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Cours criminelles départementales : réformer la cour d’assises plutôt que la remplacer


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La mission d’information parlementaire sur les cours criminelles départementales (CCD) a rendu ses préconisations en juillet {1}. Certaines vont dans le bon sens, d’autres soulèvent des inquiétudes. La généralisation des cours criminelles départementales était crainte et les signaux sont inquiétants …


Il faut saluer l’idée de réinvestir une phase préparatoire : il est indispensable que les parquets, les greffes, les présidents d’assises et, le cas échéant, les parties se montrent plus rigoureux dans la préparation et la gestion du temps d’audience. La suppression du délai initial de six mois au profit d’un délai maximal d’un an apparaît également cohérente : la matière criminelle connaît déjà cette logique de délai modifié, notamment en appel.


I) Les préconisations mettant en danger la cour d’assises.


Mais d’autres orientations sont contestables. L’instauration d’un « plaider coupable » criminel me semble incompatible avec la nature même du procès criminel. Que faire si l’accusé varie dans ses déclarations ? Quelle forme prend l’audience s’il plaide coupable ? Quid de l’oralité des débats, principe d’ordre public qui structure l’audience d’assises, permet la pédagogie sociale, « fait société » et contribue à prévenir la récidive ? 

Une telle audience est inconcevable au regard des caractères particuliers de la procédure. Toutefois, le déroulement des débats pourrait évoluer en fonction du positionnement de l’accusé. Et, par exemple, faire comparaître plus ou moins de témoins, axer les débats plus sur la personnalité ou sur les faits. C’est le déroulement en lui-même qui peut être modifié en fonction du positionnement de l’accusé, ce qui implique une gestion fine de l’audiencement. Cette proposition est nécessairement à nuancer, en fonction des profils des accusés, puisqu’il n’est pas rare que les versions changent même au cours du procès. De facto il faut non pas une possibilité binaire, mais une souplesse accrue pour que la durée des débats puisse être réellement en phase avec le positionnement de l’accusé au jour des débats.

Cette durée des débats est un élément important puisqu’elle a un effet budgétaire, plus les débats sont longs et plus le budget d’une audience s’alourdit, même s’il ne faut pas voir une audience de Cour d’assises uniquement par son budget, les réformes envisagées ont cet objectif in fine.  


La proposition de réduire la formation à trois magistrats pose la même difficulté : dans ce cas, à quoi sert la CCD ? Autant créer un tribunal correctionnel à compétence élargie. Enfin, la perspective d’une cour criminelle d’appel brouille la classification tripartite des infractions en instaurant une quadripartition artificielle, tout en ouvrant la voie à une suppression de la cour d’assises.

En effet, la compétence ratione materiae de cette juridiction, d’autant plus élargie en appel, pourrait entraîner un affaiblissement non pas de l’intérêt mais de la clarté de la classification tripartite des infractions fondées sur leur gravité et leur juridiction de jugement. Cette quatrième juridiction pénale jugeant une partie des crimes, dont la césure entre Cour d’assises et Cour criminelle départementale est prise en rapport à la gravité des infractions puisqu’en fonction de la peine encourue, pourrait conduire à bouleverser cette classification des infractions corrélées aux quatre juridictions de jugement des infractions pénales.


II) Les évolutions possibles des juridictions criminelles.


D’autres mesures sont en revanche opportunes, telle que la facilitation des délocalisations. L’article 233 du Code de procédure pénale prévoit une cour d’assises par département. Mais cette organisation crée des disparités fortes : certains départements sont engorgés, d’autres quasiment vides. L’inter-départementalisation permettrait une gestion plus fine des stocks, une répartition plus rationnelle des affaires et une diminution des délais d’audiencement, tout en restant plus acceptable pour les justiciables que l’idée d’une juridiction criminelle « unique » et éloignée.

Le flux des dossiers, la gestion fine des stocks peut se résoudre par une solidarité qui pourrait être qualifiée d’inter-juridictionnelle, et sans doute par un véritable double degré de juridiction ce qui de surcroît apporterait une meilleure lisibilité de la justice.

L’article 233 du Code de procédure pénale indique qu’il y a une Cour d’assises par département, certes la Cour d’assises a plénitude de juridiction mais cela pour sa compétence matérielle (remise en cause par l’instauration de la Cour criminelle départementale).

De facto, les mises en accusation du département renvoient pour juger à la Cour d’assises du même département. Dans la gestion des stocks, cela conduit à une disparité géographique. En effet, dans certains départements l’audiencement peut être long du fait de l’encombrement des rôles, et, parfois la juridiction est donc scindée en section. Alors que dans d’autres les stocks sont quasi inexistants.

