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L’histoire des modes de preuve, de l’Antiquité au Moyen-Âge



La preuve est définie comme : « Le moyen de démontrer un fait ou tout au moins, d’en persuader le juge. » Le procès pénal tout entier gravite et a toujours gravité autour de la recherche de la vérité qui se caractérise par l’administration de diverses preuves. Jeremy Bentham (philosophe anglais du XVIIIème) écrivait que « l’art de la procédure, c’est d’administrer des preuves »[1]. La preuve est ainsi le noyau de la procédure pénale. L’histoire du droit de la preuve suit surtout celle de la criminalité, elle évolue au regard des nouveaux moyens de commission d’infractions. Aussi, les modes de preuves se sont adaptés aux différentes sociologies des époques auxquelles ils appartiennent, notamment au regard de la religion. Dans l’Histoire, l’aveu a longtemps été la reine des preuves, peu importe qu’il s’agisse de la vérité, cela permettait, au moins, de condamner quelqu’un qui se reconnaissait coupable. Ainsi, les modes de preuve dans l’Histoire ont quasiment tous pour unique but d’obtenir un aveu de l’accusé, et les législateurs ont su faire preuve d’imagination pour arriver à cette fin.


Alors, il paraît intéressant de faire un panorama des différents modes de preuve qui ont traversé l’histoire judiciaire de l’Antiquité (Gréco-romaine) (I) au Moyen-Âge français (II).


I) L’Antiquité

A. La rhétorique (Grèce Antique et Rome)


L’art oratoire permet de convaincre, de persuader. Bien qu’il ne soit pas un mode de preuve matériel, il a, comme toute preuve, pour but de convaincre le juge. La rhétorique est ainsi propre à persuader, il s’agit d’une discipline intellectuelle qui va occuper une place fondamentale pour la formation des esprits à Athènes, mais aussi à Rome. Les sophistes étaient ainsi professeurs de rhétorique, leur théorie reposait sur la seule existence de vérités d’opinion propres à un homme, mais aussi sur l’existence de vérités absolues, telles que les mathématiques. La rhétorique est une forme de science malléable permettant de faire croire à un homme, ou groupe d’hommes certaines convictions incertaines, mais qui, bien argumentées, sont suffisamment crédibles. Protagoras[2] soutenait même que la raison étant imparfaite, elle ne soutient aucune réalité absolue. L’homme perçoit des choses par ses sens et son pouvoir d’analyse propre. Selon Domat[3], la preuve est ce qui persuade l’esprit d’une vérité[4], c’est de cette manière que les Grecs ont pu considérer que l’art oratoire était constitutif d’un mode de preuve.


B. La torture (Grèce et Rome Antique)


Présente dans le Code justinien de 529 après JC, inspiré par Ulpien un juriste romain émérite du IIIème siècle, la torture judiciaire est un mode de preuve connu de tous. Par ailleurs, elle n’a pas la même place dans les droits anciens. En effet, dans le Digeste (droit romain), la vérité ne passe pas nécessairement par la torture, il faut rassembler d’autres éléments tels que le son de la voix, la fermeté du ton, les tremblements, etc[5]. De cette manière, la torture judiciaire n’est pas systématique. À l’inverse, dans le procès Grec, l’usage de la violence permettait d’arracher la vérité. Pour mettre fin à la douleur, la seule issue est celle de la vérité.


En droit romain, seuls les étrangers ou esclaves peuvent être torturés, ce procédé s’appelle la quaestio. En effet, les personnes qui bénéficient d’un certain statut social, d’une profession honorable, ou les militaires ne peuvent faire l’objet de la torture judiciaire. Par ailleurs, il est important de préciser que les esclaves ne peuvent être entendus pour ou contre leur maître afin de préserver une forme d’impartialité.


Dans la Grèce Antique, à l’inverse des hommes libres, les esclaves qui sont torturés ne sont pas nécessairement coupables, ils peuvent être de simples témoins. Parmi les procédés utilisés, on peut retrouver la torture par la roue. Par ailleurs, ce témoignage emportait bien souvent une très grande conviction.

