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Pourquoi un code pénal ?


Portalis, lors de son discours introductif au Code civil, avait précisé que selon lui « en matière criminelle, il faut des lois précises et point de jurisprudence ». Ces propos font état de l’importance d’un Code pénal au sein du répertoire juridique français, et ce depuis le XIXe siècle, en ce qu’il est le recueil de la Loi pénale. 


Les 30 ans du Code pénal appellent à sa commémoration, et nous conduisent à nous pencher sur son passé pour mieux envisager son avenir.  Le Code pénal, au-delà de son histoire, peut interroger sur sa forme et sa raison d’être. Qu’est ce qui justifie la sanction ? L’édiction d’infractions et leurs peines apparaissent aujourd’hui évidentes dans la société contemporaine, néanmoins elles résultent d’une évolution de longue date. 


Pourquoi punir ? 


Le contrat social, développé par Hobbes puis Rousseau, fonde le droit de punir. Les individus ont accepté ce « pacte constitutif d’un contrat » {1}, et doivent dès lors s’y conformer. L’établissement d’un ordre public suppose son respect. Toute atteinte à l’ordre public se voit dès lors punie, puisqu’à défaut, la Loi ne bénéficierait d’aucune autorité. 

Au regard de cette organisation de la société, l’édiction d’un droit pénal est nécessaire pour mener à bien le projet sociétal. Ainsi, la sanction apparaît comme la condition même de l’existence de toute incrimination. 


Qui punit ? 


D’antan, les individus réglaient leurs différends en dehors de toute intervention de l’État. En l’occurrence, il s’agissait de la vengeance privée. Chacun cherchait à restituer le mal à celui qui lui en causait. Toutefois, cette vengeance était une chaîne perpétuelle. En confiant “le monopole de la violence légitime” {2} à l’État, la vengeance n’est plus privée, elle se veut juste et confiée à un tiers de confiance. Grâce à la punition rendue par l’État, la vie en communauté est préservée. 

L’une des premières manifestations de l’éviction de la vengeance privée est apparue à Athènes. En effet, l’Héliée {3} permettait de rendre justice, et l’Ecclésia {4} traitait des affaires pénales. 


Qui punir ? 


La justification de la répression de certains comportements plutôt que d’autres interroge directement sur la philosophie du droit pénal. En effet, qu’est-ce-qui rend un acte illégal ? Pourquoi cet acte est inacceptable ? Quel est le fondement de l’intolérance ? 


Le droit pénal reflète la communauté à un moment donné. Il met en lumière le pouls de la société, des individus. Au regard de la sensibilité du peuple, la mesure de la norme pénale sera prise. Cette évolution commune peut s’observer dans une société tendant toujours plus vers une intolérance à la violence, à tel point que le droit pénal réprime aujourd’hui toute atteinte à l’individu, y compris les violences verbales. Cette évolution est également palpable au regard de l’infraction d’adultère, un temps existante et considérée comme pleinement nécessaire au regard de l’atteinte portée au mari, mais aujourd’hui abrogée en raison de l’évolution de la société dans le sens d’un allègement du caractère sacré du mariage, et de la libération sexuelle. 


Ainsi, le comportement infractionnel déterminé par le texte dépeint la société à une époque. Le Code pénal est le reflet des mœurs de la société dans laquelle il s’applique, il en est le miroir.


Un Code pour punir ? 


La loi doit être claire et prévisible. Si chacun est tenu par l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi », la réalité de l’inflation législative complexifie la réalisation d’une telle ambition. L’érection d’un Code est un moyen de rassembler, dans un seul et unique texte, tous les textes concernant un domaine ; en l’espèce le droit pénal. 

Cette nécessité d’une loi claire et prévisible {5} suppose que les individus puissent en avoir connaissance. Cette prise de connaissance suppose une accessibilité, qui repose sur la mise en place de codes. Cette technique désormais répandue, comme il est possible de le constater avec le récent Code de la justice pénale des mineurs, permet de clarifier le droit positif sur la justice pénale des mineurs, auparavant épars et complexe en raison d’une multitude de textes et de réformes depuis l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. 


Ainsi, l’érection d’un Code pour recenser la matière pénale a émergé dans l’esprit du législateur à compter de la Révolution de 1789. Le droit pénal, auparavant fondé sur la religion et la monarchie, trouve de nouveaux fondements. Le Code pénal devient le véritable fondement du droit de punir. 


  • Le Code pénal de l’Assemblée constituante sous la Révolution du 6 octobre 1791


La Révolution française de 1789 constitue une évolution majeure dans la conception du droit pénal. Ce Code pénal fut vecteur de nombreux grands principes, forgeant encore aujourd’hui l’essence même du droit pénal positif. 

