Sur la plage abandonnée, coquillages et verbalisés, ces derniers ne peuvent s'imaginer que désormais leur tort est de s'y promener, sans attestation dérogatoire de sortie, au risque de finir en garde à vue pour mise en danger de la vie d'autrui. Un scénario digne du cinéma.
Pour autant, le septième art, et plus particulièrement des chefs d’œuvre du XXème siècle, ne s'est pas privé pour traiter d'une procédure pénale alors en pleine évolution. Ce qui permet de la recontextualiser et mettre en lumière celle qui demeure aujourd'hui. L'occasion, alors, de s'y intéresser de plus près et de se demander : c'est quoi, ou plutôt c'est qui, la procédure pénale actuelle à travers un cinéma français d'antan ?
C'est d'abord Lino Ventura
Dans le film Garde à Vue (1981, Claude Miller) Lino Ventura joue le rôle d'un inspecteur de police, Antoine Gallien, qui interroge un témoin incarné par Michel Serrault, Jérôme Martinaud, lequel deviendra ensuite suspect.
Jérôme Martinaud se plaint d'être présent dans les locaux du commissariat de police depuis une heure. Lorsque l'inspecteur de police lui indique qu'il y a un glissement du statut de témoin à celui de suspect, Jérôme Martinaud rétorque que la raison de ce glissement lui échappe, avant de préciser : « Je suis là parce que je le veux bien, maintenant je m'en vais ». Ce à quoi l'inspecteur de police lui répond de rester.
> Or, Jérôme Martinaud peut-il réellement partir du commissariat lorsqu'il apprend au cours de son audition qu'il est devenu suspect ?
Durant les années 1980, une personne ayant le statut de témoin ne peut-être interrogée que dans le cadre d'une audition dite simple (anc. art. 62 c. proc. pén.), qui va permettre de fournir des renseignements soit sur les faits commis soit sur les objets saisis. L'individu peut quitter les lieux à tout moment.
Jérôme Martinaud peut alors quitter les lieux durant cette audition. Mais il en est autrement lorsqu'il devient suspect.
" En effet, à cette époque, la police n'avait pas besoin de placer l'individu en garde à vue s'il coopérait volontairement avec elle et restait dans les locaux pour poursuivre l'audition alors qu'il était devenu suspect. Cependant, il ne bénéficiait pas des droits de la défense dont bénéficie un gardé à vue."
Dans le film, Jérôme Martinaud ne souhaite pas poursuivre l'audition tandis qu'il est devenu suspect. L'inspecteur de police lui ordonne de rester sur place et lui notifie son placement en garde à vue ainsi que les droits qui en découlent. Parce qu'il y a un changement de statut de témoin à celui de suspect, il ne peut plus quitter les lieux, quand bien même il ignore la raison de ce glissement.
> Cette scène met en lumière un imbroglio juridique que le législateur ainsi que le Conseil constitutionnel ne résolvent que tardivement : le consentement de l'individu à être auditionné peut-il justifier qu'il ne bénéficie pas des droits de la défense ? Autrement dit, ce consentement équivaut-il à un renoncement aux droits de la défense qui sont pourtant des droits constitutionnels ?
Ce n'est que trente ans après la parution du film que le Conseil constitutionnel a estimé qu'une personne suspecte « peut être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu'elle n'est pas maintenue sous contrainte au commissariat et qu'elle consent librement à être auditionnée », tant dans le cadre d'une enquête préliminaire que d'une enquête de flagrance (décision QPC 18 nov. 2011 ; décision QPC 18 juin 2012).
Il précise que si des soupçons existent, l'individu doit recevoir une double information : il doit être informé des faits qui lui sont reprochés et de leur qualification pénale, et il doit être informé de la possibilité de quitter le commissariat ou la gendarmerie quand il le souhaite.
Alors, dans l'hypothèse où le film serait tourné aujourd'hui, l'inspecteur de police n'aurait pas besoin de procéder à cette double information puisqu'il le place en garde à vue. C'est pourquoi il lui a notifié ses droits (art. 63-1 c. proc. pén.)
Toutefois, et toujours selon cette hypothèse, il aurait pu choisir une voie intermédiaire entre l'audition simple et la garde à vue : l'audition libre. Cette dernière n'est apparue que le 27 mai 2014. Elle vise les suspects et non les témoins. Elle a été créée car le prolongement de l'audition simple ne permettait pas à l'intéressé de bénéficier des droits du gardé à vue, comme le droit à un avocat – c'est pourquoi dans le film l'avocat ne peut pas se rendre dans les locaux de la garde à vue.