Il conviendra aussi d’évoquer la torture en France, au Moyen-âge. (II. B.)


C. Les piliers de la preuve en droit romain


Le droit romain retenait principalement trois modes de preuves : le témoignage, les écrits et les présomptions. Il n’est pas nouveau que le droit français s’est fortement inspiré du droit romain. Dès le XIIème siècle, de nouveaux modes de preuves sont admis tels que le serment, ou encore les aveux. Chaque preuve bénéficie d’un degré de probation[6]. Il existe ainsi la preuve notorium facti (notoire) ce qui est le plus souvent caractérisé par le flagrant délit. Ensuite se trouve la preuve notorium juris qui renvoi à l’aveu ou à la notoriété de la chose jugée. Enfin, la preuve notorium presumptionis renvoie à la certitude de faits que l’on ne pouvait prouver à cette époque.


Aussi, l’inspection oculaire est un mode de preuve qui a été rarement citée en droit romain, mais couramment utilisée, elle porte aussi le nom de « vue » ou « jour de vue ». Elle sera présente de manière systématique à partir du XIVème siècle. A l’occasion d’une procédure, au moment de la première comparution de l’intéressé, le défendeur peut demander un « jour de vue » qui ne pourra lui être refusé. Ainsi, les parties décident d’un lieu où elles se retrouveront pour que le demandeur réclame des biens jusqu’à ce qu’il trouve satisfaction, ce procédé se nomme « monstrée ». Par ailleurs, même s’il ne s’agit pas d’un mode de preuve à proprement parler, il s’agit d’un procédé efficace et original qui permet de résoudre un litige.


II) Le Moyen-âge (France)

Les ordalies étaient aussi pratiquées en Grèce encore plutôt qu’en France au VIème siècle avant JC. Cependant, les ordalies ont particulièrement marqué l’Histoire judiciaire française au cours de cette longue période qu’est le Moyen-Âge.


A. Les ordalies


Le droit français médiéval a été fortement influencé par la religion. Ainsi, les ordalies trouvent tout leur sens. Elles consistent à soumettre un suspect à une épreuve douloureuse, désagréable, voire mortelle. L’issue est incertaine et le résultat découle du choix de Dieu. Par ailleurs le terme Ordalie est issu du latin Ordalium signifiant jugement de Dieu.


À ce titre, il existait à la fois des ordalies unilatérales et bilatérales (cette liste n’est pas exhaustive).


Les ordalies unilatérales : un seul accusé doit prouver son innocence, pour ce faire il peut avoir affaire aux procédés suivants :

  • L’ordalie par le fer rouge : sur neuf pas, l’accusé devait supporter la douleur d’un fer rougi. Trois jours plus tard, l’état de la cicatrice permettait d’énoncer un verdict. Une cicatrice infectée, purulente ou simplement laide permettait de conclure à la culpabilité de l’accusé. A l’inverse, une cicatrice qui commence à se refermer et propre permettait d’écarter la culpabilité de l’accusé. Cette épreuve pouvait aussi prendre la forme d’un chaudron d’eau bouillante dans lequel il fallait aller récupérer un caillou. L’évolution de la blessure déterminait la culpabilité ou non de l’intéressé.

  • L’ordalie par l’eau froide : souvent utilisée pour les procès des sorcières. Le but est simple, jeter l’accusé dans une eau froide, si son corps coulait, il était innocenté et mourrait bien souvent de noyade. À l’inverse, un corps qui flotte peut signifier que l’accusé a des pouvoirs, une force surnaturelle qui concurrence celle de Dieu. Celui-ci était déclaré coupable.


Les ordalies bilatérales : elles opposent les contradicteurs dans un même procès

  • Le plus connu, le combat judiciaire : les deux parties se livrent à un combat de mise à mort. Le dernier est le duel entre Jean de Carrouges face à Jacques le Gris. Ce dernier était accusé d’avoir violé la femme de Jean de Carrouges en 1386[7]. Jean de Carrouges en est sorti victorieux.

