Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Alizée DECROS, en mars 2019, dans La Revue n°4.
Cass. Crim., 23 janvier 2019, n°18-82.833
Lorsqu’on évoque la notion de viol, on pense souvent au rapport sexuel exécuté sous la contrainte, donc en l’absence de tout consentement. Il est bien vrai que l’article 222-23 du Code pénal définit le viol comme un acte de pénétration sexuelle commis sur une personne par violence, contrainte ou menace. Mais, il y est également prévu que le viol peut se caractériser par l’absence de consentement lucide de la victime (c’est à dire que le consentement existe mais n’est pas réalisé en pleine connaissance de cause), ce qui est traduit par l’expression de “viol par surprise”.
Notion de viol par surprise.- Ce vocable de “surprise” est cependant ambigu. Le dictionnaire Larousse le définit comme “l’état de quelqu'un qui est frappé par quelque chose d'inattendu”. Mais ce n’est pas ce qu’a entendu viser le législateur. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 avril 2001 a, en effet, précisé que la surprise consiste à “surprendre le consentement de la victime et ne saurait se confondre avec la surprise exprimée par cette dernière”. Mais surprendre le consentement de la victime est encore une définition bien vague, raison pour laquelle la jurisprudence, au fil des faits qui lui sont soumis, apporte des précisions sur ce qu’il faut entendre et sanctionner au titre du viol par surprise. L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 23 janvier 2019 fait indubitablement partie de ces décisions marquant l’évolution de la définition du viol par surprise.
Faits.- Malgré la forte médiatisation de cette affaire, faisons un bref rappel des faits. M. Jack S., 68 ans, afin de séduire des jeunes femmes en vue d’avoir des relations sexuelles avec elles, s’est inscrit sur un site de rencontre. Son profil le décrivait comme étant âgé de 37 ans, faisant 1 mètre 78, résidant à Nice et exerçant la profession d’architecte d’intérieur à Monaco. De plus, les photos affichées par M Jack S, montrant un jeune homme au physique de mannequin, corroboraient ces informations. Au bout de quelques temps de relation téléphonique et informatique, M. Jack S, suivant toujours le même scénario, proposait aux jeunes femmes - qu’il choisissait en raison de leur vulnérabilité (rupture, mère célibataire, veuve) - de venir chez lui, dans la pénombre, de leur bander les yeux et de leur attacher les mains, le tout afin d’avoir une première rencontre - et relation sexuelle - aussi “magique” que l’était leur relation. Une fois l’acte fini, les mains détachées et le bandeau retiré, ces jeunes femmes avaient la surprise de découvrir - l’instant devient soudainement beaucoup moins magique - un vieil homme, à la peau fripée, au ventre bedonnant, voûté, portant des lunettes et aux cheveux teints et dégarnis. Mmes Orianna S. et Marie-Hélène L., deux des victimes de M. S., ont porté plainte à son encontre pour viol, en ce que leur consentement a été surpris à raison des stratagèmes mis en place pour obtenir une relation sexuelle à laquelle elles n’auraient pas consenties si elles avaient connues l’identité réelle de M. S.
Décision de la chambre de l’instruction.- Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de mise en accusation pour viol, mais cette décision a ensuite été infirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix en Provence. Elle a, en effet, considéré que si le stratagème a incontestablement pu amener Mmes S. et L. à se présenter au domicile de M. Jack S., elles avaient accepté d’avoir une relation sexuelle suivant un scénario élaboré par lui. La chambre de l’instruction ajoute qu’elles étaient capables d’analyser cette situation pour le moins “originale” et qu’elles pouvaient s’y dérober. Elle en a conclu, sur le rappel que la surprise ne peut être assimilée au sentiment d’étonnement ou de stupéfaction de la victime lors de la découverte des caractéristiques physiques de leur partenaire, qu’il n’existait pas de charges suffisantes à l’encontre de M. Jack S.
Décision de la Cour de cassation.- Dans un arrêt du 23 janvier 2019, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la chambre de l’instruction. Elle énonce que “l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise” au sens de l’article 222-23 du Code pénal. Elle en tire ensuite la conclusion que la chambre de l’instruction ayant bien caractérisé l’emploi d’un stratagème, elle a méconnu l’article susmentionné.
Dissimulation de l’identité.- La solution n’est pas aussi nouvelle qu’il y paraît. En effet, cela fait plus d’un siècle que la Cour de cassation considère que les manœuvres de l’auteur pour tromper la victime sur son identité permettent de surprendre le consentement de ladite victime. Déjà dans un arrêt du 25 juin 1857, la Cour avait confirmé la condamnation pour viol d’un homme qui, la nuit, s’était introduit dans le lit d’une femme, et, en se faisant passer pour son époux, avait obtenu un rapport sexuel.
Cette solution a été rappelée plus récemment. Dans une décision du 11 janvier 2017, la Cour de cassation a confirmé que caractérisait une agression sexuelle commise par surprise, les actes sexuels accomplis sur une femme assoupie, en état d’ébriété, qui croyait qu’ils étaient prodigués par son petit ami, alors qu’ils étaient en réalité effectués par un homme éconduit à plusieurs reprises au cours de la soirée.
Dans l’affaire de M. Jack S., se fonder sur les stratagèmes déployés pour tromper les victimes sur son identité pour caractériser l’absence de consentement lucide, et donc la surprise du consentement des victimes, n’a rien de très surprenant.
Dissimulation des caractéristiques physiques.- Ce qui questionne davantage, c’est la mention faite par la Cour, de la dissimulation des “caractéristiques physiques” au titre du stratagème trompeur. On peut, en effet, se demander, comment les juges vont-ils s’emparer de cette nouvelle précision. Jusqu’où la dissimulation des caractéristiques physiques est-elle considérée comme un élément faisant obstacle à un consentement lucide à ‘acte sexuel ? Finalement, c’est se demander dans quelle mesure les caractéristiques physiques sont un élément déterminant du consentement.
Pour prendre un exemple frappant, sera-t-il possible de considérer à l’avenir, que les mensurations du pénis d’un homme ou l’opulence de la poitrine d’une femme, pourront être considérés comme des qualités essentielles et déterminantes du consentement à l’acte sexuel au point, qu’en cas de mensonge, photos trafiquées à l’appui, le partenaire puisse porter plainte pour viol par surprise ?
Par ailleurs, doit-on entendre par caractéristiques physiques, uniquement l’apparence extérieure de la personne, ou bien cette jurisprudence pourrait-elle être utilisée pour prendre en compte l’hypothèse de la personne qui ment, à renfort de faux résultats médicaux, sur sa séropositivité au VIH afin de pousser son ou sa partenaire à un rapport sexuel non protégé ?
Cette décision, par la formule adoptée, pose donc plus de questions qu’elle n’en résout. En effet, il aurait été suffisant, au regard des faits, que la Cour de cassation reprenne sa formule antérieure visant uniquement la tromperie sur l’identité de l’auteur pour caractériser la surprise du consentement de la victime. La Cour de cassation donne le sentiment d’avoir saisi l’opportunité d’élargir le champ du viol par surprise. Si la mention des caractéristiques physiques de l’auteur semble donc être une porte ouverte, l’avenir nous dira si les juges s’y engouffreront !
Alizée DECROS
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