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De la radicalisation au djihad féminin : le nouveau fléau français ?

Dernière mise à jour : 8 déc. 2023


A 38 ans, Muriel Degauque, de nationalité belge, est la première femme européenne à avoir commis un attentat-suicide au passage d'un convoi américain en novembre 2005 en Irak causant la mort de cinq policiers irakiens et blessant une demi-douzaine de civils. L'histoire de cette femme n'est pas isolée. En effet, depuis 2012-2013 de plus en plus de jeunes filles et de femmes, converties à l'Islam ou musulmanes de naissance et issues de tous milieux sociaux, ont fait le choix de se radicaliser.

Ce processus de radicalisation est défini par Farhad Khosrokhavar[1] comme « le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d'action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social, religieux qui conteste l'ordre établi sur le plan politique, social et culturel ». La radicalisation ne doit pas se confondre avec l'action de se convertir à une religion, c'est-à-dire le fait d'abandonner une religion pour une autre ou de passer de l'incroyance à la foi religieuse[2]. Dès lors, il est tout à fait possible de se convertir à l'Islam sans pour autant se radicaliser, la conversion n'étant pas synonyme d'extrémisme ni de violence. Toutefois, certaines femmes ayant adopté l'Islam sont effectivement amenées à se radicaliser.


Pourquoi sont-elles entrées dans ce processus de radicalisation ? Pourquoi sont-elles allées jusqu'à partir rejoindre Daesh et à accepter tout ce que cela implique ?


Bien que les motivations poussant ces femmes à partir en Syrie soient complexes, multiples et variables en fonction de chacune d'elles, il semble toutefois possible de faire ressortir deux raisons principales les poussant à partir.

D'une part, certaines femmes sont attirées par une vision romantique du couple et de la vie de famille que leur propose Daesh à travers leur propagande. En effet elles espèrent trouver un mari, un homme fort avec qui établir une union stable et légitime au regard de leur religion et ainsi fonder une famille. D'autre part, parmi les femmes parties rejoindre l'Etat islamique[3] certaines sont fascinées par la violence guerrière à laquelle s'exposent les hommes, violence qui fait partie de la vie quotidienne au sein de Daesh. Il arrive même que certaines d’entre elles soient attirées par cette brutalité, au point d'y prendre part soit en étant l'auteur d'attentats-suicides, soit de manière indirecte contre d'autres femmes jugées hérétiques. On peut à titre d’illustration citer la célèbre brigade Al-Khansaa[4].

"Certaines femmes sont attirées par une vision romantique du couple et de la vie de famille que leur propose Daesh à travers leur propagande"

La décision de ces jeunes femmes de se radicaliser et de rejoindre Daesh est certes liée aux raisons précédemment exposées. Toutefois les études[5] faites au sujet de ces femmes montrent que le zèle de l'Etat islamique n'est pas la seule explication à ce processus. En effet, il est ressorti du témoignage de ces femmes françaises, éduquées dans la culture et les principes de la France, un rejet du mode de vie et des valeurs du monde occidental pour deux raisons principales. D'une part, les conceptions républicaines et laïques n'apparaissent pas forcément adaptées à ces jeunes femmes. En effet, la pratique d'une laïcité exacerbée[6], conduisant à un rejet total de toute forme religieuse par une application parfois détournée de ce principe, est contraire au mode de vie de ces femmes dont le quotidien est dicté par une religion très présente[7]. Dès lors, l'inadaptation de l'application du principe de laïcité à une partie des occidentaux dont font partie ces femmes en conduit certaines à réagir violemment et à se radicaliser, dans un objectif de contestation et de rébellion contre l'Occident et ses valeurs.

"Il est ressorti du témoignage de ces femmes françaises, éduquées dans la culture et les principes de la France, un rejet du mode de vie et des valeurs du monde occidental"

D'autre part, la montée du racisme et de l'islamophobie en France, notamment à la suite de la vague d'attentats perpétrée depuis 2015, contribue également à la montée de la radicalisation de ces jeunes femmes. En effet, ces dernières se sentent rejetées et stigmatisées en raison de l'amalgame souvent réalisé entre la religion musulmane et le terrorisme. Ce climat devient tellement insupportable à vivre pour certaines qu'elles se réfugient encore plus dans leur religion, au point non seulement de radicaliser leur pratique et leur mode de vie, mais également au point de haïr suffisamment le monde occidental pour avoir alors la volonté de partir rejoindre Daesh. Pour finir de les déterminer à émigrer, l'Etat islamique n'a plus qu'à leur promettre un monde où elles seront accueillies à bras ouverts, aimées et où elles pourront même assouvir une vengeance contre ce monde occidental.


