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Interview d'un directeur des services pénitentiaires

Dernière mise à jour : 19 nov. 2023

Quel est votre parcours ?

Après avoir effectué une licence en faculté de lettres et intégré un institut d’études politiques dont je suis sorti avec un master II en sciences politiques, j’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que contractuel pour un établissement public administratif sous tutelle du ministère de l’Intérieur, en région parisienne.


Pourquoi avez-vous souhaité devenir directeur des services pénitentiaires ?

Lorsque j’ai quitté mon ancien poste, je souhaitais occuper de nouvelles fonctions m’apportant diversité des missions, sécurité de l’emploi et ne pas être obligé de travailler à Paris. A l’étude des nombreux concours à responsabilité de la fonction publique, celui de DSP est devenu ma priorité. Sans oublier l’influence non négligeable d’avoir déjà un membre de la famille surveillant pénitentiaire !


Pouvez-vous nous expliquer comment on devient directeur des services pénitentiaires ?

Par voie de concours, externe pour les étudiants ou interne pour ceux ayant quatre ans d’ancienneté dans la fonction publique. Ceux-ci demeurent la principale voie d’entrée, à l’exception des recrutements de travailleurs handicapés (RQTH) qui s’effectuent après un entretien d’embauche mais à niveau équivalent de diplôme. Pour ma part, n’étant pas juriste de formation, je suis retourné à l’IEP que j’avais quitté quelques années auparavant pour suivre une préparation aux grands concours. A ceci près que je ne visais pas l’ENA, mais l’ENAP (rires).

Une fois le concours obtenu, la formation initiale s’effectue à l’École nationale d’administration pénitentiaire, à Agen (Lot-et-Garonne) durant un an, entrecoupée de stages de mise en situation en établissement pendant quatre mois.


Quelles sont les qualités essentielles pour exercer ce métier ?

Un sens de l’écoute majeur, une grande humilité face à la diversité des parcours et des profils des personnes qu’on est amené à rencontrer quotidiennement, une grande disponibilité (il existe des astreintes hebdomadaires où l’on se rend rapidement en cas d’incident à l’établissement), une rigueur qu’exige ce poste à responsabilités, de la discrétion... Et ne pas être timide !


Pouvez-vous décrire votre métier en trois mots ?

Les 3 D : dialogue, discipline, décisionnaire.


Quelle est votre journée type ?

Il est plus facile de décrire la semaine type, avec des rendez-vous institutionnels incontournables : la réunion de service du début de semaine, les commissions de discipline, les différentes commissions pluridisciplinaires uniques permettant l’étude des situations des détenus selon plusieurs thématiques (arrivants, sortants, prévention du suicide, accès aux unités de vie familiale, classement au travail ou en formation…), les commissions d’application des peines avec le JAP et le ministère public, les débats contradictoires mensuels pour les aménagements de peine…

Au milieu de cela, des sollicitations de détenus, les courriers aux familles, les projets initiés en établissement, les contacts avec les magistrats du siège ou du parquet, et bien sûr le travail avec les collègues du service pénitentiaire d’insertion et de probation.


Qu’aimez-vous le plus dans cette fonction ?

Tout ceci, justement ! La conjonction de l’institutionnel, prévisible, et du conjoncturel, l'imprévue.


Qu’aimez-vous le moins ?

Lorsqu’un agent se fait agresser, physiquement ou verbalement, par des détenus ou des visiteurs au parloir. Revoir des noms connus lors de la CPU arrivants. Cela témoigne d’un échec individuel mais aussi collectif. Rester souvent coincé dans mon bureau, hors détention, en raison du travail administratif.


Avez-vous eu de belles découvertes dans le cadre de votre métier ?

Lors du confinement de l’année dernière, tous les corps de l’administration ont répondu présents pour permettre la continuité du service public. Parallèlement, la population pénale a compris les enjeux de cette crise inédite, qui les a privés de parloirs et de permission de sortir pendant deux mois.


Et des désillusions ?

Pas pour le moment, car je ne m’aventurais pas en terre inconnue.


Avez-vous un souvenir professionnel vous ayant marqué ?

Le premier décès que l’on doit constater en personne lorsque vous êtes d’astreinte. Cela vous marque, et vous gardez une certaine appréhension par la suite des appels téléphoniques professionnels tardifs. Une situation heureusement rare.


Comment se passent vos relations avec les personnes détenues et leurs proches ?

