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Les conditions de détention en France, prisonnières des idées reçues ?

Dernière mise à jour : 28 déc. 2023





« - Madame, ils sont combien là-dedans ?

- Deux, sur les lits superposés. Parfois trois, ou même quatre en cas extrême. Dans ce cas, on rajoute des matelas par terre entre le bureau et le lit superposé. », nous répond la surveillante en toute franchise. Nous essayons alors de visualiser le mince espace entre le lit et le bureau, s’il était ainsi occupé par deux matelas : tout le sol de la pièce serait occupé, les détenus ne pourraient se déplacer sans devoir marcher sur un de ces lits de fortune.

"Deux, sur les lits superposés. Parfois trois, ou même quatre en cas extrême. Dans ce cas, on rajoute des matelas par terre entre le bureau et le lit superposé"

Voici une des réponses qui nous a le plus marquée lors de notre visite de la Maison d’arrêt de Gradignan au mois de janvier dernier. À la suite d’articles mettant en exergue la position de bon nombre de Français favorables à la mise en œuvre de conditions de détention plus sévères pour les détenus et moins de moyens pour les prisons, nous avons voulu partager avec vous notre témoignage sur cette visite.


Témoignage - Une fois le passage obligé sous les portiques de sécurité effectué, nous entrons dans l’enceinte de la maison d’arrêt. Le silence s’installe parmi les étudiants, hypnotisés par cet immense bloc de six étages. Un haut mur à notre droite cache la cour de promenade des détenus, surplombée d’un filet servant à éviter l’intrusion d’objets lancés depuis l’extérieur. Déjà, on entend des bruits et cris en tout genre lancés à notre égard par les détenus depuis les nombreuses fenêtres du bâtiment, alors que nous ne pouvons les voir. Avant-goût d’un endroit où le silence ne règne jamais.


La surveillante pénitentiaire nous fait avancer. Nous entrons dans le bâtiment des hommes. A ce moment-là, nous nous mettons dans la peau d’un « primo arrivant » : dans le hall d’entrée, des locaux récents permettent de procéder au protocole d’arrivée d’un détenu. Identification, stockage des affaires personnelles et fourniture d’un sac en plastique comprenant le nécessaire pour la première nuit en cellule. Les locaux modernes laissent présager que tout le bâtiment sera accordé, plutôt neuf et salubre. Mais il ne faut pas oublier que la Maison d’arrêt a ouvert ses portes en 1967, le reste du bâtiment n’est donc pas à l’image de l’entrée.

Nous continuons d’avancer, tous plutôt nerveux et intimidés. Le bruit strident de l’ouverture des portes de sécurité résonne, la surveillante pousse la porte. Nous voici dans le premier couloir de la Maison d’arrêt. Nous ressentons instantanément l’air ambiant : froid et humide. Le brouhaha de fond que nous entendons immédiatement ne quittera pas ce large et long couloir durant tout le temps de la visite.


Nous sommes tout de suite amenés en direction de l’atelier : il permet à certains détenus de travailler au sein de la Maison d’arrêt. Cela les aide à se réinsérer, à mettre un peu d’argent de côté en préparant leur sortie mais aussi à leur permettre de payer les dommages et intérêts dus aux éventuelles parties civiles du fait de leur infraction. Nous traversons l’atelier par l’allée centrale, et de part et d’autre les détenus sont en plein travail, s’affairent à leur tâche respective. Ici, des hommes de tout âge trient des câbles électriques afin de les recycler ou de les réparer. Là, une jeune femme classe et empile dans des cartons de petites règles de couleur portant des prénoms d’enfants. Ils se déplacent librement, en bleu de travail, ayant la confiance du chef de l’atelier qui garde tout de même un œil sur eux ; nous pourrions presque oublier que nous sommes dans un établissement pénitentiaire, ce qui nous a semblé très positif.