Interdépartementalisation possible. Afin de désencombrer les juridictions qui en auraient besoin, in fine pour une meilleure administration de la justice, il pourrait être envisagé une inter-départementalisation. C’est-à-dire qu’une mise en accusation ne conduirait pas automatiquement à être jugé dans le même département. Et, cela peut se faire dans les départements limitrophes, ce qui pourrait permettre d’être mieux admis par les justiciables. Il suffirait pour mettre en œuvre cela une coordination des chefs de cours, et soit l’indication dans la mise en accusation d’une autre Cour d’assises ou une ordonnance des chefs de cours permettant de transmettre, pour juger le dossier, à la Cour d’assises d’un autre département.

L’intérêt de cette inter-départementalisation pourrait être affaibli par la gestion des appels. L’appel étant circulaire c’est en général au sein du ressort que sont distribués les dossiers en appel. Afin d’améliorer l’appel et dans la continuité d’une gestion rationnelle des stocks il faudrait un véritable double degré de juridiction.



Appel circulaire. En effet, l’appel en matière criminelle est dit circulaire, c’est-à-dire que c’est une autre Cour d’assises qui est saisie en appel. De facto, c’est en général au sein du ressort de la cour d’appel que les dossiers sont répartis. L’exemple typique dans un ressort est celui où il y a des Cours d’assises où l’une statue en appel de l’autre.

Véritable double degré de juridiction souhaité. Afin que les justiciables puissent véritablement bénéficier d’un double degré de juridiction, il faudrait instaurer de véritable cour d’appel criminelle. La composition pourrait être revue mais il faut rester vigilant et conserver la présence des jurés. Ce double degré de juridiction ne doit pas nécessairement copier les autres juridictions, en ce sens que toutes les cours d’appels ne seraient pas systématiquement cour d’appel criminelle et cela pourrait regrouper plusieurs ressorts de cours d’appels, voire se calquer sur les nouvelles régions. Cette création désengorgerait une partie des Cours d’assises et pourrait apporter encore plus de finesse dans la question de l’inter-départementalisation. 

Cependant, cela pourrait conduire à un éloignement de la justice par rapport au justiciable, il ne faut donc pas choisir la juridiction siège de la cour d’appel criminelle en fonction de la taille de la cour d’appel et du chef-lieu de la région, mais une juridiction géographiquement plus centrale ou qui a des facilités d’accès. Allant plus loin cette juridiction pourrait avoir son siège au sein d’un tribunal judiciaire.

Une fois la compétence juridictionnelle rationalisée afin d’apporter de la souplesse dans la gestion des dossiers, il faut rationaliser l’audiencement.

Un audiencement rationalisé c’est, en quelque sorte, apporter de l’amélioration dans la gestion des jurés et de leurs tirages au sort. En effet, la succession des tirages au sort, la lourdeur administrative de la gestion des jurés impliquent une gestion quasi instantanée avec l’audiencement, ou plutôt une gestion des jurés qui se calque à cet audiencement. Cette gestion pourrait être améliorée pour apporter de la souplesse et donc être en phase avec l’audiencement, mais aussi pour alléger cette gestion.

Simplification de la gestion des jurés. Tout d’abord au sujet des tirages au sort, il faudrait que les listes communiquées au greffe par les mairies soient purgées de toute incompatibilités de telle sorte qu’il pourrait être évité un tirage de liste définitive après l’établissement de la liste préparatoire. En effet, si les mairies sont diligentes assez en amont il est possible qu’elles aient des éléments d’incompatibilités ou d’incapacité avec la communication de la liste au greffe. De facto, l’ensemble des listes communiquées au greffe constituerait la liste définitive. En conséquence, la commission départementale n’aurait plus lieu d’être. 

La phase du tirage au sort de la liste de session pourrait tout à fait être conservée. Cependant, la phase de la révision dans son côté audience solennelle peut sembler superflu {2}. Elle a son intérêt pour accueillir les jurés, ce qui peut tout à fait être conservé. Toutefois, l’audience pourrait ne plus exister, elle peut se substituer à une gestion plus administrative des demandes de dispense qui seraient traitées par les greffiers. En effet, ils sont à même d’avoir à l’esprit le quorum pour le tirage des jurés de l’audience, ce qui allégerait la gestion des jurés avec moins de phase de tirage au sort. 

De plus, avec un audiencement rationalisé et une vision annuelle, les listes de session pourraient être établies une fois par an pour toutes les sessions. Ce qui laisserait une marge de manœuvre dans l’organisation et la gestion des jurés par le greffe.

Cet allègement amènerait une souplesse dans l’audiencement, et, aurait un aspect économe dans la gestion des jurés. L’oralité des débats serait donc préservée dans un audiencement réformé mais cela est tout aussi vrai pour les débats en eux-mêmes.


Abaisser le nombre des auditions. Lorsqu’à l’appel des témoins et experts il y a plus d’une vingtaine de témoins et plus d’une dizaine d’experts, les parties savent que les débats vont durer. 