Attention, à l'époque de la parution du film, le gardé à vue n'avait pas droit à un avocat lors de cette phase de l'enquête. Ce n'est qu'en 1993 que l'avocat peut intervenir en garde à vue avec des droits réduits : il rencontre son client lors de la première heure de garde à vue et lorsqu'il y a renouvellement de celle-ci. Il ne pouvait s'entretenir avec le client que pendant 30 minutes sans avoir accès au dossier. L'absence de droits effectifs de la défense sera contestée par la suite par la Cour européenne des droits de l'Homme dans plusieurs arrêts (Salduz c. Turquie 27 nov. 2008 ; Dayanan c. Turquie 13 oct. 2008).
> Bien qu'il ait placé en garde à vue Jérôme Martinaud, l'inspecteur de police a pourtant été conseillé de n'utiliser la garde à vue qu'en dernier recours, ce qui a aujourd'hui un écho particulier.
En effet, dans les années 1980, le placement en garde à vue n'est pas réservé aux infractions graves. Ce qui porte atteinte à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui implique qu'une atteinte à la liberté réponde à une condition de nécessité (cons. cons. 30 juill. 2010). C'est pourquoi désormais il doit exister une ou ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'emprisonnement (art. 62-2 c. proc. pén.).
Il convient de noter que Jérôme Martinaud étant soupçonné pour un crime, il n'y a pas lieu d'un quelconque débat sur la gravité des soupçons à son égard.
Enfin, parce que le suspect était auparavant un témoin, aucune arrestation n'a eu lieu. Or, les circonstances d'une arrestation mettent en exergue différentes problématiques liées à la procédure pénale comme le montre si bien “Bébel” dans l'un de ses nombreux films : Flic ou voyou (1979, Georges Lautner).
C'est aussi Jean-Paul Belmondo
Dans l'œuvre Flic ou voyou, Jean-Paul Belmondo joue le rôle d'un commissaire de police nommé Stanislas Borowitz envoyé de Paris à Nice pour “nettoyer” la ville de ses truands et de la corruption policière, tout en enquêtant sur le meurtre d'un commissaire de police. Afin de mener au mieux son enquête, il fausse son identité, multiplie les cascades... et les baffes.
> Ce qui nous mène à la question suivante : un commissaire de police peut-il fausser son identité afin de mener son enquête ? En d'autres termes, le commissaire divisionnaire Stanislas Borowitz peut-il jouer “au gendarme et au voleur” comme il l'indique ?
A travers les agissements de ce commissaire, le film montre que la preuve est libre en droit pénal (art. 427 c. proc. pén.) et se heurte à une question épineuse qui est celle de la loyauté de la preuve.
La loyauté de la preuve est un principe directeur strictement jurisprudentiel garanti par la Cour de cassation. Ce principe s'applique aux agents publics (aux fonctionnaires de police notamment).
A l'époque de ce film, la jurisprudence considère qu'un fonctionnaire de police qui se fait passer pour un acheteur éventuel d'opium ne commet pas une provocation à l'infraction, dès lors que l'intervention de cet agent n'a en rien déterminé les agissements délictueux du prévenu, et a eu seulement pour effet de permettre la constatation d'infractions déjà commises et d'en arrêter la continuation (crim. 2 mars 1971 n°70-91.810).
" Selon cette jurisprudence, le commissaire Stanislas Borowitz semble donc pouvoir user de son stratagème, en se faisant passer pour le frère d'une prostituée trouvée morte dans une chambre d'hôtel aux côtés du commissaire Bertrand lui-même assassiné. "
Pour autant, cette jurisprudence met en exergue la limite entre la loyauté et la déloyauté de la preuve qui réside dans la provocation à la commission d'une infraction. Ce qui se retrouve dans les propos du commissaire divisionnaire Stanislas Borowitz, qui déclare au commissaire de police Grimaud, incarné par Michel Galabru, être prêt à aller “assez loin” pour mener son enquête.