Ces travaux sont parfois confiés par des entreprises privées qui choisissent de faire faire certaines tâches de leur chaine de production par des détenus. Cette partie de la visite a particulièrement attiré notre attention : nous sommes convaincues que le rôle premier que doit jouer la prison est celui de préparer à la réinsertion, ce qui passe nécessairement par l’exercice d’un travail. En effet, ils trouvent ainsi un rythme et mettent leur incarcération à profit.

"Le brouhaha de fond que nous entendons immédiatement ne quittera pas ce large et long couloir durant tout le temps de la visite"

Au fond de l’atelier, une porte entrebâillée : nous n’y rentrerons pas, mais on nous explique qu’ici certains suivent des cours afin de préparer un BTS par exemple. Les détenus peuvent alors ressortir de prison avec un diplôme en poche, ce qui est encore une fois une chose très importante pour les aider à se réinsérer dans la société à leur sortie.


Puis la surveillante pénitentiaire nous montre la salle de sport de l’établissement. Ici, un surveillant pénitentiaire spécialisé dans la pratique sportive nous accueille tandis que quelques détenus font des exercices de musculation. Il nous explique le fonctionnement, chaque étage peut venir à tour de rôle, il y a un calendrier des jours d’accès dans la semaine. Un système de « drapeau » est organisé : le détenu qui souhaite faire cette activité le jour où son étage y a accès glisse un papier à cet effet dans l’interstice de sa porte de cellule, les surveillants savent alors qu’ils devront venir le chercher pour le mener jusqu’à la salle de sport. Le « coach » nous explique que les appareils sont très souvent cassés et jamais réparés, faute de moyens…

Puis nous entrons dans l’espace de surveillance de la cour de promenade des détenus : de toutes petites fenêtres nous donnent vue sur l’ensemble de la cour. Les détenus marchent, discutent. Il n’y a pas beaucoup d’activité à pratiquer ici, l’espace étant totalement désuet.


Nous montons ensuite au premier étage, où se trouvent les cellules des « primo arrivants ». Tout de suite sur la gauche, il y a les parloirs : plusieurs détenus y reçoivent leurs proches. Ce sont comme des boxs, une porte vitrée sur chaque côté, anéantissant toute intimité. Loin des idées faites dues aux séries américaines, les détenus en France sont habillés comme bon leur semble : jeans, t-shirt, jogging… Et non une combinaison orange ou à rayures comme certains peuvent encore le croire.

Nous découvrons également l'espace de douche : de toutes petites cabines, sales et rouillées.


C’est ensuite que nous découvrons l’intérieur des cellules, sûrement les images les plus marquantes de notre visite. Ames sensibles et estomacs fragiles, s’abstenir. A gauche, un lit superposé. A droite, un bureau, une chaise et une télévision accrochée en hauteur dans un angle du mur. Entre le lit et la chaise du bureau, l’espace est minime. Pour vous donner une idée, l’une de nous s’est assise sur la chaise. En la reculant à peine, elle touche presque le lit superposé. Visualisez donc cette même cellule avec un voire deux matelas ajoutés au sol dans ce maigre espace, et le terme de surpopulation carcérale prend alors tout son sens.

"Visualisez donc cette même cellule avec un voire deux matelas ajoutés au sol dans ce maigre espace, et le terme de surpopulation carcérale prend alors tout son sens"

En face de nous, une étroite fenêtre laisse passer un peu de luminosité. Dans un angle de la pièce, à peine caché par des murs en placo et une porte battante, des sanitaires. Les murs ne vont pas jusqu’au plafond ; on peut donc aisément imaginer le manque d’intimité et d’hygiène flagrants, à la vue de toilettes littéralement posées dans le coin d’une cellule mal aérée, partagées par deux à quatre détenus…

La visite commence à prendre une autre envergure pour nous. La surveillante nous explique à ce moment que la cellule dans laquelle nous nous tenons fait « 8,43m2, pour être précise. ». Malgré nos gabarits plutôt menus, nous nous sentons vraiment confinées ; il est donc difficile de se représenter ne serait-ce que trois détenus d’1,80m dans ces 9m2. A noter que la taille d’une cellule individuelle doit être en principe d’une superficie minimale de 6m2 (sanitaires inclus), et de 4m2pour une cellule collective mais avec en plus des sanitaires entièrement cloisonnés.


