Contexte - L’automne 2017 s’est révélé être un tremplin pour les violences sexuelles. Le parquet de Pontoise refusait de qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur de 28 ans et un mineur de 11 ans, au profit d’une qualification d’atteinte sexuelle. Il n’en n’aura pas fallu davantage à l’opinion publique pour s’en émouvoir. De cet émoi sont nés deux propositions de loi[1] et un projet de loi[2], souhaitant renforcer la répression des viols et agressions sexuelles sur mineur de 15 ans[3]. Ce dernier attire une attention particulière.
Un droit actuel suffisant mais perfectible - La vulnérabilité physique et morale du mineur appelle une adaptation du droit pénal au regard du principe de nécessité[4]. A ce titre, la matière n’ignore pas les mineurs de 15 ans puisque ces derniers peuvent être pris en considération soit au titre d’une circonstance aggravante, soit en tant qu’élément constitutif[5] de l’infraction. Les infractions sexuelles sont de deux sortes.
D’une part les agressions sexuelles (infractions sexuelles violentes). D’autre part, les atteintes sexuelles (infractions sexuelles non violentes).
Au sein de la première, figurent le viol[6] (pénétration sexuelle) et les autres agressions sexuelles[7] (tout acte sexuel autre que la pénétration). Ici, le résultat légal[8] de l’infraction est une atteinte à la liberté sexuelle matérialisée par une absence de consentement de la victime, résultant de l’usage par l’auteur de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Dès lors qu’il n’est pas possible de rapporter la preuve de l’utilisation de l’un de ces quatre procédés, la victime est présumée consentante. Dans ce cas, le mineur est traité de la même manière que le majeur. Cela ne veut pas dire que le droit actuel l’ignore, comme certains médias[9] auraient pu le laisser paraitre suite aux affaires de l’automne 2017.
D'abord, la jurisprudence a dégagé une présomption de contrainte ou de surprise liée au très jeune âge du mineur[10]. Néanmoins cette présomption a un domaine limité aux âges compris entre 0 et 6 ans, de sorte qu’il aurait été opportun d’en élargir l’application, sans pour autant passer par la création d’une présomption. Il faut tout de même reconnaitre qu’une consécration légale de celle-ci ferait gagner notre droit en prévisibilité juridique.
Le mineur est traité de la même manière que le majeur. Cela ne veut pas dire que le droit actuel l’ignore, comme certains médias auraient pu le laisser paraitre suite aux affaires de l’automne 2017
Ensuite, il existe une présomption de contrainte morale qui résulte de la différence d’âge entre une victime et l’auteur, et de l’autorité de droit ou de fait[11]. Cependant, l’efficacité de ce texte est à relativiser à plusieurs égards.
Primo, il énonce des conditions cumulatives de sorte qu’il faut une différence d’âge et un rapport d’autorité. Or il aurait été opportun d’en faire une lecture distributive, une seule de ces conditions étant suffisante.
Deuxio, il s’agit d’une présomption de fait qui n’est purement qu’indicative pour le juge. Tertio, son apport est très limité car la capacité de résistance de la victime, notamment son discernement, était déjà appréciée de manière concrète[12] (appréciation in concreto), de sorte que la différence d’âge n’est qu’une circonstance parmi d’autres[13]. Or l’actuel projet de loi vient insérer une telle disposition. Il est donc possible de douter de son efficacité.
Enfin, la minorité de 15 ans constitue une circonstance aggravante. Mais le mal est déjà fait nous direz-vous ?
Au sein de la seconde, les atteintes sexuelles[14], le mineur est appréhendé en tant qu’élément constitutif, puisque cette infraction ne s’applique qu’à ceux-ci. Ici, le résultat légal de l’infraction est une atteinte à la liberté sexuelle. L’infraction s’applique quand bien même le mineur aurait consenti. C’est donc un moyen certain de poursuivre l’auteur, lorsqu’il existe un doute quant à la qualification de l’agression sexuelle. On peut donc comprendre que le procureur ait fait le choix de cette qualification dans l’affaire de Pontoise car l’on sait que « le doute profite à l’accusé[15] ». Ne vaut-il pas mieux une condamnation plutôt qu’un non-lieu ou un acquittement ?
De plus, une articulation entre l’atteinte sexuelle et l’agression sexuelle est possible si la preuve d’un acte de violence est rapportée en cours de procédure. Il n’y avait peut-être pas lieu de s’émouvoir autant. Néanmoins, le domaine de l’atteinte sexuelle est limité puisqu’il ne permet pas la répression d’une relation entre mineurs. Il serait donc opportun qu’il soit élargi.
En somme, le droit pénal français dispose de moyens suffisants pour protéger le mineur de 15 ans, quand bien même il serait bienvenu de les améliorer. On peut alors s’interroger sur le fait de savoir si les propositions du projet de loi constituent une réelle avancée.
Le droit pénal français dispose de moyens suffisants pour protéger le mineur de 15 ans, quand bien même il serait bienvenu de les améliorer
Un projet de loi du 21 mars 2018 discutable - Le gouvernement a procédé en deux temps. D’abord, un pré-projet de loi souhaitait créer une présomption de non consentement pour les mineurs victimes d’agression sexuelles. Cette solution était insatisfaisante à trois égards, outre le fait qu’elle aurait pu conduire à des abus.
