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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Notion de peine : faut-il prendre la peine de comprendre ?

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023


Définition - Dans notre société moderne, la notion de peine occupe une place centrale. Afin de mieux appréhender le contenu de cette notion, il apparait opportun de s’interroger, d’une part sur sa définition et d’autre part sur sa fonction. Ainsi, on entend par « peine » le « châtiment édicté par la loi à l’effet de prévenir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction »[1]. De ce fait, cette définition se réfère à l’un des principes fondamentaux de notre droit pénal, le principe de légalité criminelle mis en exergue par Cesare Beccaria. Ce principe signifie que la peine doit être prévue par une loi et que, par conséquent, seule la loi peut permettre qu’une peine soit infligée à un individu ayant commis un acte contraire aux règles de la société, soit une infraction.

Dans notre société moderne, la notion de peine occupe une place centrale

Typologie des peines - En France, les peines les plus fréquentes sont les peines d’amende et les peines de prison. Tout d’abord, la peine d’amende est une peine en vertu de laquelle la personne qui est reconnue coupable d’avoir commis une infraction va devoir payer une somme déterminée à l’Etat. Le seuil de cette peine est encadré par un quantum correspondant à la peine maximale à laquelle le juge doit se référer. Par ailleurs, il existe la peine de prison qui consiste à incarcérer un individu ayant commis une infraction, dans le respect du quantum prévu par la loi. Toutefois, la peine de prison ne peut être infligée que pour les délits et les crimes. Le crime ayant un degré de gravité plus élevé que le délit, la peine de prison correspondante possède un quantum plus haut. En effet, pour un délit, la peine de prison, nommée « peine d’emprisonnement » ne pourra pas excéder 10 ans. Pour un crime, la peine de prison est nommée « réclusion criminelle », et celle-ci possède comme quantum le moins élevé 10 ans, et le plus élevé la perpétuité, c’est-à-dire sans limite de temps.


Les établissements pénitentiaires - En ce qui concerne les établissements pénitentiaires, la France possède différentes structures adaptées en fonction de la catégorie de condamnation. Les établissements pénitentiaires sont classés en deux grandes catégories, les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. Les maisons d’arrêt correspondent aux établissements dans lesquels sont incarcérées les personnes condamnées à une peine de moins de 2 ans, les personnes en attente de jugement ainsi que celles en attente de place dans les deux établissements ultérieurement présentés. En ce qui concerne les établissements pour peine, on trouve les centres de détention destinés aux personnes condamnées à une peine pouvant aller de 2 à 10 ans et les maisons centrales destinées aux personnes condamnées à une longue peine dans lesquelles les places sont limitées. A côté de ces deux principaux établissements de peine, il existe des structures spécifiques telles que celles destinées aux mineurs, ou encore les centres de semi-liberté. Au sein de ces établissements, la surpopulation carcérale est un sujet qui est devenu un enjeu majeur pour les récents gouvernements qui se sont succédés. Ce sont principalement les maisons d’arrêt qui sont frappées par cette surpopulation carcérale.

Au sein de ces établissements, la surpopulation carcérale est un sujet qui est devenu un enjeu majeur pour les récents gouvernements qui se sont succédés.

Projet de réforme : programme - Pour faire en sorte de remédier à cette problématique qui perdure, le Président de la République, Emmanuel Macron, a proposé une réforme du système pénitentiaire. Ses objectifs premiers sont donc de lutter contre la surpopulation carcérale et de redonner du sens à la peine[2]. Ainsi, il souhaite supprimer l’automaticité de la prison pour les peines inférieures à 1 an, en développant des peines alternatives à l’incarcération. Les peines alternatives, tel que le bracelet électronique, deviendront par conséquent des peines à part entière, accompagnées de travaux d’intérêt général.

Ensuite, l’aménagement des peines de prison supérieures à 1 an ne sera plus possible. Enfin, les peines de 1 à 6 mois pourront s’exécuter à l’extérieur. Toutefois, ce projet de réforme marque la volonté du gouvernement d’appliquer une sorte de politique pénitentiaire à double nature.


D’une part, il semblerait que ce projet souhaite préserver les délinquants condamnés à de faible peine en faisant de la prison une peine en dernier recours. En effet, il est démontré que les courtes peines de prison sont bien plus nocives que bénéfiques. Il est admis que, sur une courte durée, les détenus ne disposent pas du temps nécessaire leur permettant de prendre du recul sur leurs actes et donc de donner un vrai sens à la peine.