En conséquence, cette islamophobie et cette méfiance développées par les occidentaux à l'égard des musulmans et notamment des femmes voilées sert totalement les objectifs de Daesh. Ce dernier semble perpétrer des attentats en France notamment pour créer ce sentiment de peur envers les musulmans, afin que ceux-ci soient rejetés, ne se sentent plus chez eux en France et ainsi finissent par partir rejoindre les rangs de l'Etat islamique qui leur promet un monde capable de combler tous leurs désirs.

Ainsi, la réaction des occidentaux et la montée de l'islamophobie sont une des raisons pour lesquelles ces jeunes filles sont amenées à se radicaliser et à partir rejoindre les rangs de l'Etat islamique. Les causes dommageables de ces phénomènes ne sont donc pas seulement à imputer à Daesh mais doivent aussi se rechercher au sein de la société occidentale et dans la réaction de chaque individu face à l'Islam. Il est d'autant plus important de réagir que ces jeunes femmes participent à l'effort de guerre de l'Etat Islamique, à leur façon, et commettent ainsi des actes prohibés par la loi française. Face à un tel constat, on peut alors s’interroger concernant le jugement de ces françaises parties faire le djihad, qu’elles soient ou non revenues sur le territoire français.

"Les causes dommageables de ces phénomènes ne sont donc pas seulement à imputer à Daesh mais doivent aussi se rechercher au sein de la société occidentale"

La France est-elle juridiquement compétente pour juger ses ressortissantes parties faire le djihad en Syrie et en Irak ?


Le principe posé en droit pénal général et international est celui de la compétence territoriale de l’Etat dans lequel l’infraction a été commise, peu importe la nationalité de l’auteur ou de la victime. L’article 113-2 du Code pénal dispose ainsi que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». L’article rajoute dans son alinéa 2 que « L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». En conséquence, la loi française n’a donc a priori pas vocation à s’appliquer en dehors du territoire de la République.


Plusieurs limites peuvent toutefois être posées face à ce principe. D’une part, la jurisprudence française fait une appréciation extensive des « faits constitutifs de l’infraction ». En effet, dans un arrêt du 1er octobre 1986, la Cour de cassation admet la compétence des juges français lorsque seul un acte préparatoire[8] a été commis en France (le reste de l’infraction ayant été commis à l’étranger). Par conséquent, si l’auteur de l’infraction est français ou réside habituellement en France, il y a de fortes chances qu’au moins un des actes préparatoires soit réalisé sur le territoire de la République, ce qui permettait à la loi française de s’appliquer. On peut citer notamment l’exemple de l’achat du billet d’avion. D’autre part, la loi française n’est pas restreinte aux seules infractions commises sur le territoire de la République. En effet, elle est applicable lorsque le crime est soit commis par un français en dehors du territoire de la République (article 113-6 al. 1 du Code pénal), soit lorsque la victime est française (article 113-7 du Code pénal). Par ailleurs, l’article 113-13 du Code pénal prévoit que la loi française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme s’ils sont commis à l’étranger par un Français ou par un individu résidant habituellement en France. En conséquence, la justice française serait donc compétente pour juger des femmes djihadistes de nationalité française dans l’hypothèse où elles se seraient soustraites à la justice étrangère et reviendraient en France.


Comment le droit pénal français incrimine-t-il les actes de terrorisme ?


Au premier regard, les infractions terroristes sont des infractions de droit commun[9] commises avec un mobile spécifique[10]. En effet, l’article 421-1 alinéa 1er du code pénal emprunte à des infractions existantes leurs éléments constitutifs, et en retire une qualification terroriste en raison des circonstances particulières qui les entourent. En conséquence, les atteintes à la vie ou à l'intégrité de la personne, les atteintes aux biens, les infractions en matière d'armes ou de produits explosifs, le blanchiment, le délit d'initié ou encore le recel ne sont considérés comme actes de terrorisme que s’ils sont commis « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».


On constate cependant que le législateur est venu progressivement incriminer les infractions terroristes à titre autonome par le biais d’infractions obstacles[11]. Cela démontre la volonté du législateur d’intervenir en amont de l’action terroriste dans le but de prévenir la commission d’actes plus graves. Il en existe actuellement six. La plus utilisée par les magistrats est l’infraction de terrorisme par association de malfaiteurs (article 422-2-1 du Code pénal). Cette infraction se définit comme « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ». À titre d’exemple, dans un arrêt en date du 6 octobre 2017, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Madame Christine Rivière, âgée de 51 ans, à dix ans de prison assortis d’une période de sûreté des deux tiers pour association de malfaiteurs terroriste. En effet, il lui est reproché d’avoir apporté « un engagement sans faille » à son fils Tyler devenu « émir » dans les rangs des djihadistes de l’organisation Etat islamique. Mais également d’avoir « contribué au départ de plusieurs jeunes femmes » en Syrie et de s’être « totalement épanouie dans cette idéologie ». Par ailleurs, des photos d’elle en arme en Syrie ainsi que des photos de décapitation ont été retrouvées sur un réseau social.


