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Le délit de solidarité

Photo du rédacteur: Les Pénalistes en HerbeLes Pénalistes en Herbe

Cet éclairage a été publié pour la première fois par Nathanaël LESDEL, en juin 2018, dans La Revue n°1.


Quand la solidarité devient un délit – Une étude du « délit de solidarité »


Contexte – « Partout le cerveau des hommes cesse aujourd'hui ironiquement de comprendre que la véritable garantie de la personne réside non dans un effet personnel isolé, mais dans la solidarité des hommes » comme le soulignait Dostoïevski[1]. L'élan de solidarité qui a poussé Cédric Herrou à aider près de 200 migrants à traverser la frontière italienne par la vallée de la Roya a pourtant valu à ce dernier une condamnation de quatre mois d’emprisonnement avec sursis[2]. Cette aide procurée aux étrangers peut être constitutive d'une infraction, communément appelée « délit de solidarité », dont la répression est fixée à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d'amende[3]. Depuis des années, des associations de défense des droits de l'homme et des migrants passent au crible cette infraction, qui serait la manifestation d'une certaine hostilité à l'égard de ceux qui apportent leur aide aux fameux « exilés ». A l'heure actuelle, cette infraction fait encore parler d'elle. Outre les diverses condamnations comme celle de Cédric Herrou, ou encore le phénomène migratoire actuel, cette infraction a fait l'objet d'une légère refonte par le projet de loi asile-immigration, visant ainsi à assouplir ce délit. Reste encore à savoir si cette ambition recherchée par la majorité actuelle est parvenue à ses fins.


L'origine de l'infraction – Au sens juridique du terme, le « délit de solidarité » n'existe pas en tant que tel. En effet, aucune loi ne mentionne pas à proprement parler ce terme. Le vocable « délit de solidarité » a fait son apparition en 1995 à l'initiative du Groupe d'information et soutien des immigrés (Gisti) qui a entrepris un « manifeste des délinquants de la solidarité » en réaction aux multiples procès qui ont pu être engagés à l'encontre de personnes ayant apporté leur aide à des sans-papiers. Il faut donc en réalité se reporter à l'article L. 622-1 du Code de l'entrée, du séjour des étrangers et du droit d'asile qui dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France » encourt jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. A l'origine, ce texte a été créé aux fins de lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain.


Une lecture de l'infraction – L'article L. 622-1 du Code de l'entrée, du séjour de étrangers et du droit d'asile dispose, pour rappel, que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France » encourt 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. L'article poursuit en précisant que ces actes sont sanctionnés « sous réserves des exemptions prévues à l'article L. 622-4 ». Parmi les exemptions qui existent à l'heure actuelle, l'une d'elle vise à protéger les personnes qui apportent une aide désintéressée aux étrangers en situation de danger[4]. Cette exemption s'explique notamment par le fait que notre droit pénal ne peut se vouer à punir celui qui a agi dans un élan de fraternité et de solidarité envers son prochain quand la situation de celui-ci est mise en péril.


Une application limitée des exemptions du « délit de solidarité » - Il n'en reste pas moins que l'application de cette exemption a été très discutée en raison de son caractère limité. En effet, les exemptions actuellement prévues ne jouent que pour l'aide au séjour et non pas pour l'aide à l'entrée et à la circulation en France des étrangers en situation irrégulière. Ainsi, même si une personne a agi dans un but entièrement désintéressé, cette dernière peut être poursuivie si elle a aidé un étranger à passer la frontière, et ce quel que soit le motif de son action. Or, au regard du phénomène migratoire actuel, générant des situations extrêmement critiques sur un plan humanitaire, il est difficilement concevable de punir celui qui a voulu faire entrer sur le territoire français une personne en exil, quand on sait que celle-ci n'a parfois pas le choix de partir de son pays en raison du contexte politique, écologique ou économique de ce dernier.


Autre limite du texte, concernant cette fois-ci la nature de l'aide apportée, il ne fait nullement mention de la nature de celle-ci. En outre, la nature des aides acceptées, visant à « préserver la dignité ou l'intégrité physique de la personne », restent relativement floues.


Il n'existe pas en effet de réelle définition de ce que l'on peut entendre par « aide visant à préserver la dignité ». Cette absence de clarté revient ici à questionner l'intelligibilité même de la loi pénale, qui est, pour rappel, l'un des corollaire du principe de la légalité criminelle[5]. Cette incohérence du texte au regard de la situation actuelle a poussé le législateur à revisiter cette infraction aux fins de l'assouplir.


En effet, le Président de la République a émis le souhait d'adapter ce texte tout en rappelant l'utilité de cette infraction mais en ajoutant qu'il existe « des femmes et des hommes qui parfois sauvent des vies » et que dans leur cas il serait souhaitable d'adapter ce délit « pour tenir compte de ce geste d'humanité »[6]. En somme, il paraît en effet bien plus opportun de s'orienter vers une adaptation du délit que vers sa suppression. En effet, l'objectif de cette infraction vise essentiellement à sanctionner les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain. Ainsi, il existe une véritable utilité à réprimer ce comportement, qui porte atteinte à la dignité et à l'intégrité humaine. Néanmoins, l'utilisation actuelle de cette infraction a pu conduire à des incohérences en sanctionnant des personnes qui n'avaient agi que dans un élan de solidarité et de fraternité, qui sont, pour rappel, deux valeurs fondamentales de la République française. Par conséquent, le souhait d'adapter cette infraction, et non de la supprimer, semble être pleinement justifié.


L'apport louable du projet de loi asile-immigration – Le 22 avril 2018, l'Assemblée nationale a adopté à 133 voix contre 21 un amendement du gouvernement visant à élargir les exemptions du « délit de solidarité ». L'avancée la plus significative de cet amendement est que désormais les exemptions visent tout autant l'aide au séjour que l'aide à la circulation des étrangers en situation irrégulière. Cette évolution a le mérite d'adapter cette infraction au contexte migratoire actuel. De plus, et c'est encore le mérite de cet amendement, une précision a été apportée quant à la nature de l'aide fournie à un étranger en situation irrégulière. L'amendement prévoit désormais qu'il sera possible de fournir à l'étranger « des conseils et de l'accompagnement notamment juridiques, linguistiques ou sociaux » mais aussi « des prestations de restauration, d'hébergement ou des soins médicaux », si le but recherché est de lui assurer « des conditions de vie dignes et décentes ». Cet amendement vient donc délimiter avec clarté le champ d'application de cette infraction, qui s'apparente, à l'heure actuelle, comme un grief majeur. Néanmoins, cette amendement devra encore résister à l'examen du Sénat, prévu pour le mois de juin.


L'essentiel – Le « délit de solidarité » demeure nécessaire en ce qu'il vise à réprimer des comportement attentatoires à la dignité et à l'intégrité humaine. Néanmoins, il convient de délimiter le champ d'application de cette infraction afin de veiller à ce que celui qui apporte une aide humanitaire à son prochain ne tombe pas sous le coup de la loi pénale.



Pierre-François LASLIER

 

[1] Les frères Karamzov, Fiodor Dostoïevski


[2] Décision de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 8 août 2017


[3] Article L. 622-1 du Code de l'entrée, du séjour des étrangers et du droit d'asile


[4] Article L. 622-4 du Code de l'entrée, du séjour des étrangers et du droit d'asile, « De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. »


[5] Article 111-3 du Code pénal


[6] Déclarations d’Emmanuel Macron du 13 mai 2018 sur BFMTV


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