Imaginons donc un instant trois détenus dans cette cellule, avec un matelas par terre bloquant tout passage dans la pièce, empêchant l’utilisation de la chaise et donc du bureau. A cela s’ajoutent leurs affaires personnelles, réduisant d’autant plus l’espace de vie de la pièce, la froideur des murs, un semblant de luminosité et l’odeur nauséabonde des toilettes qui envahit la pièce. Nous étions en janvier, et n’avons pas osé nous projetter la situation en été, l’aération n’étant que minimale…


Aussi, nous sommes entrés à tour de rôle dans une cellule particulière, utilisée quand l’on suppose que le nouvel arrivant possède des tendances suicidaires. Cet endroit est le total stéréotype des chambres d’asile psychiatrique que l’on voit dans les films. Des murs d’un bleu vieillissant mais omniprésent, un lit avec un pyjama déchirable (pour éviter tout risque de suicide), des toilettes métalliques posées dans un coin de la cellule sans aucune forme de séparation avec le reste de la pièce, et une télé sous une énorme cloche de protection vitrée. Cet aspect glacial nous a relativement marqué, bien que conscientes que ce type de cellule est particulièrement adapté pour ces cas de fragilité psychologique et de chocs carcéraux.

"Cet endroit est le total stéréotype des chambres d’asile psychiatrique que l’on voit dans les films"

Enfin, nous avons visité le bâtiment des femmes, qui sont bien moins nombreuses. Les cellules sont situées dans un couloir plus étroit, mais de couleur parme, ce qui rend l’endroit plus « chaleureux ». Ici, le calme règne au contraire du bâtiment des hommes. Au fond, derrière la vitre de la nurserie, une détenue nourri son enfant, allongé dans son landau. Une salle de sport va ouvrir : les murs sont déjà joliment décorés par les peintures des détenues.

Avant de sortir du bâtiment, nous voyons une cellule restée ouverte. La femme qui l’occupe échange avec la surveillante pénitentiaire, et nous étions tous obnubilés par l’intérieur de la pièce : les murs vétustes étaient entièrement personnalisés par des photos de proches, des posters… Par la simplicité de cette femme et des hommes que l’on a pu voir, nous avons vraiment compris que les personnes détenues sont des personnes comme vous, et moi.


La direction de cette Maison d’arrêt est tout aussi concernée que nous par les problématiques des conditions de vie des détenus, mais dispose jusque-là de peu de moyens. Il est donc important de souligner que, malgré certaines complications, la situation a été prise en compte et un projet de reconstruction de ce centre pénitentiaire doit débuter en 2019. Ainsi, une nouvelle Maison d’arrêt devrait voir le jour en 2022, enlevant un grand nombre de problèmes liés à l’insalubrité des lieux.

"La direction de cette Maison d’arrêt est tout aussi concernée que nous par les problématiques des conditions de vie des détenus, mais dispose jusque-là de peu de moyens"

Constat en France - Sur le plan national, les établissements pénitentiaires connaissent des situations critiques. En effet, les expressions de « détentions indignes », « traitements inhumains et dégradants », et « mise en danger de la vie d’autrui » viennent actuellement qualifier les conditions de vie des détenus sur le sol français. Cette crise est relative autant à la surpopulation carcérale, qu’au manque d’hygiène que subissent ces femmes et hommes incarcérés. Ce fléau est loin d’être récent, et la France continue à multiplier les condamnations nationales et européennes mettant l’accent sur l’atteinte aux droits des détenus (voir carte).