D’une part, il est difficile de déterminer un seuil d’âge de non discernement, l’âge de 15 ans n’étant pas nécessairement représentatif de la réalité[16]. D’autre part, cette présomption était irréfragable[17]. Or une présomption de culpabilité n’est admise qu’à la condition d’être réfragable[18] et si elle respecte les droits de la défense[19]. Enfin, une présomption en matière criminelle ? C’était du jamais vu ! On peut donc se féliciter du changement opéré par le gouvernement car cette solution n’avait rien d’une réelle avancée.
Ensuite, le projet de loi présenté en conseil des ministres le 21 mars 2018 retient une solution différente. L’option retenue ajoute à l’article 222-22-1 du code pénal que « lorsque l’acte réprimé est commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à cet acte ».
Cette solution est critiquable à deux égards et ne constituerait donc pas une réelle avancée. D’une part, elle repose sur le modèle de l’actuelle présomption de contrainte morale prévue à l’article 222-22-1 du Code pénal, de sorte que les mêmes critiques peuvent lui être attachées (v.supra). D’autre part, la présomption résulte elle-même d’un acte positif, à savoir l’abus de l’ignorance de la victime, ici mineur de 15 ans. Cette solution semble créer un concours[20] avec l’abus frauduleux de l’état d’ignorance qui consiste à abuser frauduleusement de l’état d’ignorance d’un mineur en état de sujétion psychologique ou physique pour le conduire à un acte gravement préjudiciable[21]. Or, l’acte auquel est conduit le mineur peut être une relation sexuelle[22]. À force de développer les infractions en concours, le droit pénal perd en clarté, partant, c’est le principe de légalité[23] qui est atteint. Autrement, l’insertion d’une telle disposition ne constituerait pas une réelle avancée.
Cette solution est critiquable et ne constituerait donc pas une réelle avancée
Conclusion - En conclusion, la question de l’absence de consentement des mineurs pourrait tout simplement être résolue avec quelques ajustements et surtout avec l’application du droit positif. Nul doute que l’évolution ne serait pas vraiment spectaculaire, et il est peut-être plus séduisant pour la ministre d’annoncer une nouvelle loi à laquelle elle pourrait attacher son nom.
Marie BORGNA, Nathanaël LESDEL & Lou THOMAS
[1] Proposition de loi n°53, propose de compléter l’article 227-25 par : « Le fait pour un majeur d’exercer sans contrainte violence menace ou surprise un acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit sur un mineur de 15 ans, est un viol passible des peines prévus à l’article 222-2 ». Cette solution propose de supprimer la présomption de contrainte morale; Proposition de loi n°55 prévoit un ajout à l’article 222-22 « L'agression sexuelle ou le viol, en cas de pénétration, est constituée dès lors qu'elle est commise par un-e majeur-e sur un-e mineur-e de 15 ans et moins. »
[2] Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes 21 mars 2018
[3] Personne physique dont l’âge est compris entre 0 et 15 ans
[4] JC-St Pau, Le mineur victime d’une infraction pénale
[5] Eléments qui lorsqu’ils sont caractérisés vont permettre la consommation de l’infraction
[6] Article 222-23 du Code pénal
[7] Articles 222-22 et 222-27 du Code pénal
[8] Seuil à partir duquel le législateur a décidé de punir un comportement
[9] Le Parisien 06 mars 2018, Consentement sexuel à 15 ans: ce que cela change
[10] Cass. Crim 7 décembre 2005
[11] Article 222-22-1 du Code pénal
[12] Cass. Crim 8 juin 1994
[13] JC-St Pau, Ibidem
[14] Articles 227-25 et 227-26 du Code pénal
[15] Corollaire du principe de la présomption d’innocence: Article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789; Article Préliminaire du Code de procédure pénale
[16] Un auteur propose un seuil d’âge de 10 ans car il correspond à la capacité pénale, c’est à dire l’aptitude à se voir reprocher une sanction pénale —. JC St Pau, Le mineur victime d’une infraction pénale
[17] Il s’agit d’une présomption qu’on ne peut récuser; En ce sens, Pauline Dufourq Les propositions du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, Dalloz actualité 28 mars 2018; Dans le même sens, ETUDE D’IMPACT Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes 19 mars 2018
[18] Que l'on peut récuser
[19] Cons. Const 16 juin 1999, n°99-411DC
[20] Plus précisément un concours idéal d’infractions, c’est à dire la situation dans laquelle le comportement relève a priori de plusieurs textes d’incriminations. En principe si les textes protègent la même valeur, les infractions ne peuvent se cumuler. A fortiori, le cumul serait envisageable si l’on considérerait que les valeurs sont différentes, ce qui pourrait redonner un sens à cette présomption
[21] Article 223-15-2 du Code pénal
[22] Cass. Crim 19 février 2014
[23] Article 111-3 du Code Pénal ; Article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
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