dans le poids de la preuve ? », Mathilde SAUER, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[15] Voir l’article disponible dans cette revue : « Commentaire d’une citation : Une certitude n’a jamais été une preuve. Une preuve n’a jamais été ni ne sera une vérité. », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal


[16] Cass. Crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676, FS-P+B+I


[17] Art. 226-2-1 C.pén. : Est puni [de deux ans d'emprisonnement et à 60 000 € d'amende] le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1.


[18] Voir l’article disponible dans cette revue : « Prouver le viol », Mathilde SAUER, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal

[19] La loi 2008-174 du 25 février 2008 a modifié les règles applicables à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Elle a permis aux juridictions d’instruction ou de jugement de rendre une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés, et non plus une décision de non lieu. Cette procédure permet une meilleure reconnaissance des faits à l’égard des victimes, et peut permettre une indemnisation devant les juridictions pénales.



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