Est-il réellement souhaitable de juger en France les ressortissantes françaises parties faire le djihad ?


Incontestablement, comme le souligne Patrick Baudouin, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, les djihadistes arrêtés en Syrie « doivent être prioritairement jugés en France. Si on transige avec ces valeurs, on donne raison aux terroristes ». En effet, en tant que pays des droits de l’homme, la France affirme son opposition à la peine de mort. Or, laisser nos ressortissants être jugés dans des pays pratiquant la peine de mort reviendrait en quelque sorte à déléguer à d’autres ce que l’on prohibe chez nous. A titre d’illustration, on peut citer le cas de la très médiatique djihadiste française Melina Boughedir, actuellement emprisonnée en Irak qui, à de très nombreuses reprises, a émis son souhait de rentrer en France pour y être jugée. Cette jeune femme a été condamnée en première instance à sept mois de prison pour « entrée illégale » en Irak. Toutefois, la Cour de cassation Irakienne a cassé ce jugement et a requalifié les faits. Elle est désormais poursuivie pour « crimes terroristes, complicité de terrorisme et non-dénonciation de crimes terroristes ». Cette dernière encourt la peine de mort par pendaison ou une condamnation de réclusion à perpétuité. Actuellement, la position de Madame Belloubet est très claire à ce sujet puisqu’elle exclue « pour le moment » la possibilité de rapatrier une femme condamnée à perpétuité en Irak, reconnaissant « la souveraineté de l'Etat [irakien, NDLR]et donc sa capacité à juger dans les lieux où les attentats, les infractions ont été commises ».

"Laisser nos ressortissants être jugés dans des pays pratiquant la peine de mort reviendrait en quelque sorte à déléguer à d’autres ce que l’on prohibe chez nous"

A contrario, en cas de retour massif des djihadistes français, les autorités craignent également que les services pénitentiaires et de renseignements intérieurs soient totalement débordés. Par ailleurs, il semble difficile de juger en France des crimes qui auront été commis à plus de 4.000 km. L’un des risques majeurs est de permettre aux responsables d’échapper aux poursuites, faute d’éléments probants. Par ailleurs, afin d’éviter toute impunité, les magistrats pourraient être tentés, faute de preuve, d’utiliser l’incrimination « balai » d’association de malfaiteurs terroristes (article 421-1 du Code pénal) qui ne permet pas de faire la lumière sur les véritables agissements et responsabilités des djihadistes français.


En conséquence, il semble que l’opportunité de rapatrier ces françaises emprisonnées sur un territoire étranger pour juger des crimes commis en dehors du territoire national doit s’apprécier in concreto, en fonction notamment de la peine encourue, de la situation familiale de cette dernière (enfant présent ou pas sur le territoire français) et des actes qui lui sont reprochés.


Marie BORGNA & Lou THOMAS


 

[1] Sociologue franco-iranien et directeur de l'Ecole des hautes études en science sociale (EHESS)

[2] Dictionnaire Larousse

[3] Etat islamique aussi appelé Daesh

[4] Brigade composée que de femmes chargées de faire régner l'ordre au sein de l'Etat islamique et qui n'hésite pas à utiliser la violence au point de faire régner une vraie terreur.

[5] Les sœurs du jihad, ces françaises convertiesde J.C Damaisin d'Ares et Le djihadisme des femmes, Pourquoi ont-elles choisi Daech ? Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar

[6] Le principe de laïcité est instauré par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat du 9 décembre 1905 qui impose à l'Etat d'assurer la liberté de conscience et le libre exercice des cultes (article 1e) et interdit à l'Etat de reconnaître, de salarier ou du subventionner quelque culte que ce soit (article 2e).

[7] Les musulmans doivent respecter les cinq piliers de l'islam que sont la profession de foi, les cinq prières quotidiennes, donner la zakat c'est-à-dire un soutien aux pauvres, le jeune du ramadan et le pèlerinage à la Mecque.

[8] Acte tendant à la réalisation de l’infraction, préparant celle-ci. Exemple : le fait de se procurer une échelle pour un cambrioleur.

[9] Les infractions de droit commun se définissent comme étant celles qui portent atteinte à l’ordre général. Elles se distinguent des infractions spéciales qui sont soumises à un régime dérogatoire (infractions politiques, militaires, terroriste).

[10] « Motif, variable d’un individu à l’autre dans un même type d’acte, qui pousse une personne à agir » (Vocabulaire juridique Cornu).

[11] L’infraction obstacle en droit pénal permet de sanctionner non pas le résultat d’un acte dommageable (une atteinte), mais l’accomplissement d’actes préparatoires.

[12] Interview de Florence Parly – Europe 1 (15 octobre 2017).


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