On peut citer la décision CANALI contre France de 2003 dans laquelle la Cour européenne a admis que l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles de l’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à le rabaisser et à l’humilier. Ces conditions de détention s’analysent en un traitement dégradant qui conduit à une violation de l’article 3 de la Convention européenne[1]. La Maison d’arrêt de Nancy a été fermée par la suite en 2009.


Toutefois, 15 ans après cette condamnation la situation globale du pays n’a pas pour le moins changé, elle s’est même aggravée. En novembre 2017, l’Observatoire national des prisons de France a publié un document mettant en exergue l’état des lieux du centre pénitentiaire de Fresnes[2]. Il en ressort principalement deux choses : d’une part, la surpopulation de cet établissement amène à une promiscuité entre les codétenus. D’autre part, les locaux sont dans une situation sanitaire désastreuse.

"Toutefois, 15 ans après cette condamnation la situation globale du pays n’a pas pour le moins changé, elle s’est même aggravée"

Ainsi, pour ce qui de la surpopulation carcérale, il est important de partir du constat que la France est le seul pays européen où le nombre de détenus ne cesse d’augmenter[3]. Au 1er novembre 2017, l’établissement de Fresnes connaissait un taux d’occupation de 196%, pour 188% en 2016, ce qui correspond à 2582 personnes détenues pour une capacité opérationnelle de 1320 places… Le rapport d’activité de cet établissement en est arrivé à constater que sans l’ajout de matelas ou de troisième lit, « 430 personnes dormiraient à même le sol. ».


La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, a relevé, lors d’une visite en novembre 2016, que « près de 56% » des détenus vivaient à trois dans des cellules ne dépassant pas 10m2, et dans lesquelles les intéressés restent souvent enfermés jusqu’à 22 heures par jour »[4]. Ce problème de surpopulation ne concerne pas seulement les hommes. Ainsi, à la Maison d'arrêt de Nice, cinq femmes partagent une cellule de 11 m2.

"Au 1er novembre 2017, l’établissement de Fresnes connaissait un taux d’occupation de 196%, ce qui correspond à 2582 personnes détenues pour une capacité opérationnelle de 1320 places"

Par ailleurs, récemment et pour la première fois en France, quatre détenus de la Maison d’arrêt de Nîmes ont assigné l’Etat devant la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui »[5]. Dans la continuité de cette affaire, un détenu a saisi la Cour européenne le 10 mars dernier pourréclamer à l’État français la mobilisation de moyens matériels et financiers pour faire cesser immédiatement les traitements inhumains et dégradants dans cet établissement saturé. Cette prison compte aujourd’hui 413 détenus pour 192 places.


Relativement aux locaux inadaptés et à la situation sanitaire désastreuse, les organismes de contrôle ont mis en avant tant l’état critique des cellules, que celui des cours de promenade. Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 2017, celui-ci a relevé que les détenus subissent notamment le « manque de luminosité des cellules, et l’humidité de ces dernières ». De plus, la contrôleuse générale a dénoncé la présence de nombreux nuisibles dans les cellules telles que des cafards ou des punaises de lit. Pour ce qui est de la cour de promenade, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants indique également avoir vu « des rats circuler à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments » et a noté dans les couloirs et les cours extérieures « un nombre considérable de déjections ». Le risque sanitaire est donc à ce jour grave.

"La contrôleuse générale a dénoncé la présence de nombreux nuisibles dans les cellules telles que des cafards ou des punaises de lit"

Conséquences – Au vu de ce constat, il ressort que les conditions de vie atroces et clairement inhumaines ont eu des conséquences sur la santé des détenus et sur leur comportement. Effectivement, qui serait étonné de voir se développer chez de nombreux détenus des maladies ainsi que des infections cutanées très douloureuses, sachant qu’ils vivent aux côtés de rats et de cafards et partagent leur lit avec des punaises ? Une fois leur santé physique affectée, il n’est pas étonnant de comprendre que ces conditions ont des répercussions sur leur santé mentale. La promiscuité entre les détenus ne peut conduire qu’à la perte de toute dignité et l’absence d’intimité. Elle engendre aussi des tensions menant parfois à la violence de certains détenus contre leurs codétenus ou contre les surveillants pénitentiaires.