S’agissant tout d’abord des témoins, la solution de facilité pour diminuer la durée des débats est de diminuer le nombre de témoins, et d’instaurer un nombre maximum de témoins par dossier. Il y a deux inconvénients à cette solution, le premier c’est que cela ne prend pas en considération les particularités de chaque dossier et, le second c’est que si le ministère public fait comparaître le nombre maximum de témoin les parties ne peuvent plus en faire comparaître, ce qui est contraire à leur droit indiqué à l’article 281 du code de procédure pénale. Pour pallier cette seconde difficulté, il faudrait que le nombre maximal ne soit pas pris en compte pour le droit aux parties de faire comparaître d’autres témoins, et dans ce cadre diminuer le nombre de l’article 281, alinéa 4, dudit code qui est actuellement de cinq. Et, pour pallier le premier inconvénient, il faudrait que cette mesure soit couplée avec une exception pour laquelle il y aurait une exigence de motivation.

S’agissant des experts, la solution pour diminuer la durée des débats serait de ne plus les faire comparaître à l’audience. Il est vrai qu’il est difficile pour eux de faire coïncider leur agenda avec les audiences de Cours d’assises. De plus, dans certains départements il y a un manque d'experts. Cette solution serait avantageuse pour eux. Pour que cette solution n’affaiblisse pas le principe de l’oralité des débats, il faudrait rendre obligatoire la lecture des expertises. De plus, pour les dossiers où les expertises s’avèrent importantes ou très techniques puisqu’il y a un réel enjeu de responsabilité pénale, ou lorsqu’il y eu des demandes de contre-expertises, il faudrait conserver la comparution des experts.

En d’autres termes, tant pour les témoins que pour les experts, la diminution de la durée des débats serait assurée par l’apport de souplesse dans les règles de comparution, une telle souplesse est envisageable pour le président.

Président de la Cour d’assises. Le magistrat qui préside les débats est le maillon essentiel pour le déroulement du procès. Ce sont des magistrats rompus à l’exercice, qui œuvrent pour la manifestation de la vérité, et, derrière la solennité de l’audience, ils font preuve d’un humanisme et ont tous à cœur de défendre les intérêts de toutes les parties. Une réforme de la Cour d’assises doit passer par des évolutions de cette fonction. Il pourrait être envisageable de ne plus avoir le dualisme cour/président en matière de compétence pour fluidifier les débats. De plus, s’ils avaient plus de liberté d’organisation, ils pourraient par exemple prendre le temps qu’ils jugent nécessaire dans la préparation des dossiers ce qui conduirait inévitablement à des débats encore plus apaisés et donc moins longs. 

Enfin, il faut que l’audiencement ne soit pas conditionné à des contraintes liées au stock, plus de liberté dans cet audiencement conduirait à une gestion plus fine et rationnelle des stocks. 

Lors de l’audience le binôme président-greffier est important. Pour l’audiencement il se fait conjointement entre le parquet et le président, il serait intéressant comme certaines Cours d’assises le font, de convier les greffiers à l’audiencement. Si le trio est représenté toutes les contraintes sont prises en compte et les débats assurément plus courts. C’est l’organisation et la prévoyance par les personnes qui connaissent le dossier qui abaissera la durée des audiences.



C’est donc une autre voie qu’il faut défendre : réformer la cour d’assises plutôt que la remplacer. La CCD, créée à titre expérimental par la loi du 23 mars 2019 et généralisée par la loi du 22 décembre 2021, ne doit pas devenir l’instrument d’une disparition progressive de l’assise. Réformer l’organisation juridictionnelle (inter-départementalisation, double degré criminel spécialisé), rationaliser l’audiencement et simplifier la gestion des jurés suffirait à améliorer la réponse judiciaire. De même, l’oralité peut être préservée tout en rendant les débats plus souples et mieux adaptés au profil de l’accusé, sans sacrifier la solennité.

La justice criminelle ne doit pas être réduite à un simple outil de gestion des stocks. Elle est un moment démocratique et pédagogique, où l’oralité et la participation citoyenne donnent sens au jugement des crimes. C’est cette spécificité qu’il faut préserver et adapter, non effacer.



Références

  • Code de procédure pénale, art. 233 et s.

  • Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 63 (création expérimentale des CCD).

  • Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire (généralisation des CCD).

  • Rapport d’information n° 1687 (17ᵉ législature), Assemblée nationale, 9 juillet 2025.

  • Gazette du Palais, « Vers une réforme des cours criminelles départementales ? », 15 juillet 2025.

T. Hermand, Que va changer la généralisation des cours criminelles départementales ?, The Conversation, janv. 2023.

T. Hermand Les cours criminelles sans jury populaire sont-elles plus rapides et plus justes ?, The Conversation, janv. 2025.

T. Hermand, La cour criminelle départementale : retour sur les premières audiences expérimentales, Les Pénalistes en Herbe, 2020.



Thomas HERMAND

Attaché d’enseignements en droit privé (Université de  Rouen et ICP campus Rouen)


{1}  Rapport d’information n° 1687 (17ᵉ législature), Assemblée nationale, 9 juillet 2025

{2}  C. Verrier, De juré à condamné, éd. L’Harmattan, pour entrevoir le ressenti des jurés sur cette audience.





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© 2023 par Les Pénalistes en Herbe

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