« A une époque où l’on assiste à une sophistication médicale croissante et à une augmentation de l’espérance de vie, de nombreuses personnes redoutent qu’on ne les force à se maintenir en vie jusqu’à un âge très avancé ou dans un état de grave délabrement physique ou mental aux antipodes de la perception aiguë qu’elles ont d’elles-mêmes et de leur identité personnelle »[1].
L’affirmation du droit à la vie, posée par de nombreux textes internationaux, se présente comme un principe premier, attribut inaliénable et intangible de la personne humaine. L’article 16 du Code civil affirme que : « la loi (…) garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Sur le plan international, spécialement affirmé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le droit à la vie impose aux Etats non seulement de s’abstenir de provoquer la mort, mais encore de protéger la vie des personnes. De même, l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 énonce que « tout individu a droit à la vie ». Ce droit est présenté comme « la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme sur le plan international »[2].
La question se pose : la prééminence du droit à la vie doit-elle empêcher une fin de vie digne ?
Telle ne semble pas être la position de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, bien qu’elle n’octroi pas un « droit à la mort », elle ouvre la possibilité aux Etats d’autoriser un droit à une mort digne à condition que celui-ci soit encadré[3].
Dans une décision dite « Pretty » la Cour de Strasbourg rappelle que la notion de vie privée doit être entendue de façon large et n’est pas susceptible de définition exhaustive. Elle recouvre à la fois l’intégrité morale et physique de la personne. A partir de là, elle va considérer que ce n’est pas nier le principe du caractère sacré de la vie que de prendre en compte la qualité de la vie. Le principe de respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, permet ainsi aux Etats de reconnaitre le droit au suicide assisté ou l’euthanasie.
Suicide assisté, euthanasie, quelle différence ? Ces deux termes, malgré quelques différences, aboutissent au même résultat. En effet, dans le cas de l'euthanasie, la décision d'abréger les souffrances d'un patient atteint d'une maladie incurable est non seulement prise par le corps médical mais également exécutée par lui. Lors d'un suicide médicalement assisté, c'est le patient lui-même qui effectue l'acte provoquant la mort, le médecin lui en octroie seulement les moyens.
"Il existe des pays ayant autorisé une telle pratique"
L’exemple de pays voisins face à la mort - Il n’y a pour le moment aucune harmonisation européenne concernant la législation en matière d’euthanasie et de suicide assisté. Toutefois, il existe des pays ayant autorisé une telle pratique. Le Pays-Bas est le premier pays au monde à avoir légalisé l’euthanasie, sous certaines conditions. Des médicaments mortels peuvent être légalement administrés par un médecin en cas de maladie incurable ou de souffrance intolérable. Il faut également que les patients l’aient demandé en toute conscience.
En Belgique une loi de septembre 2002 a partiellement légalisé le suicide assisté en l’encadrant. Le médecin ne commettra pas d’infraction dès lors que le patient, victime d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable des suites d’une affection accidentelle ou pathologique, se trouve dans une situation médicale sans issue. En 2014, le droit belge est allé encore plus loin en adoptant une loi autorisant l’euthanasie des mineurs en phase terminale et qui en font la demande. Ce droit est soumis à l’accord des deux parents et à l’évaluation du discernement de l’enfant afin de déterminer s’il est conscient de toutes les conséquences d’un tel choix.
"Il est nécessaire que le droit au suicide assisté ou à l’euthanasie soit encadré et circonscrit à des situations bien définies et limitées afin d’éviter toutes dérives"
Cependant, en Belgique, plusieurs points font débats notamment en raison de la possible euthanasie pour des « souffrances psychiques ». Cela permet à des personnes présentant des troubles dépressifs, des affections neuropsychiques, d’avoir recours à ce procédé. Des doutes sont mis en exergue concernant le caractère réfléchi et éclairé de la décision d’avoir recours au suicide assisté. Il est nécessaire que le droit au suicide assisté ou à l’euthanasie soit encadré et circonscrit à des situations bien définies et limitées afin d’éviter toutes dérives. L’objectif est d’échapper à une banalisation de l’euthanasie parfois décriée en Belgique[4]. L’avantage du retard de la France dans ce domaine est qu’elle aura plus de recul pour parvenir à une législation consciencieuse.
La position actuelle de la France face à la mort – Notre beau pays des droits de l’Homme s’inscrit à ce jour dans le refus d’une dépénalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Quelle qu’en soit la manifestation, tout acte ayant provoqué la mort d’une personne relève d’une qualification infractionnelle pour laquelle le consentement de la victime ne peut constituer un fait justificatif[5]. Sur le plan déontologique mais aussi pénal, le médecin encourt des sanctions. Le suicide n’étant pas une infraction, celui qui contribue au suicide d’autrui ne peut pas être poursuivi pour complicité, faute de fait principal punissable.