Le manque d’humanité et de considération augmente la fragilité du détenu et peut par exemple engendrer de surcroit le phénomène de radicalisation. En effet, un individu traité de cette manière par l’État ne peut que développer un sentiment de haine et de colère profonde menant à ce type de comportement. De plus, le taux de suicide a vu aussi son taux augmenter durant les dernières décennies. Il était en France au milieu des années 2000 le plus élevé des pays d’Europe de l’Ouest[6]. Il est ainsi passé de 5 pour 10 000 en 1852-1855 à 18,5 pour 10 000 pour la période 2005-2010[7]. Cette promiscuité a également des effets pervers sur les détenus eux-mêmes. Éric Sniady, un ancien détenu, raconte dans son ouvrage[8] qu'un tiers des détenus n’a pas sa place dans les prisons car « vivre avec des personnes qui ont un problème psychologique ou une maladie mentale, c’est effrayant pour qui est normal ». Il explique alors ce risque dit «d'escalade » qui correspond au nombre de détenus qui sont « entrés en prison avec des courtes peines [et qui] sont poussés à bout et pètent les plombs à tout bout de champ », allant « jusqu’à totaliser trente ans de peines intérieures », c'est-à-dire des condamnations reçues à l'intérieur de la prison.

"Ces conditions ont des répercussions sur leur santé mentale"

Conclusion – Malgré l’existence de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dressant la règlementation à respecter au profit de détenus privés de liberté, des arrêts de principe européens[9] et les nombreux rapports des organismes de contrôle des établissements pénitentiaires alertant de cette crise, les conditions de vie dégradantes et inhumaines des détenus perdurent. Il est urgent de prendre conscience que ce problème, en plus d’impacter les détenus, impacte aussi la société quant à ses conséquences. En effet, ces conditions de vie ne peuvent pas permettre aux détenus de purger leur peine de façon à qu’elle soit bénéfique pour eux et pour la société. Les gouvernements, bien conscients de ce problème, n’agissent pas en conséquence pour autant, et nous nous retrouvons donc face à un réel paradoxe. Il peut alors être mis en avant que par un arrêt du 8 avril 2018, le tribunal administratif de Melun a donné raison à un détenu qui avait engagé un recours en février 2015 contre le Ministère de la Justice. Le juge administratif a alors réclamé, en jugeant les cours de promenade de Fresnes « attentatoires à la dignité humaine », qu’une mise aux normes de ces dernières doit être effectuée. Par ailleurs, le juge annonce de manière exceptionnelle dans sa décision qu’ « il sera procédé à une visite des lieux par les quatre magistrats de la formation de jugement du tribunal » avant que la décision ne soit rendue. Cet arrêt marque-t-il le début d’une réelle prise en compte des conditions de vie en prison, et spécialement à Fresnes ?

"Ces conditions de vie ne peuvent pas permettre aux détenus de purger leur peine de façon à qu’elle soit bénéfique pour eux et pour la société. Les gouvernements, bien conscients de ce problème, n’agissent pas en conséquence"

Consternation - Franceinfo a révélé une étude récente[10] de la Fondation Jean-Jaurès, qui a arrêté notre attention : 50% des Français jugeraient que les conditions des détenus en France sont trop bonnes. Seuls 17% considèrent qu’ils ne sont pas assez bien traités.

