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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Interview de Mme Mari Goicoechea, Contrôleur au CGLPL

Dernière mise à jour : 19 nov. 2023

Autorité administrative indépendante instituée par la loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007, le CGLPL est, pour la France, le mécanisme national de prévention défini par le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture. À ce titre, il exerce une mission de contrôle préventif des conditions de prise en charge des personnes dans l’ensemble des lieux de privation de liberté.



Quel est votre parcours ?

Je suis diplômée d’un Master 2 en droit social à l’université de Toulouse (UT1). En parallèle du Master 1, j’ai également suivi un certificat d’étude en droit criminel et pénitentiaire : il alliait des enseignements théoriques (droit pénal spécial, procédure pénale, criminologie, etc.) et pratiques (intervention de fonctionnaires de police, de magistrats, d’avocats, de médecins, d’agents de l’administration pénitentiaires, de chercheurs, etc.). Contrôleure au CGLPL est mon premier poste.


Pourquoi avez-vous souhaité intégrer le contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Comment y êtes-vous arrivé ?

C’est à l’occasion d’un stage, en fin de licence, à l’Observatoire international des prisons – Section française (OIP-SF), que j’ai découvert l’existence du CGLPL. Cette autorité n’avait été créée que quelques années auparavant (en 2007) mais constituait un acteur incontournable pour quiconque s’intéressait à l’étude et à la défense des droits des personnes détenues, entre autres.

J’ai ensuite eu la chance de rencontrer, en la personne de ma directrice de Master 2, une passionnée des questions pénitentiaires. En me proposant d’écrire un mémoire de recherche sur la protection sociale des travailleurs détenus, elle m’a permis de faire le pont entre les deux domaines qui m’intéressaient : le droit social et le droit pénitentiaire.

Au cours de cette dernière année d’étude, j’ai effectué un stage long au CGLPL sous le mandat d’Adeline Hazan, et j’ai eu le plaisir d’y rester. Le CGLPL est une équipe d’une cinquantaine de personnes qui présentent des parcours multiples (avocats, magistrats, médecins, directeurs des services pénitentiaires, journalistes, juristes, responsables associatifs…) et des statuts différents : certaines bénéficient d’un détachement de leur fonction pour une période déterminée, d’autres sont contractuelles de la fonction publique, d’autres enfin sont retraitées de leurs fonctions. L’équipe se compose de contrôleurs permanents et de contrôleurs extérieurs (qui, au terme d’une formation, interviennent « ponctuellement » pour des missions de contrôle, sans être embauchés à temps plein).


Quelles sont les qualités essentielles pour exercer ce métier ?

Je crois qu’il faut avant tout être observateur, curieux et à l’écoute des personnes qui nous saisissent ou que l’on rencontre au gré des missions. Il y a aussi une grande part de travail d’équipe, et c’est ce que j’apprécie dans ce métier.


Pouvez-vous expliquer votre fonction au sein du contrôleur général des lieux de privation de liberté ?

Comme tout contrôleur, je participe aux visites des lieux de privation de liberté, sur lesquelles je reviendrai.

Je suis également chargée, au sein d’une équipe, du traitement des lettres adressées à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : il s’agit actuellement, pour un mandat de six ans, de Dominique Simonnot. Le CGLPL est destinataire d’environ 3000 lettres par an, envoyées par les personnes privées de liberté, leurs avocats, leurs proches, des associations, des particuliers... Ces courriers constituent une manne d'informations gigantesque et nous permettent de connaître de manière très précise le fonctionnement des lieux de privation de liberté et les conditions de vie des personnes qui s’y trouvent. Ces lettres soulèvent fréquemment des questions nouvelles, et donnent régulièrement lieu à des enquêtes auprès des autorités (locales et nationales), à chaque fois que l’on perçoit un risque d’atteinte aux droits fondamentaux d’une ou plusieurs personnes privées de liberté. Ces enquêtes sont réalisées par courrier ou, lorsque c’est nécessaire, sur place.

Une partie de mon activité est également de participer aux travaux thématiques portés par le ou la Contrôleure générale (rapports et avis). L’ensemble de ces travaux est accessible sur le site du CGLPL : www.cglpl.fr


Si vous deviez résumer, pouvez-vous décrire votre métier en trois mots ?

Observer, s’interroger et…écrire.


Quelle est votre journée type ?

Hors missions de contrôle ou participation à des travaux thématiques, mes journées s’organisent principalement autour de l’analyse et du traitement des témoignages reçus.


Avez-vous eu de belles découvertes dans le cadre de votre métier ?

Elles sont multiples et ont autant trait aux matières juridiques nouvelles et insoupçonnées auxquelles je me suis mesurée, qu’aux personnes d’horizons très différents avec lesquelles je travaille tous les jours.


Et des désillusions ?

Je ne sais pas si l’on peut parler de désillusions, mais on ne peut que regretter que les recommandations formulées par le CGLPL, qui n’ont pas de force contraignante, ne soient qu’imparfaitement suivies. Parfois, des bonnes pratiques soulignées dans certains établissements et dont on estime qu’elles devraient être déployées dans l’ensemble des établissements sont abandonnées. On compare souvent le travail du CGLPL à un travail de fourmi, laborieux et fastidieux. Pourtant il y a nécessité à agir, comme le rappelait le premier contrôleur général, Jean Marie Delarue, deux ans après la création de l’autorité : « Le CGLPL est convaincu que les changements nécessaires ne peuvent se faire en un jour. Mais, simultanément, on doit bien être conscient qu’en la matière, il y a double urgence, d’une part parce que des améliorations souhaitables n’ont que trop tardé, d’autre part parce que, en ces matières, la condition humaine est souvent en jeu ».


