Cet éclairage a été publié pour la première fois par Nathanaël LESDEL, en juin 2018, dans La Revue n°1.
Présentation — « Nullum crimen nulla poena sine lege » (Nulle crime, nulle peine sans loi). Plus que nulle autre matière, la loi constitue la raison du droit pénal. Puisqu’elle représente l’expression de la volonté générale, elle a suffisamment de légitimité pour définir les comportements répréhensibles et la peine qui leur est attachée. Autrement dit, une personne ne peut être poursuivie et punie pour un comportement qui n’est pas prévu par la loi. Il s’agit du principe constitutionnel[1] de légalité criminelle, dont les précurseurs sont Cesare Beccaria et Montesquieu. Apparu suite à la Révolution française de 1789, l’objectif fut de rompre avec l’ancien régime dont la caractéristique principale était l’arbitraire. Or, l’existence d’un texte est une garantie fondamentale de sécurité juridique, d’autant plus importante compte tenu des menaces que fait peser cette branche du droit sur les libertés.
La loi au sens large — Dans sa conception originelle, la loi était entendue au sens strict, c’est-à-dire la règle de droit adoptée par le Parlement. C’est en ce sens que le Code pénal énonce que « La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs » (article 111-2 du Code pénal). Aussi, « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi » (article 111-3 du Code pénal). Ainsi, la loi au sens strict apparait comme la source principale du droit pénal. Il s’agit de la légalité formelle. Toutefois, un assouplissement organique peut être observé de sorte que la loi est entendue dans son sens large, c’est-à-dire comme la règle de droit, d’origine parlementaire ou non. En ce sens, « Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants » (article 111-2 du Code pénal). En outre, la Constitution, les ordonnances, les textes internationaux et européens peuvent contenir des dispositions relatives à la matière pénale. Dès lors, ils constituent une source secondaire.
La portée du principe — Le principe suppose qu’il n’existe pas d’infraction si elle n’est pas prévue par la loi. L’infraction se compose d’une incrimination (la définition du comportement interdit) et de la sanction qui l'accompagne (la peine). A défaut de l’un d’eux, elle est imparfaite. Autrement dit, le principe de légalité s’exprime à deux égards. D’une part, le comportement (v. supra). D’autre part, la peine. Ainsi, « Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention » (article 111-3 al. 2 du Code pénal).
Les exigences de clarté et de précision de la loi — Le principe de légalité se destine à un objectif de prévention. La légaliteur évite qu’un individu ne se voit reproché un comportement dont il ne pouvait pas suspecter le caractère répréhensible. En d’autres termes, la loi permet de connaitre les comportements qui sont punissables et donc, s’ils sont connus, de ne pas les réaliser. A ce titre, des exigences de clarté et de précision de la loi ont été dégagées. En effet, le législateur doit « définir les infractions en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » [2]. Une infraction définie trop largement ne met pas le justiciable en mesure de déterminer ce qui est répréhensible. Ainsi, le Conseil constitutionnel peut encadrer l’action du législateur. Il s’agit de la légalité matérielle.
La nécessité en tant que régulateur de la légalité — Selon la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société » (article 5) et elle « ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » (article 8). Ce principe de nécessité dispose d’une valeur constitutionnelle et signifie que l’infraction doit être pertinente au regard de ce qui la justifie socialement. Ainsi l’action du législateur est orientée, voire contrainte dans une certaine mesure.
Le déclin de la légalité — L’efficacité appelle une modulation de l’exigence de légalité à deux égards. D’abord au regard des incriminations. En effet, le droit pénal est de moins en moins clair et précis, laissant place à des incriminations larges. 20 Une telle souplesse permet l’appréhension des comportements dans une plus grande mesure. Toutefois, le principe de légalité perd son objectif de prévention. Cet amenuisement peut se justifier à plusieurs titres[3].
Primo, il est impossible de tout prévoir dans les détails. Autant de technicité laisserait trop de comportements impunis en raison du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.
Deuxio, il y a une incapacité scientifique du législateur de tout prévoir dans les secteurs techniques car les évolutions sont trop rapides. Il semblerait que les textes répondent davantage aujourd’hui à une volonté d’adaptation aux comportements sociaux nouveaux.
Ensuite, au regard des peines. A l’origine, le principe de légalité supposait l’application de peines fixes pour éviter l’arbitraire. Autrement dit, si le texte prévoyait 20 ans de réclusion criminelle, c’est cette peine qui s’appliquait automatiquement. En 1832, les circonstances aggravantes et atténuantes apparaissent et viennent assouplir le principe de fixité des peines. Plus tard, le principe d’individualisation fera son apparition. Aujourd’hui c’est ce dernier qui prédomine, au détriment du principe de légalité. Ce déclin s’explique par le fait que le principe de fixité n’offrait pas d’alternative. Ainsi, l’auteur était déclaré non coupable lorsque la peine paraissait disproportionnée aux faits.
L’essentiel — La responsabilité pénale ne peut pas être engagée pour un comportement qui n’est pas défini par la loi dans son sens large, et qui n’est pas assorti d’une sanction définie par elle.
Nathanaël LESDEL
[1] Articles 7 et 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
[2] Décision du Conseil constitutionnel 19 et 20 janvier 1981 n° 80-127 DC
[3] Selon Yves Mayaud Droit pénal Général, 5e édition, 2015
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