Les personnes détenues comme leurs familles m’écrivent pour différentes raisons : demandes de transferts pour rapprochement familial, problèmes de cantines, concernant les aménagements de peine, pour solliciter la levée d’une suspension de permis, ou pour obtenir un permis de visite alors que la demanderesse est la victime des faits…

De même, lorsque la personne détenue en fait la demande, en cas de signalement d’une situation par l’officier de bâtiment ou pour toute autre raison, je reçois en audience les détenus en bâtiment. Le plus important reste d’éviter les fausses promesses, de s’engager que sur du possible. Avant la pandémie, je voyais aussi en audience collective tous les détenus entrants de la semaine pour une réunion d’information.

Les relations sont évidemment bien différentes lorsque je préside la commission de discipline !


Pouvez-vous nous expliquer le poids des syndicats dans les fonctions pénitentiaires ?

Le syndicalisme est un droit reconnu à tout fonctionnaire, y compris ceux régis par le statut spécial inhérent à l’administration pénitentiaire (nous n’avons pas le droit de grève). L’agent public ne peut contraindre la puissance publique comme dans le privé, aussi il s’agit beaucoup de consultations avant les prises de décision.


Que pensez-vous des différentes condamnations de la France et des évolutions jurisprudentielles sur les conditions de détention ?

Il ne m’appartient pas de commenter des décisions de justice. Mais nous pouvons constater en effet l’influence du droit européen sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui permet désormais au juge du siège de mettre en liberté, sous contrôle judiciaire ou sous surveillance électronique un prévenu ou un appelant si les conditions de détention sont jugées indignes. Cette possibilité pourrait même être élargie aux condamnés définitifs. Les premières requêtes effectuées auprès des établissements obligent par conséquent l’administration à maintenir le cap sur l’amélioration des conditions de détention, même si d’autres éléments, à savoir le nombre d’entrants, ne relèvent pas de sa compétence.


Comment sont prises en charge les personnes radicalisées en détention ?

L’administration a mis en place des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) dans plusieurs établissements où sont affectés certains détenus signalés et suivis par le renseignement pénitentiaire. En dehors de ces faits, ces personnes demeurent libres de s’inscrire aux activités proposées par l’établissement.


Pensez-vous qu’il reste encore des choses à améliorer afin de garantir les libertés fondamentales ?

Peu d’administrations, à l’exception de l’armée, ont autant évolué ces 20 dernières années que l’administration pénitentiaire, notamment par la prise en compte accrue du droit au recours et l’extension de celui-ci opéré par le juge administratif. De même, la mise en place des règles pénitentiaires européennes en 2006, la loi pénitentiaire de 2009 sont venues améliorer et consacrer dans le cadre législatif les libertés fondamentales. Il s’agit donc essentiellement d’améliorer les conditions de détention, ce qui passe depuis trente ans par la construction de nouveaux établissements et la fermeture des maisons d’arrêt plus vétustes, datant pour la plupart du XIXe siècle.


Quels sont vos projets pour le futur ?

Il m’est possible de travailler dans tout type d’établissement : maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale, établissement pénitentiaire pour mineurs. Mon premier projet sera donc une mutation géographique et fonctionnelle, avant d’envisager une montée en responsabilité. Il existe aussi des postes de rédacteurs, chargés de mission ou chefs de bureau soit à l’administration centrale à Aubervilliers, soit au sein des directions interrégionales. Le détachement dans d’autres administrations peut tout à fait être envisagé pour découvrir de nouveaux horizons. Et puis, pour aller plus loin, pourquoi pas le comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe ?


Quels conseils donner aux étudiants, notamment ceux qui ont vocation à intégrer le domaine pénitentiaire ?

Être un marathonien plutôt qu’un sprinteur dans la préparation du concours. Ne pas être bloqué par le nombre limité de présentations au concours (trois)[1], tous les lauréats ne l’obtiennent pas du premier coup. Préparer l’oral dès la fin des épreuves écrites. Ne pas jouer un rôle qui n’est pas le sien devant le grand jury, épreuve décisive de par son coefficient. Et surtout, ne pas choisir ce métier par défaut, même s’il peut être un premier pas professionnel important.


Voulez-vous ajouter quelque chose pour conclure cette interview ?

Simplement vous remercier pour votre intérêt envers le métier et en espérant avoir suscité la curiosité de vos lecteurs, qui peuvent contacter les établissements proches de chez eux pour solliciter un stage et se faire leur propre opinion.



 

[1] Les propos ont été recueillis avant une réforme qui a mis fin à la limitation de présentation au concours. Désormais, il est possible de tenter le concours autant de fois que voulu : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043297410?fbclid=IwAR0dyABHLORfD0JoTildCve4FJf 0rvqcPDtDvOIZPyFx6iBr1Y95ykqETCc




Nous remercions notre aimable contact d’avoir pris le temps de nous faire part de son expérience en tant que directeur des services pénitentiaires


Propos recueillis par Pauline ROSSI


Cette interview a été publiée pour la première fois dans la revue n°9, en février 2021

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