Avez-vous un souvenir professionnel vous ayant marqué ?

Un long entretien avec une jeune femme incarcérée avec son nourrisson. C’est une situation assez déconcertante…


Comment se déroule une visite au sein d’un lieu privatif de liberté ?

Chaque première quinzaine du mois, plusieurs lieux de privation de liberté (établissements pénitentiaires, services de psychiatrie accueillant des patients en soins psychiatriques sans leur consentement, centres de rétention administrative, locaux de garde à vue…) sont visités par des équipes de contrôleurs : la durée de la visite et l’effectif de l’équipe fluctuent en fonction de la taille du lieu. Le premier jour, la mission de contrôle est présentée au personnel de l’établissement et une brève visite des lieux permet aux contrôleurs de se repérer sur le site.

L’objectif d’une mission de contrôle est d’appréhender l’ensemble des aspects du fonctionnement du lieu, toujours sous le prisme du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Pour cela, les contrôleurs se rendent où ils le souhaitent (dans les cellules ou les chambres, les lieux où se passent les visites, les activités, les promenades, les soins, les repas, les éventuelles sanctions disciplinaires, les véhicules permettant le transport des personnes, etc.), s’entretiennent avec toute personne susceptible de les éclairer sur le fonctionnement du lieu et reçoivent en entretien confidentiel chaque personne qui le demande.

A l’issue de ces visites, un rapport est rédigé : il fait état des constats et des recommandations du CGLPL. Il est adressé aux autorités en charge de l’établissement, qui peuvent faire valoir leurs observations, avant d’être transmis aux ministres de tutelle (principalement de la Justice, de la Santé et de l’Intérieur). Au terme de cette procédure contradictoire, chaque rapport et les éventuelles observations des autorités sont publiés sur le site du CGLPL.


Comment se passent vos relations avec les différents acteurs lors de vos déplacements ? Êtes-vous bien accueillis ?

Oui, car le CGLPL et son activité sont, aujourd’hui, bien identifiés par les professionnels et intervenants qui exercent dans les lieux de privation de liberté. Une mission de contrôle, pendant plusieurs jours par des équipes parfois importantes, n’est pas anodine. Mais c’est un temps qui permet de confronter des points de vue et, on le souhaite, une prise de recul sur le fonctionnement des lieux et la prise en charge des personnes privées de liberté.


Que pensez-vous des différentes condamnations de la France et des évolutions jurisprudentielles sur les conditions de détention ?

En 2018, le CGLPL a publié un rapport thématique sur « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale », dans lequel il démontre notamment que la surpopulation porte atteinte à l’ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues et émet un certain nombre de propositions susceptibles d’y remédier efficacement. Ces propositions prennent un sens particulier dans le contexte actuel de pandémie. Actuellement, ni les lois sur l’encellulement individuel, ni les normes relatives à l’espace vital par personne détenue, telles que recommandées par le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements humiliants ou dégradants (CPT), ne sont respectées, pas plus que ne le sont les propres normes de l’administration pénitentiaire.

Les récentes avancées jurisprudentielles touchent à la fois à la notion de dignité des conditions de détention et à celle de l’accès au juge par les détenus, deux sujets ayant une place fondamentale dans les travaux du CGLPL. La création d’un recours effectif pour faire cesser des atteintes à la dignité humaine en prison, en procédant si nécessaire à des libérations, est une avancée majeure pour l’amélioration des conditions de détention. On est donc évidemment très attentifs aux suites qui y seront apportées et à leur mise en œuvre concrète.

On observe d’ailleurs que les rapports et les avis du CGLPL sont de plus en plus utilisés par les avocats pour engager la responsabilité de l’Etat dans le cadre de contentieux, devant les juridictions françaises ou européennes. Il s’agit de rôles très complémentaires : si le CGLPL n’a pas de pouvoir d’injonction, la condamnation, par la justice, des pratiques des pouvoirs publics constitue un levier très important pour faire cesser des atteintes aux droits fondamentaux.


Pensez-vous qu’il reste encore des choses à améliorer afin de garantir les libertés fondamentales ?

Vaste question ! Dans ses Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, le CGLPL a tenté d’y répondre, et d’établir un socle minimal des mesures à prendre pour respecter les droits des personnes privées de liberté.

Il faut rappeler qu’il n’existe pas de liste de ces droits à proprement parler, mais je reprendrai la définition adoptée par le CGLPL : les droits fondamentaux sont les droits qui, lorsqu’ils sont méconnus, portent atteinte à l’intégrité physique ou morale d’une personne, à ce qui lui confère sa singularité, et à ce qui la relie à ses proches ou à une communauté, c’est-à-dire à sa dignité, qui est par nature égale pour tous les êtres humains.

Mais il ne s’agit pas uniquement de reconnaître qu’une personne privée de liberté est titulaire d’un droit ; l’administration doit en assurer l’effectivité, c’est-à-dire en permettre la mise en œuvre.

Pour cela, le CGLPL a énoncé 257 recommandations transversales et applicables à l’ensemble des lieux de privation de liberté. Je vous invite à aller les lire… Elles vous donneront un aperçu de la diversité des sujets de contrôle du CGLPL.


Quels sont vos projets pour le futur ?

Ils dépendront directement des établissements que je visiterai à l’avenir et des nouvelles questions que poseront les témoignages reçus. C’est l’avantage du CGLPL : ne jamais savoir précisément de quels sujets seront faites les prochaines semaines et avoir la certitude de n’en avoir jamais fait le tour !



Nous remercions à Mme Mari Goicoechea d’avoir pris le temps de nous faire part de son expérience en tant que contrôleure au CGLPL


Propos recueillis par Pauline ROSSI


Cette interview a été publiée pour la première fois dans la revue n°9, en février 2021


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