En effet, le principe de légalité des délits et des peines est affirmé. Le roi souverain n’est plus le « grand débiteur de justice ». Le peuple par le biais de ses représentants exerce le pouvoir législatif, et par conséquent détermine la norme applicable par les juges dans les prétoires. 

Également, est proclamé le principe de non-rétroactivité de la loi pénale

Enfin, le principe de la présomption d’innocence est réaffirmé. Le Digeste y faisait d’ores et déjà mention au IIème siècle avant JC, en ce que « car il vaut mieux laisser impuni le crime d’un coupable que de condamner un innocent » {6}. Sur le fondement de ce principe, la Question préparatoire {7} avait été abolie le 1er mai 1788 en ce qu’elle représentait une menace pour la présomption d’innocence. 

Toutefois, le Code pénal de 1791 conserve une dimension d’expiation et d’amendement des personnes coupables d’infractions auprès de la société. Même si la finalité reste la réinsertion du condamné par le prononcé de peines temporaires. 


  • Code pénal napoléonien de 1810


Il émerge avec l’ambition de disposer d’une référence fiable pour stabiliser le corps social. Dès lors, ce Code pénal s’apparente à un moyen de garantir la sécurité juridique au sein de la matière pénale. 


Ce texte véhicule avec lui pléthore de nouvelles règles qui organisent le droit pénal actuel, notamment l’émergence de la division tripartite des infractions (contraventions, délits, crimes), l’irresponsabilité des déments, ou encore l’excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans. 


Le Code pénal napoléonien marque une première hausse du nombre d’infractions. Les peines sont plus diversifiées, et sont déterminées. Malgré une diminution du nombre d’infractions sujettes à la peine de mort, les peines corporelles, comme la marque ou la mutilation, sont réinstaurées. Toutefois, émerge l’idée qu’il faut punir « ni plus qu’il n’est juste, ni plus qu’il n’est utile » {8}. Pour punir justement il faut que l’infraction viole une règle morale et porte une atteinte à l’ordre social, selon les théoriciens de l’époque {9} issus de l'École néo-classique.  

Cependant, la rigueur et la rigidité du Code napoléonien sont dénoncées. En effet, les peines fixes, et l’admission de circonstances atténuantes pour les seuls délits y ont contribué. De ces difficultés apparaît l’idée d’une plus grande individualisation de la peine, en ce que « le domaine de la loi doit se resserrer, et celui du juge s’agrandir » {10}. Joseph-Elzéar ORTOLAN va même jusqu’à parler d’une distinction entre la culpabilité absolue déterminée par la loi et la culpabilité relative relevant de l’appréciation du juge. 


Au cours de la période d’application de ce Code, de nombreux mouvements ont porté sur son amélioration. Il est possible d’évoquer, entre autres, la circulaire du 6 novembre 1850 créant le casier judiciaire, et la loi du 28 avril 1832 amenant la suppression de la marque, du carcan, et de l’amputation du poing. 


Au XIXème siècle, l’École de la Défense sociale {11} émerge. A la suite de la Seconde Guerre Mondiale, le traumatisme pousse les théoriciens à suggérer que l’État n’a plus « le droit de punir, mais le devoir de rendre sociaux des individus » {12}. Ainsi, l’individu n’est plus un criminel mais une personne en danger, qu’il faut protéger. Cette conception pousse Raymond Saleilles à écrire « la responsabilité, fondement de la peine, et l’individualisation, critérium de son application : telle est la formule du droit pénal moderne ». Ces pensées conduisent à l’édiction de l’ordonnance du 2 février 1945 sur la justice pénale des mineurs délinquants {13}


  • Code pénal du 1er mars 1994


En 2010, Robert Badinter évoquait le Code napoléonien comme un modèle et un monument législatif, toutefois il ajoutait « Il convient de prendre la mesure du caractère répressif du Code pénal de 1810 (…). Le temps et les profondes transformations des mœurs et de la mentalité collective ont eu raison de lui en 1994 ». 


Dès 1934, la refonte du Code pénal est envisagée. Ce n’est qu’avec le décret du 8 novembre 1974 qu’est instituée la Commission de révision du Code pénal. La Commission achevait le travail de refonte en 1989, et déposait son rapport devant le Sénat. Il fallut 18 ans pour aboutir au code actuel, dont 3 ans de débats parlementaires. Contrairement au Code pénal de 1791 ayant été achevé en 2 ans, et celui de 1810 en 9 ans. 


Comme précédemment évoqué, la loi pénale est le reflet d’une époque. En l’occurrence, le Code pénal de 1994 s’inscrit dans la continuité du Code napoléonien et reflète la nouveauté d’une pensée plus sociale. Une continuité se constatant dans le maintien de nombreuses règles existant dès 1810, et une pensée sociale s’observant dans le renforcement de l’individualisation de la peine, dans la personnalisation de celle-ci, dans l’avènement d’une justice réparatrice, etc. 