Comment ne pas s’insurger à la lecture de tels propos, quand nous avons désormais connaissance de la gravité de la situation ? Pour une grande partie des interrogés, la prison doit être un lieu de souffrance et de punition, le quotidien des détenus devant être dur. Faut-il rappeler que l’article 3 de la CEDH interdit les traitement inhumains et dégradants, et que l’incarcération ne doit pas constituer « une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention » ? Par cette formule, la Cour européenne des droits de l’homme pose un principe clair : si la souffrance est une cause inévitable de la détention, cette expérience ne doit pas dépasser ce qui est au-dessus du seuil de l’acceptable. Encore faut-il se demander où se trouve ce seuil selon les Français.

"Si la souffrance est une cause inévitable de la détention, cette expérience ne doit pas dépasser ce qui est au-dessus du seuil de l’acceptable"

Ils demandent visiblement plus de souffrance pour les détenus, sans même s’interroger sur la question de savoir si l’incarcération n’en est pas déjà une bien assez grande. Ainsi faudrait-il leur en surajouter. Comment ? Les Français désirent-ils des cellules plus étroites ? Des détenus plus entassés ? Des espaces toujours plus insalubres ? Moins d’activités que celles déjà proposées ?


Si les détenus doivent souffrir, c’est sans aucun doute pour « payer », pour « se repentir». Sur cette idée, tout le monde s’accorde. Or ce sont les moyens de ce repentir qui divergent selon les opinions. Comment prendre le temps de l’introspection, du regret, dans un endroit insalubre, où le bruit règne sans cesse ? Lors de notre visite, cela nous a marqué. Le bruit. Constamment. Le soir, ceux qui s’ennuient tapent sur les tuyaux, sur les portes, ce qui résonne entre les étages. Ceux qui ne travaillent pas restent éveillés et bruyants jusque tard dans la nuit, et sont compagnons de cellule avec ceux qui travaillent et qui doivent se lever tôt le lendemain matin. Alors comment retrouver un rythme et un apaisement d’esprit dans cette ambiance ? L’heure à laquelle s’endorment les plus tardifs correspond à l’heure à laquelle se lèvent les plus matinaux. Jamais dans l’établissement il n’y a une heure de calme. Comment lire ? Comment apprendre ?

"Les Français désirent-ils des cellules plus étroites ? Des détenus plus entassés ? Des espaces toujours plus insalubres ?"

De plus, la surpopulation engendre de nombreux problèmes comme nous l’avons constaté. Parmi eux, la réduction des activités proposées : si une salle de sport ou une cour de promenade est aménagée pour un certain nombre de détenus, et que le nombre effectif de ceux-ci dépasse largement le seuil normal, cela engendre une réduction des activités. Moins de sorties, moins de sport. Rester enfermé dans une cellule à deux, trois, ou quatre durant des jours entiers, avec un bureau inaccessible et un bruit constant est aux antipodes de l’ambiance qui devrait régner dans un lieu où le repentir et l’enrichissement personnel devraient être prépondérants. Le but de l’incarcération devrait être de faire ressortir les hommes meilleurs ; elle les fait sans doute ressortir pires.


Lieu de souffrance et de punition, voilà ce que demandent les Français. Qu’ils se rassurent, c’en est un. Mais qui ne porte pas ses fruits, pas comme il le devrait. Être « puni » en dormant sur des matelas en mousse, en mangeant de la nourriture infâme et en côtoyant les rats, est-ce là une punition adéquate pour espérer ensuite réintégrer un ex-détenu dans la société ? Seuls 45% des Français pensent que la prison doit prioritairement préparer la réinsertion, tandis qu’ils étaient 72% en 2000.

"Le but de l’incarcération devrait être de faire ressortir les hommes meilleurs ; elle les fait sans doute ressortir pires"

Nombreux sont ceux qui pensent encore que les détenus ont trop de privilèges. La majorité déclarent qu'ils ne devraient pas avoir accès à un ordinateur et sont opposés à un accès internet. Or il est primordial que les détenus puissent y avoir accès, en vue de leur réinsertion. De plus, certains critiquent le fait qu’ils puissent avoir une télévision dans leur cellule. En 1985, Robert Badinter se battait pour que les détenus aient accès à la télévision ; voir aujourd’hui cela comme un « privilège » met en avant le sentiment des Français qui pensent que les détenus ne devraient avoir accès à aucun loisir. Or cela ne relève pas seulement du loisir, cela relève du droit à l’information. Quelle serait cette société dans laquelle des milliers d’hommes et de femmes seraient totalement coupés du monde extérieur pendant des semaines, des mois ou des années ?