D’autre part, ce projet marque la volonté d’appliquer une politique plus répressive en ce qui concerne l’exécution de la peine car par un souci d’efficacité, un délinquant ne pourra plus saisir automatiquement le juge d’application des peines pour aménager une condamnation de moins de 2 ans et les peines de 1 à 2 ans ne pourront plus être aménagées.


Réflexions sur la peine - Sur ce, il apparait opportun de comprendre la fonction de la peine car il est important d’ôter de son esprit que la peine est seulement destinée à punir un individu en raison de ses actes. La fonction de la peine a suscité, au travers des siècles, de nombreuses réflexions au sein de grandes écoles de pensées, telles que : l’Ecole classique[3], l’Ecole des positivistes italiens[4] et l’Ecole de la défense sociale[5]. Leurs théories sur la fonction de la peine ont permis de mettre en évidence toutes les facettes que possède la peine aujourd’hui.

Il est important d’ôter de son esprit que la peine est seulement destinée à punir un individu en raison de ses actes

Les fonctions de la peine - La peine possède une fonction qui est double : une fonction juridique et une fonction sociale.


La fonction juridique – Elle se divise en deux aspects, un aspect préventif et un aspect répressif. Ainsi, l’aspect préventif de la peine s’observe par l’existence même de la peine. En effet, une infraction présente dans le code pénal est composée d’une part d’une incrimination faisant référence à un comportement, et d’autre part d'une peine qui est associée à celui-ci. Ainsi, la présence de la peine permet de dissuader les individus d'adopter le comportement interdit par la loi pénale. De plus, la certitude de se voir infliger cette peine accroit sa fonction préventive. Effectivement, si la peine était infligée de façon incertaine, elle ne serait en rien dissuasive.


Par ailleurs, la fonction juridique de la peine possède un aspect répressif, aspect qui vient directement à notre esprit. De ce fait, la peine est destinée à punir un individu qui a justement adopté le comportement interdit pas la loi pénale et qui a par conséquent causé un préjudice à la société. En effet, l’intervention du droit pénal va au-delà de l’atteinte à un intérêt particulier. C’est parce qu’on porte atteinte à une haute valeur sociale, telle que la vie ou la propriété, que l’on impose des sanctions et interdictions. Il importe de retenir que derrière toute infraction pénale, il y a toujours une dimension collective. Par voie de conséquence, la peine va ici venir répondre à la violation de l’interdit pénal.

Cet aspect répressif met alors en évidence la nature rétributive de la peine, c’est-à-dire que la peine va venir compenser le préjudice que la société a subi par la violation de la loi pénale. Cette nature rétributive a été développée par l’Ecole de la Justice absolue[6] pour laquelle la peine était destinée à faire expier la faute qui avait été commise.


Par ailleurs, St Thomas d’Aquin a affirmé que la peine ne doit pas être utilisée pour se venger, ni comme étant un instrument de souffrance et c’est pour cette raison que c’est à la justice qu’il revient de l’infliger et non la victime. Selon lui, « Ce qui est éducatif dans la peine c’est qu’elle fait comprendre ce qu’est le mal, car celui qui choisit le mal sait qu’il choisit le mal, mais on ne s’habitue pas au mal car il ne nous apporte jamais ce que l'on attend. ». En soi, la faute est volontaire, et la peine est d’une nature contraire à la volonté de l’auteur de cette faute.


La fonction sociale - Par la suite, à la fonction juridique s’ajoute la fonction sociale de la peine. Cette fonction regroupe elle aussi divers aspects : l’exemplarité, la neutralisation et la réadaptation sociale.

L’exemplarité de la peine fait référence à une nature intimidante. C’est la théorie de la doctrine utilitariste qui a admis l’idée selon laquelle la peine doit dissuader les justiciables de commettre une infraction, soit en amont du passage à l’acte, soit en aval de l’infraction pour neutraliser le délinquant. Cette neutralisation du condamné s’attache à la privation de la liberté qui apparait utile dès lors qu’un individu commet un acte grave. Ce sont les positivistes italiens qui ont mis en avant cette volonté de neutraliser l’individu très dangereux.


Enfin, l’article 130-1 du Code pénal dispose en substance que la peine infligée à la personne condamnée a pour fonction « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Ainsi, la peine permet de corriger le délinquant afin qu’il ne récidive pas. Comme il a été dit précédemment, la peine doit permettre au délinquant de prendre conscience des conséquences de son acte. De plus, l’exécution de la peine doit avoir pour finalité de permettre au délinquant de retrouver sa place dans la société. Grispini, auteur italien et partisan de l’Ecole de la défense sociale, a mis en exergue que le fait de resocialiser le délinquant favorise la défense de la société.