Lorsque, plus tard, le commissaire Stanislas Borowitz demande au commissaire Grimaud de négocier avec les kidnappeurs afin qu'ils lui rendent sa fille, ce dernier s'exclame en déclarant qu'il ne négociera jamais avec eux. Cette prudence dont fait part le commissaire Grimaud l'épargne d'un éventuel problème juridique : la différence entre la provocation à la preuve et la provocation à la commission d'une infraction. Une telle négociation aurait, sans doute, conduit à s'attacher à pareille distinction pour qualifier les actes dudit Borowitz, et ainsi déterminer s'ils étaient loyaux. Bien que tardive, la jurisprudence a apporté des éclaircissements en la matière (ass. plén. 9 déc. 2019)1.
Premièrement, la Cour de cassation va estimer qu'il y a une violation du principe de loyauté lorsqu'il y a provocation à la commission d'une infraction de la part des agents de l'autorité publique. En l'espèce, le policier s'était inséré dans un processus infractionnel indivisible caractérisant une entreprise de chantage et il n'avait pas provoqué l'infraction.
Deuxièmement, elle va considérer que le stratagème utilisé par le commissaire de police pour la constatation d'une infraction ou l'identification de ces auteurs n'est pas, en soi, une atteinte au principe de loyauté de la preuve. Elle précise que « seul est proscrit le stratagème qui par un contournement ou un détournement de procédure a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à un droit essentiel ou à une garantie fondamentale de la personne suspectée ou poursuivie ».
Il résulte de cette jurisprudence que le commissaire Stanislas Borowitz peut, malgré la réticence de son collègue, parfaitement entrer en négociation avec les kidnappeurs. Et ce dès lors qu'il ne provoque pas la commission d'une infraction. En outre, qu'il ne contourne pas (en ne commettant pas une action qui tend à écarter l'application d'une règle de procédure) ou ne détourne pas (en n'appliquant pas abusivement une règle de procédure, par exemple en la sollicitant de manière incompatible avec sa finalité) une règle de procédure avec pour objet (intention) ou pour effet (conséquence) de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à un droit essentiel ou à une garantie fondamentale de la personne poursuivie.
Pour autant, à la fin du film, le commissaire Stanislas Borowitz arrive en voiture avec Achille Volfoni, suspecté de l'assassinat du commissaire Bertand, au lieu du rendez-vous donné par l'inspecteur Georges Massard pour lui ramener sa fille.
Or, parce que le commissaire Stanislas Borowitz sait que l'inspecteur Georges Massard côtoie Achille Volfoni, dit “le corse”, et que cet inspecteur souhaite le libérer de prison, le commissaire feint de le remercier pour ses actes et le laisse repartir avec sa voiture... dans laquelle se trouve Achille Volfoni, avant de prévenir ses collègues policiers de la fuite de ce dernier avec un complice au volant : l'inspecteur Georges Massard.
De là à constituer la provocation à la commission d'une infraction ? Cette hypothèse peut-être débattue, puisqu'il s'agit, d'un côté, d'une volonté d'arrêter cet inspecteur pour avoir participé à l'enlèvement de sa fille. D'un autre côté, le délit de fuite évoqué par le commissaire Borowitz est difficilement caractérisable. S'il est évidemment mensonger, tout porte à croire que l'inspecteur Georges Massard et “le corse” prenaient bel et bien la fuite. Sans leur laisser sa voiture, ces derniers n'auraient toutefois pas pu s'enfuir. Ce qui semble pouvoir caractériser la provocation à la commission d'une infraction de la part du commissaire Borowitz.
Heureusement, la police judiciaire dans la pellicule Compartiments tueurs (1965, Costa-Gavras) est quant à elle moins vigoureuse que Jean-Paul Belmondo.
C'est encore Michel Piccoli, Yves Montand, Simone Signoret, Jean-Louis Trintignant
Dans le film Compartiment tueurs, au casting riche, il est question d'une passagère d'une voiture-couchettes d'un train Marseille-Paris retrouvée étranglée au moment d'arriver à destination. La police judiciaire va alors mener une enquête afin d'identifier le suspect.
Tout d'abord, en cas de découverte d'un cadavre, l'officier de police judiciaire (OPJ) peut agir comme en matière de flagrance tandis que les conditions de celle-ci ne sont pas réunies. Cette enquête liée à ladite découverte implique une certaine urgence : elle est assimilée à l'enquête de flagrance. Elle nécessite tout d'abord, et logiquement, la découverte d'un cadavre (art. 74 c. proc. pén.). Bien que la “découverte d'un cadavre” puisse paraître ambigüe et laisser penser que le cadavre doit avoir été dissimulé, il n'en est rien : cette expression exige l'existence matérielle d'un corps humain.
