Cass. Crim., 11 sept. 2024, n°23-86.657
La chambre criminelle retient que le consentement de la victime ne saurait être déduit de la sidération causée par une atteinte sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise.
Dans cette affaire, un homme avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits d'attouchements sur la personne de sa nièce, alors majeure. Le prévenu soutenait que la victime avait consenti à ces gestes, en faisant valoir que, bien que celle-ci ait initialement été endormie au commencement des attouchements, elle s’était réveillée au cours des faits sans exprimer la moindre opposition ou contestation.
La cour d'appel, en réexaminant l'affaire, a infirmé la décision de relaxe rendue par le tribunal correctionnel. Elle a relevé, d'une part, la constance des déclarations de la victime, laquelle a affirmé qu’étant éveillée, elle avait été saisie d’un état de sidération la privant de toute capacité de réaction. D’autre part, la Cour a mis en exergue la reconnaissance par le prévenu du silence de la victime, celle-ci n’ayant, à aucun moment, initié un quelconque contact physique ou exprimé un signe de consentement par un geste ou un mot. La Cour de cassation considère la cour d’appel bien fondée et rejette par conséquent le pourvoi.
Cette affaire nécessite un bref rappel sur l’incrimination des agressions sexuelles (I) en ce qu’elle intervient dans un temps de société mettant en cause la définition actuelle des agressions sexuelles et la place du consentement dans celle-ci (II).
I. Le rôle ambigu du consentement et la définition des agressions sexuelles
L’agression sexuelle correspond à « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » conformément à l’article 222-22 du Code pénal. Dès lors, la seule absence de consentement, si elle n’en est pas moins un élément constitutif {1}, n’est pas suffisante à caractériser une agression sexuelle {2}. Ce rôle est alors ambigu. En effet, le consentement, en droit, ne peut se déduire en réalité que de la caractérisation à l’égard de l’auteur d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise {3}. Dès lors, le consentement étant un élément nécessaire à la caractérisation de l’agression mais insuffisant à lui seul pour la constituer, nombre de défenses pénales travaillent principalement à démontrer l’existence d’un consentement de la « victime » en vue d’obtenir une relaxe.
En l’espèce, ce fut le cas. Si la victime dormait au début de l’agression, la défense tendait à déduire de son absence de contestation à son réveil au milieu de l’acte, l’expression de son consentement, a minima, l’expression de son non non-consentement… Une telle défense tend alors à ne pas discuter de la surprise initiale (le fait d’attoucher une personne endormie) en démontrant une sorte de consentement a posteriori de l’acte (le silence au réveil).
La cour d’appel déduira justement, selon la Cour de cassation, que « le prévenu a agi par surprise en procédant à des attouchements sur la victime alors que celle-ci était endormie, puis en poursuivant ses gestes qui ont généré chez elle un état de sidération ». Concernant la connaissance par le prévenu de l’absence de consentement de la victime, la cour d’appel se base sur plusieurs éléments de fait. L’agresseur avait par exemple confié à un tiers que sa nièce était restée comme une « poupée de chiffon » lors des faits, mais encore l’absence de démonstration d’une quelconque ambiguïté de la victime dans le passé, etc… Par conséquent, la cour conclut en affirmant que « le prévenu a agi par surprise en procédant à des attouchements sur la victime alors que celle-ci était endormie ».
II. La prise en compte de la sidération
Le consentement est encore bien souvent victime d’une image : celle d’une opposition physique, virulente, voire violente. Cette vision est caricaturale et ne correspond pas, a minima, plus, aux considérations de la justice. Dès 2003, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) affirmait ainsi que « l’exigence selon laquelle la victime doit résister physiquement n’a plus cours dans les législations des pays européens » {4}.
On observe en France une jurisprudence tendant à prendre en considération cette conception complexe du consentement, et - de manière générale - une société mobilisée dans ce même sens. La sidération fait partie de ces états dans lesquels l’image traditionnelle du consentement fait défaut. La sidération atteint fortement la victime et l’empêche strictement de réagir contre son agresseur.
Définition de la sidération : « déconnexion neurophysiologique exprimée par une stupeur traumatique, un état second, un état de choc »{5}. « Cette sidération de l'appareil psychique bloque toute représentation mentale et empêche toute possibilité de contrôle de la réponse émotionnelle majeure, qui a été déclenchée par une structure cérébrale sous-corticale archaïque de survie : l'amygdale cérébrale »{6}.
