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Harcèlement moral dans le cadre familial : une illustration des failles dans la rédaction du délit

Dernière mise à jour : 26 nov. 2023

Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Marie BORGNA et Lou THOMAS, en juin 2018, dans La Revue n°1.


Cass. Crim., 9 mai 2018, n°17-83.623


L’infraction de harcèlement moral n’est pas constituée lorsque les propos ou comportements reprochés au prévenu résultent d’un fait unique et qu’une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale n’a pas été suffisamment démontrée.


L'infraction de harcèlement moral, incriminée par les articles 222-33-2 à 222-33-2-2 du Code pénal, ressort de plus en plus au travers de l'actualité. Pourtant, dans la plupart des esprits, il se résume au harcèlement moral au travail or ce n'est pas le cas. En effet, le harcèlement moral en tant qu’infraction est une création législative récente dont le champ d’application n’a cessé d’évoluer. Le législateur a d'abord agi par une une loi du 17 janvier 2002 qui créé cette infraction pénale, la cantonnant aux relations de travail. Par la suite, le législateur est venu étendre cette infraction pénale au harcèlement moral survenant au sein du couple (loi du 9 juillet 2010). Enfin, la dernière évolution législative a eu lieu le 4 aout 2014 en ajoutant une infraction générale de harcèlement de sorte qu'aujourd'hui ce comportement est incriminé dans tous les domaines et entre tous les individus. Cette infraction a par conséquent fait l’objet d’un élargissement constant. Si cela peut sembler louable afin de rendre l’infraction de plus en plus effective, il en résulte que la rédaction imprécise des éléments constitutifs de l’infraction a en réalité pour conséquences d’engendrer une application fluctuante, comme en témoigne cet arrêt du 9 mai 2018 au sujet du harcèlement moral dans le cadre familial.


Dans les faits soumis à notre étude, le prévenu a envoyé des courriers évoquant un contentieux personnel avec son ex-épouse aux professeurs de 5e et de 3e du collège où travaillait cette dernière. Il a en outre envoyé des SMS au contenu douloureux et culpabilisant à leur fille et aux amies de cette dernière. Ce dernier est alors poursuivi pour harcèlement moral sur son ancienne conjointe et sur sa fille. Après un jugement en première instance, la cour d’appel d’Orléans l’a condamné pour harcèlement moral tant à l’égard de son ex-compagne qu’à l’égard de sa fille. Ce dernier s’est alors pourvu en cassation en invoquant deux moyens[1] pour soutenir sa défense.


Concernant le premier moyen de cassation, la Cour devait se prononcer sur le fait de savoir si les deux courriers contenant divers documents relatifs à leur contentieux conjugal, destinés à deux professeurs différents, matérialisaient bien la répétition, condition nécessaire pour caractériser le délit d’harcèlement moral. La Cour de cassation casse ici la solution de la Cour d’appel au visa de l'article 222-33-2-1 du Code pénal au motif que l'envoie concomitant de courriers identiques ou similaires à des collègues de la victime, sur leur lieu de travail commun, ne caractérise qu'un fait unique. Un tel raisonnement de la Cour est constant et logique. En effet, le verbe « répéter » implique le fait que la répétition n’intervient qu’au second acte. Cela fait donc du harcèlement moral une infraction d’habitude, c’est-à-dire une infraction qui exige le renouvellement d’un acte, d’un comportement durant un laps de temps plus ou moins court. Si le délit de harcèlement moral n'exige pas que les agissements répétés soient de nature différente, il n’en demeure pas moins que les juges devaient caractériser cette répétition. Or, cela n’est pas le cas en l’espèce puisque la divulgation du contentieux familial par courrier, même faite auprès de plusieurs personnes, ne caractérise pas un enchaînement de comportements mais la multiplication du même acte.


Concernant le deuxième moyen, la Cour apporte une précision intéressante concernant la caractérisation du harcèlement moral par l’intermédiaire de tiers et concernant la condition d’altération de la santé physique ou mentale de la victime.


En effet, dans un premier temps la Cour de cassation s’est ralliée à la cour d’appel en considérant que les propos répétés adressés à des tiers constituaient bien une caractéristique du harcèlement moral dans la mesure ou le prévenu ne pouvait pas ignorer que ces propos parviendraient à la connaissance de la victime. On peut ici faire un parallèle avec l’infraction d’outrage indirect qui nécessite, pour être caractérisée, une volonté formelle de faire en sorte que la personne visée par les propos outrageants ait connaissance de ces paroles ou lorsque l’auteur ne pouvait ignorer qu’ils lui seraient transmis (Chambre criminelle, 24 juin 2015). Cependant, les juges du fond n’ayant pas envisagé cette qualification en l’espèce, seul les juges de renvoi, et non la Cour de cassation, pourront envisager une telle qualification si cela apparait opportun.


Néanmoins, dans un deuxième temps, la Cour a rappelé qu’une telle condition n’était à elle seule pas suffisante, un lien entre les actes reprochés au prévenu et une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale devant être relevé. Or, la cour d’appel n’ayant pas suffisamment démontré ce lien de causalité[2], le délit d’harcèlement moral est écarté. Si ce deuxième point semble suivre la lettre du texte, il n’en demeure pas moins qu’une telle solution peut paraitre critiquable car extrêmement sévère pour la victime. En effet, en 2010 dans l’esprit du législateur décidant étendre le champ d’application de l’infraction, l’objectif semblait être de mieux protéger les victimes de harcèlement moral. Cependant, la Cour fait en l’espèce une appréciation extrêmement restrictive d’un texte extrêmement large car imprécis concernant la notion de dégradation des conditions de vie. Une telle solution ne semble donc pas opportune dans une société où l’on a de plus en plus tendance à surprotéger la victime. On peut dès lors se demander si une telle solution de la Cour de cassation n’a pas pour objectif de faire réagir le législateur afin que celui-ci s’empare du problème et décide de réécrire le texte afin qu'il soit beaucoup plus précis concernant ses éléments constitutifs.



Marie BORGNA et Lou THOMAS


 

[1] Les moyens sont les arguments soulevés par le défendeur, c'est-à-dire l'accusé ou le prévenu, pour soutenir sa demande auprès de la Cour de cassation.


[2] Le lien de causalité est celui qui permet de relier l'acte d'une personne et le préjudice subi par la victime, il faut nécessairement que l'acte d'un individu soit la cause du préjudice d'autrui.

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