Bertrand Cantat, un droit à la réinsertion ? - Cette réinsertion du délinquant dans la société a récemment fait l’objet d’un déferlement médiatique qui a valu de nombreux lynchages à Bertrand Cantat, artiste condamné pour avoir infligé des coups mortels ayant entrainé la mort sans intention de la donner à sa compagne, Marie Trintignant, en 2003. D’un point de vue objectif, Bertrand Cantat ayant purgé sa peine, le droit ne l’interdit en rien de se réinsérer dans la société, c’est un homme libre à présent. La problématique de ce débat s’attache davantage à la morale ou à l’éthique qu’au droit.

En effet, voir un artiste ayant tué sa compagne se produire sur scène peut apparaitre comme un symbole fort. La difficulté tient principalement au fait que son retour sur le devant de la scène se produit en parallèle avec un mouvement de prise de conscience des femmes qui consiste à condamner fermement les violences qu’elles subissent.


Toutefois, Bertrand Cantat est un artiste de profession et sa réinsertion post-incarcération, tout comme la majeure partie des cas, passe par une réinsertion professionnelle. Il est un artiste, qui plus est apprécié par des milliers de personnes, l’interdire de pratiquer son art ne serait-il pas, avant tout, priver ces personnes d’aimer des œuvres d’art ? La musique apaise, la musique soigne et rassemble. Tant sa présence sur scène que l’acclamation de son public ne minimisent en rien l’horreur des faits qu’il a commis et la souffrance des proches de Marie Trintignant. Toute personne douée de discernent conçoit parfaitement l’atrocité de ces actes.


Mais la peine n’a-t-elle pas pour fonction de créer une cohésion sociale en ce qu’elle punit pour mieux réinsérer ? Les infractions pénales ne sont-elles pas là pour protéger la société, favoriser le vivre ensemble en prévenant les comportements interdits ? Alors pourquoi interdire à un homme, libre à présent, de se réinsérer après avoir été puni pour les actes qu’il a commis ? Pourquoi étiqueter perpétuellement un délinquant ayant « payé sa dette » envers la société et la famille de la victime ? Comme l’a très bien dit Henri Leclerc, avocat pénaliste « Un chanteur existe lorsqu’il est en public, un chanteur existe lorsqu’il est en communication avec son public. » et « un des grands principes de la réforme pénale en 1993 a consisté à ne plus attacher à la peine des sanctions permanentes et éternelles. »[7].

Pourquoi interdire à un homme, libre à présent, de se réinsérer après avoir été puni pour les actes qu’il a commis ?

Conclusion - La peine reste encore aujourd’hui au cœur des débats de société. Ainsi, sur le plan de la politique pénale, la surpopulation carcérale suscite la volonté de réformer l’exécution des peines et d’affirmer leur efficacité. Par ailleurs, l’opinion publique reste encore partagée en ce qui concerne la fonction de la peine et la réinsertion des individus dans la société suivant l'exécution de celle-ci.



L'équipe LPEH


 

[1] G.Cornu, Vocabulaire Juridique, 12ed, p.749

[2] En-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/justice

[3] L’Ecole classique, 1830, avec J. Bentham et C. Beccaria comme représentants. C’est à cette doctrine que l’on doit le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que la peine dite «plancher» ou «plafond» .

[4] L’Ecole classique, 1830, avec J. Bentham et C. Beccaria comme représentants. C’est à cette doctrine que l’on doit le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que la peine dite «plancher» ou «plafond» . conditionnelle en 1885 ou encore le sursis en 1891.

[5] L’Ecole de la défense sociale, le 1èr germe de cette école est une association créée à la fin du XIXème regroupant des théoriciens et des praticiens du droit pénal. Les tenants de cette doctrine sont, Grammatica ainsi que Paul Armor et Marc Ancel.

[6] L’Ecole de la justice absolue, XVIIIe, doctrine dégagée essentiellement par E. Kant. Inspiration orientée vers la Morale, selon lui la peine est une réponse du crime et nom un moyen de défendre la société.

[7] http://www.europe1.fr/culture/le-debat-bertrand-cantat-peut-il-encore-chanter-3598880


Pour aller plus loin

Passée la peine, réalisé par Florence Mary (2009)

Après l'ombre, réalisé par Stéphane Mercurio (2017)

Ni juge, ni soumise, réalisé par Jean Libon et Yves Hinant (2018)

Enquête sur les principes de la morale, David Hume (XVIIIe)

Des peines et des récompenses, Jérémy Bentham (XVIIIe-XIXe)

Surveiller et punir, naissance de la prison, Michèl Foucault (1975)





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