Le juge en matière d’agression sexuelle ne saurait faire abstraction de cet élément dès lors qu’il est amené à apprécier le consentement de la victime de façon directe {7}. Cela est particulièrement pertinent dans des situations, comme celle-ci, où la victime n’a pas pu exprimer de consentement initial en raison de son état de sommeil, mais où l'on débat néanmoins de la question de son consentement après son réveil.
Il faut tout de même prendre des précautions dans le cadre de l’application de la loi telle qu’elle est aujourd’hui rédigée. Le consentement ne fait pas partie de la définition donnée par l’article 222-22 du Code pénal. Dès lors, la sidération de la victime ne doit pas être considérée comme une preuve directe de la constitution de l’infraction. En l’espèce, l’état de sidération n’est que la cause qui a empêché la victime d’exprimer une contestation à son réveil, contrairement à ce que arguait la défense. L’arrêt de la chambre criminelle s’inscrit en continuité avec l’effort de prise en compte des causes d’inactions des victimes pendant certaines agressions sexuelles. À titre d’exemple, dès 2017, la Cour avait déjà pu considérer que l’état de sidération de la victime la rendant « incapable de réagir » ne faisait pas obstacle à la caractérisation d’une agression sexuelle par surprise ou contrainte {8}.
Cet arrêt est rendu dans un contexte de société plus global où la question d’introduire la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles est vigoureusement posée. Se noue alors un débat complexe {9}, exacerbé par l'actualité judiciaire {10}, sur lequel il conviendra rapidement de se pencher.
Léo PEDRO
{1} Cass., Crim., 20 juin 2001, Dr. Pénal 2002. 2, obs. Véron.
{2} Cass., Crim., 17 mars 1999 n°98-83.799, D. 2000. Somm. 32, obs. Mayaud.
{3} D. Goetz, « Agression sexuelle par surprise : le cas de la victime endormie puis en état de sidération », Dalloz actualité, 19 sept. 2024 ; V. aussi E. Dreyer « Agressions sexuelles autres que le viol… et que le magnétisme ! » Gaz. Pal. 11 mai 2021, n° 421l0 à propos de l’état de sidération et la nécessité de démontrer une surprise au sens de l’article 222-22 du Code pénal.
{4} CEDH, Cour (première section), AFFAIRE M.C. c. BULGARIE, 4 décembre 2003, 39272/98, Cons. 157
{5} L. Bériot, L. Karila-Cohen, M. Moisson, S. Si Ali, L. Dubray, V. Belhouchat, A. Ratabou, A. Borderes, V. Deltour, « Confrontation judiciaire et violences sexuelles: enjeux et pratiques : Étude », La Semaine Juridique Edition Générale n° 29-34, 22 juillet 2024, 980
{6} M. SALMONA « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Les Cahiers de la Justice, 2018/1 N° 1. pp. 69-87. https://doi.org/10.3917/cdlj.1801.0069.
{7} Le juge n’étant amené à le faire que dans des cas assez particuliers, comme celui de l’espèce, où il est notamment question de la continuation de la surprise face au réveil de la victime pendant l’acte et des conséquences de son silence.
{8} Cass., Crim., 2 nov. 2017, n° 16-85.499. Voir à ce sujet l’analyse plus générale de C. Girault in « Le viol « silencieux », Le Club des Juristes, Société, 8 mars 2024
{9} Pour aller plus loin : V. Not., C. Saas, « Quand céder n’est pas consentir », in Mélanges Jean Danet, 1reéd., 2020, Dalloz, p. 134. V. aussi., M. Lartigue « Définition pénale du viol : le CNB est opposé à l'ajout de la notion de consentement » Gazette du Palais, 26 mars 2024, n° GPL461b0. Récemment, le ministre de la Justice Didier Migaud s’est dit favorable à l’intégration du consentement en droit français, France inter, Vendredi 27 sept. 2024.
{10} Se déroule actuellement devant la Cour Criminelle départementale du Vaucluse l’affaire dite des “viols de Mazan”. Pour en savoir plus V. not., C. Dubois in “Affaire des viols de Mazan : le consentement au cœur des débats”, Le Club des Juristes, 16 sept. 2024.
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