En l'espèce, une passagère d'une voiture-couchettes a été retrouvée étranglée par les OPJ. Cette condition ne pose donc pas de difficultés.
Ensuite, la cause de la mort doit être inconnue ou suspecte, peu importe qu'il s'agisse d'une mort violente ou non (art. 74 c. proc. pén.). D'une part, la mort de cause inconnue signifie que l'origine de la mort du cadavre découvert est indéterminée au stade des constatations, c'est-à-dire qu'elle ne paraît certes pas naturelle, mais pour autant une cause criminelle n'est pas manifeste. D'autre part, la mort de cause suspecte peut procéder de l'examen de traces présentées par le cadavre qui sont équivoques, de circonstances de fait qui apparaissent inexplicables ou difficilement explicables, de renseignements recueillis de nature à éveiller les soupçons.
En l'espèce, les enquêteurs trouvent des traces équivoques de strangulation sur le cadavre. D'où il suit que la mort est de cause suspecte. Cette condition est donc applicable.
Les conditions d'application de l'enquête de découverte de flagrance (art. 74 c. proc. pén.) vérifiées, celle-ci implique que l'OPJ, avisé, se transporte sans délai sur les lieux pour procéder aux premières constatations. Il informe immédiatement le procureur de la République. Dans le film la police judiciaire, avisée, intervient sur les lieux.
L'officier de police judiciaire pourra agir selon les articles 56 à 62 du code de procédure pénale (art. 74 c. proc. pén.) relatifs à l'enquête de flagrance dans le cadre d'un délai de huit jours à compter des instructions du procureur de la République, à l'issue duquel une enquête préliminaire ou une information judiciaire sera ouverte.
Même si aucun délai n'est formellement mentionné dans le film, il n'est pas inopportun de penser que les actes d'enquête ne dépassent pas le délai de huit jours au regard de son déroulement.
A la fin du film, les officiers de police judiciaire vont agir selon les articles 56 à 62 du code de procédure pénale qu'autorise l'enquête de découverte de cadavre assimilée à l'enquête de flagrance, en menant des perquisitions dans un hôtel. Pourtant, effectuer un tel acte suppose des conditions à respecter que le film ne mentionne pas expressément.
La jurisprudence définit la perquisition comme « la recherche, dans un lieu clos, d’indices ou de pièces à conviction utiles à la manifestation de la vérité ou encore d’objets confiscables » (crim. 14sept. 2004).
Les perquisitions domiciliaires doivent répondre à 3 critères.
S'agissant du lieu, le domicile correspond au “lieu où la personne, qu'elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quelque soit le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux” (crim. 31 janv. 1914). Dans le film les OPJ souhaitent pénétrer dans des chambres d'hôtel, cette condition ne pose donc aucune difficulté.
Faute d'éléments, la condition temporelle ne peut-être vérifiée (la perquisition ne peut-être réalisée qu'entre 6h et 21h sauf réclamation provenant de l'intérieur du local ou exceptions prévues par la loi, art. 59 c. proc. pén.). Il semblerait que nous soyons en présence d'une perquisition qui se déroule en soirée.
La perquisition ne peut-être réalisée que par un OPJ (art. 56 c. proc. pén.) et ce en présence du maître des lieux, de son représentant ou, à défaut, de deux témoins requis expressément à cet effet (art. 57 c. proc. pén.). En l'occurrence, des OPJ réalisent ces perquisitions et les maîtres des lieux sont présents.
" La perquisition n'est pas soumise à l'assentiment de l'intéressé lorsqu'elle est réalisée dans le cadre d'une enquête de flagrance. Ainsi les OPJ peuvent enfoncer la porte sans demander l'autorisation de l'occupant des lieux. “En voilà des manières”, comme dirait Simone Signoret. "
En somme cette liste, évidemment non exhaustive, montre comment des grands classiques du cinéma français ont retranscrit la procédure pénale au grand écran. Et force est de constater qu'ils ne se sont pas éloignés de la réalité. Le septième art ne s'est aussi pas privé de retranscrire le droit pénal dans de nombreux films, comme c'est le cas dans La Piscine (1969, Jacques Deray), où l'histoire d'un homme qui par jalousie vient à noyer l'amant de sa femme alors qu'ils étaient saouls : malheureux coup de folie ou véritable homicide volontaire ?
Fabien PERONNET
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