  • L’ordalie de la croix : les deux parties lèvent les bras en forme de croix et le premier qui « baisse les bras » (d’où l’expression) est rendu coupable. En effet, cela s’apparente à une parodie du Christ, les vrais fidèles restent en croix et honorent Dieu.


B. La torture, ou la question


La question est un mode d’obtention de preuves par le châtiment corporel ayant pour but d’obtenir de l’intéressé un aveu. En droit français médiéval, la question n’est ni obligatoire, ni systématique. Elle est plutôt ultime et facultative[8]. En général, le recours à la question intervient en matière de flagrant délit. Il est important de rappeler que l’aveu est au sommet de la hiérarchie des preuves, et que la question est l’ultime moyen pour tenter de l’obtenir. Elle ne peut intervenir que dans le cadre de procédure dite extraordinaire, et est obligatoire en matière de crimes passibles de peines corporelles ou infamantes. Cependant, le recours à la question n’est qu’une option pour le juge, et jamais une obligation. Aussi, il peut laisser le choix à l’intéressé qui préfère se soumettre à une enquête et à des preuves testimoniales (de témoins) qui s’avèrent souvent très efficaces. La procédure évolue en fonction de l’affaire et peut passer d’ordinaire à extraordinaire au regard des nécessités probatoires.


Contre qui ?


Si la torture doit avoir lieu, elle interviendra au cours de l’instruction, c’est-à-dire lorsque ni l’enquête ni les témoignages ou recherches d’aveux n’ont été concluants. Par ailleurs, comme en droit romain, elle ne peut intervenir à l’encontre de personnes qui jouissent d’un métier honorable, ou d’un certain statut social (sénateur, soldat officier…). Seules les personnes âgées d’au moins 14 ans peuvent en faire l’objet. Dans le registre criminel du châtelet de 1389, le vol est l’infraction pour laquelle le recours à la torture est la plus représentée. S’agissant d’un acte discret et dissimulé, la recherche d’aveux s’avère plus difficile, raison pour laquelle la question est plus systématique en la matière.


Comment ?


La question se matérialise par une contrainte corporelle qui peut se manifester par des coups de bâton, de fouet, donnés par un bourreau, jamais par le juge[9].

En conclusion, la réelle différence entre les modes de preuves anciens et actuels tient surtout à la protection de l’intégrité physique, cela s’explique notamment par l’évolution de la conception de l’individu en tant qu’entité propre. Là où les Anciens avaient pour coutume de recourir au châtiment corporel pour obtenir des aveux, les contemporains ont condamné cela. Ce changement de paradigme a un lien étroit avec la place de l’aveu dans le procès. En effet, chez les Grecs, il était indispensable, peu importe sa véracité. Aujourd’hui, l’aveu ne constitue plus la reine des preuves et ne demeure plus indispensable pour prononcer une décision de culpabilité.


NB : Ce panorama est loin d’être exhaustif. Il fait état des modes de preuve les plus anciens et originaux connus à ce jour dans des sociétés reconnues pour avoir été les précurseurs du droit.




Valentine PIC


 

[1] Jeremy Bentham, Rationale of judicial Evidence, 1827


[2] Protagoras est un penseur présocratique et professeur du Vᵉ siècle av. J.-C.


[3] Jurisconsulte français du XVIIe, ayant consacré sa vie à l’étude de la jurisprudence

[4] Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1689


[5] Faustine Harang, La torture au moyen-âge, Chapitre 3 : la question, une étape ultime de la procédure pénale (2017)


[6] Juliette Dumasy-Rabineau, La vue, la preuve et le droit : les vues figurées de la fin du Moyen-âge, Revue historique 2013/4 N°668


[7] A ce propos, voir le film « Le dernier duel », de Ridley Scott paru en 2021.


[8] Faustine Harang, La torture au moyen-âge, Chapitre 3 : la question, une étape ultime de la procédure pénale (2017)

[9] Evangélos Karabelias, La torture judiciaire dans le droit romano-byzantin, Etudes balkaniques, 2003/1



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