Si les conditions de détention peuvent être renforcées et durcies en raison de l’attitude du détenu ou de la gravité des faits qu’il a commis, il serait injuste de couper du monde un détenu qui est en bonne voie de repentir ou qui n’a commis qu’un petit larcin… Quoi qu’ils aient fait, les hommes restent des hommes.


Thomas HEMMERKEN[11] écrivait « Si tu vois quelqu’un commettre un crime, ne te crois pas meilleur que lui, car tu ignores de quoi tu es capable ». Gardons à l’esprit que vouloir infliger des traitements durs voire inhumains à des hommes n’est pas une attitude souhaitable dans une société démocratique. Aider au repentir et à la réinsertion, voilà ce qui apaise une société.

"Vouloir infliger des traitements durs voire inhumains à des hommes n’est pas une attitude souhaitable dans une société démocratique"

Selon Chloé MORIN[12], « La plupart des Français considèrent qu'ils font déjà énormément d'efforts financiers et ne trouvent pas légitimes d'en faire pour les détenus ». Une fois que nous avons pris conscience du cercle vicieux des mauvais traitements infligés en prison – notamment la multiplication des chances de récidive – nous comprenons que toute la société aurait à gagner si justement, des efforts financiers étaient faits. Les gens réagissent en ne sentant pas concernés, car ils ne sont pas détenus. Emprisonnés ou pas, les conditions de vie à l’intérieur de ces établissements nous concernent tous : une société qui traite correctement ses détenus est une société qui soigne le mal par le bien, et il serait temps de quitter ce cercle vicieux pour enfin entrer dans un cercle vertueux.



L'équipe LPEH


 

[1] Article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales : «Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

[2] Etat des lieux – Fresnes, Observatoire international des prisons – section française, 25 Novembre 2017

[4] Etat des lieux – Fresnes, Observatoire international des prisons – section française, 25 Novembre 2017

[5] Article 223-1 du Code pénal : « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »

[6]. Aubusson de Cavarlay, 2009 ; Duthé et al., 2009

[7] Suicide des personnes écrouées en France : évolution et facteurs de risque, Géraldine Duthé, Angélique Hazard, Annie Kensey, 2014

[8] Entre quatre murs, Eric Sniady, 2016

[9] Arrêt de principe : C’est une décision de justice qui tranche, en son principe, une question de droit en général controversé, qu’il s’agisse de l’interprétation de la loi, ou d’une création prétorienne (du juge), qu’elle émane de la Cour de cassation ou d’une autre juridiction. De plus, cet arrêt est de nature a procurer une autorité morale en dehors de l’espèce jugée. Exemples d’arrêts développant des principes mis en avant par la Cour européenne : On retrouve l’arrêt CEDH 26 octobre 2000 Kudla c/ Pologne qui est un arrêt de principe reconnaissant à tout prisonnier le droit d'être détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine. On peut aussi mentionner les arrêts, CEDH 29 avril 2003 Macglinshey c/ Royaume-Unis et 21 juillet 2005 Rhode c/ Danemark  par lesquels la Cour a créé une obligation pour les Etats de veiller à la santé des détenus en leur fournissant les soins médicaux nécessaires au vu de leur état

[11] Thomas a Kempis ou Thomas Hemerken est un moine néerlandais du Moyen Âge. On lui attribue l'un des livres de dévotion chrétienne les plus connus, L'Imitation de Jésus-Christ

[12] Directrice de l'Observatoire de l'opinion à la Fondation Jean Jaurès






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