Par conséquent, qu’advient-il du Code pénal de 1994 30 ans après ? Est-il dans la ligne des attentes qu’il projetait ? Vers quoi l’avenir l’oriente-t-il ? Autant de questions que cette revue s’efforcera d’aborder à travers les différents articles à la mémoire et l’aune des changements de chaque livre de ce code. 

Toutefois, lors du bicentenaire du Code pénal de 1810, les colloques du Sénat avaient d’ores et déjà interrogé le Code pénal, en tant qu’œuvre globale depuis 1810 : « Le droit pénal est aujourd'hui l'objet d'une production normative dont la fréquence n'a souvent d'égale que l'importance quantitative. La lisibilité de la norme peut en souffrir, alors qu'elle est essentielle pour satisfaire à l'exigence de sécurité juridique.

Aurait-on perdu de vue le souci de clarté qui a notamment présidé à la codification de 1810 ? » {14}.


Les évolutions passées et à venir du Code pénal ont imprégné chacun de ses livres. Le Livre I, sur les Dispositions générales, érige les principes fondamentaux du droit pénal général, mais fait montre de lacunes et faiblesses qui seront étudiées au sein du premier article de cette revue. 

Le Livre II, sur les Crimes et délits contre les personnes, a fait l’objet des évolutions les plus marquantes depuis l’érection du Code pénal de 1994. Toutefois, cette progression interroge au regard de sa densité et de sa légalité. Des interrogations qui seront analysées au sein du second article de la revue.

Le Livre III, sur les Crimes et délits contre les biens, a fait sa révolution avec l’intégration des nouvelles technologies. En effet, le troisième article s’efforcera d’explorer la lutte contre la cybercriminalité, notamment avec la création de nouveaux comportements infractionnels, et du droit positif relatif aux STAD. 

Le Livre IV, sur les Crimes et délits contre la Nation, l’Etat et la paix publique, fut bouleversé face à la menace pesant sur la sécurité de l’État, notamment avec la montée en puissance des attaques terroristes. Le quatrième article de la revue examinera ce nouveau droit positif à la lumière des principes fondamentaux du droit pénal. 

Le Live V, sur les Autres crimes et délits, aborde notamment la pénalisation des actes scientifiques pouvant porter atteinte au corps humain. Le cinquième article de la revue approfondira la conciliation complexe entre la protection du corps humain par le droit pénal et la recherche médicale. 

Enfin, la conclusion dressera le constat de ces analyses, et nous questionnera sur le “et après?”.


***

Nota bene : la structure des articles du Code pénal s’explique par leur positionnement au sein de ce dernier. Exemple avec l’article 321-1 du Code pénal

3

2

1

-1

Livre III

Titre II

Chapitre I

Chronologie



Mathilde SAUER

 

{1} Du contrat social, Rousseau, 1762.

{2} Max Weber, conférence 1919 : “l’Etat est cette communauté humaine, qui à l'intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence légitime”. {3} Tribunal populaire à Athènes. Au Ve siècle avant JC, l’Héliée comptait 6 000 héliastes tirés au sort à l’Ecclésia. {4} Assemblée du peuple dans les cités grecques, notamment à Athènes. {5} Eu égard au principe de légalité des délits et des peines (articles 111-2 et 111-3 CP), en ce que la loi pénale doit être lisible, accessible et prévisible. Également, le Conseil constitutionnel en 1999 a dégagé un objectif à valeur constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

{6} Digeste de Justinien (en grec : Pandectes), 533, Ulpien au livre VII du Devoir du proconsul. {7} Torture {8} Joseph-Elzéar ORTOLAN, Éléments de droit pénal, 1863-1864 {9} Pellegrino ROSSI, J.PRADEL

{10} Selon l’école néo-classique. {11} La théorie de la défense sociale en France émerge dans les années 1950, notamment au sein des publications de Marc ANCEL (magistrat et théoricien du droit). Cette théorie invite à repenser le système pénal pour favoriser la réadaptation des délinquants. Certains auteurs estiment que cette École a fondé la philosophie du Code pénal de 1994.

{12} Mélanges, Marc ANCEL et A.PEDONE, 1975 {13} Aujourd’hui remplacée par le Code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur le 30 septembre 2021. {14} Les colloques du Sénat « Bicentenaire du code pénal – 1810-2010 »



Bibliographie :


  • Dalloz - Répertoire de droit pénal et de procédure pénale - Histoire des doctrines pénales – Doctrines pénales depuis les codes Napoléon – Édouard TILLET – Juin 2002 (actualisation : octobre 2010)

  • Promulgation du Code pénal / gouvernement.fr

  • Les colloques du Sénat « Bicentenaire du code pénal – 1810-2010 

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