"Le médecin qui donne volontairement la mort à un patient, en effectuant un geste positif tel que l’arrêt d’une machine ou une injection létale, pourra voir sa responsabilité pénale engagée"
Néanmoins, l’arsenal législatif commun de droit pénal offre d’autres fondements pour sanctionner les médecins ayant aidé au suicide. Il semble toujours possible de se tourner vers les omissions de porter secours ou de non-assistance à la personne suicidaire qui est par nature en péril. Toutefois, il faut que le médecin ait conscience du péril, sans quoi l’élément intentionnel ne pourra être caractérisé. Or, l’absence de rapports personnels et, quelques fois, durables avec la personne suicidaire, tend à limiter la connaissance du médecin de la réalité des projets de suicide et de la volonté de la personne de passer à l’acte.
Par ailleurs, le médecin qui donne volontairement la mort à un patient, en effectuant un geste positif tel que l’arrêt d’une machine ou une injection létale, pourra voir sa responsabilité pénale engagée sur d’autres fondements. En effet, l’acte pourra au minimum être qualifié d’homicide simple (article 221-1 du Code pénal) ou d’assassinat (article 221-3 du Code pénal) mais également d’empoisonnement (article 221-5 du même code). Ces qualifications varient en fonction de l'acte : l'usage d'un produit qualifie l’acte d'empoisonnement si la substance est mortifère. Le délit d'administration de substances nuisibles sera retenu si la substance administrée n’est pas mortifère. A défaut de produit, le fait de provoquer le décès constitue en toute hypothèse un homicide volontaire, et la plupart du temps un assassinat[6]. Le consentement de la victime est inopérant, tandis que la volonté d'abréger une fin de vie pénible ne constitue qu'un mobile indifférent.
"Cet entêtement à maintenir en vie n’a plus aucune visée thérapeutique mais prolonge une vie en agonie. L’interdiction de l’obstination déraisonnable ou de l’acharnement thérapeutique vise à éviter cette situation et à préserver la dignité du patient"
Toutefois, sur le chemin menant à la reconnaissance du suicide assisté, la France a déjà fait deux pas en avant - Un premier avec la Loi « Léonetti » du 22 avril 2005 visant à interdire l’acharnement thérapeutique. Cette interdiction permet d’éviter de continuer d’administrer des traitements, souvent lourds, à des personnes dont la maladie est incurable. Les progrès de la science laissent à penser que la possibilité de retarder l’issue fatale octroie au médecin un droit, voire un devoir, de prolonger et maintenir en survie des personnes. Cet entêtement à maintenir en vie n’a plus aucune visée thérapeutique mais prolonge une vie en agonie. L’interdiction de l’obstination déraisonnable ou de l’acharnement thérapeutique vise à éviter cette situation et à préserver la dignité du patient. Il ne s’agit pas pour autant de mettre fin à sa vie, mais d’arrêter les traitements curatifs pour se tourner vers un traitement palliatif. En d’autres termes, l’objectif va être de soulager autant que possible les souffrances en attendant le décès du patient. Certains parleront d’euthanasie « passive ».
Un deuxième pas a été réalisé avec la loi du 2 février 2016[7] ouvrant la possibilité d’avoir recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les malades en phase terminale. Cela revient à plonger la personne dans un coma artificiel. Elle est toutefois entourée de conditions très strictes afin d’éviter d’y voir une reconnaissance de l’euthanasie ou du suicide assisté. En effet, uniquement les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme peuvent y avoir recours. Elle concerne les personnes en toute fin de vie et lorsque l’agonie est à son plus haut niveau. Mais, cette loi génère le désordre pour le personnel soignant qui ne sait plus ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. De ce fait, très peu de sédation profonde sont octroyées en raison d’entraves médicales, juridiques et éthiques.
Vers une évolution ? – De nombreuses personnes se rendent dans des pays limitrophes afin d’avoir accès au droit de choisir une fin de vie digne. Tout le monde le sait mais le droit se tait. Voilà comment les choses se passent en France : les personnes ayant les moyens financiers se rendront en Belgique ou en Suisse, les autres seront contraintes d’attendre de mourir lentement. La légalité en place génère des inégalités. N’est-il pas légitime de ne pas vouloir assister à son inéluctable dégradation corporelle et psychique ?
"En l’état actuel du droit et surtout de l’évolution sociale, plusieurs éléments tendent vers une reconnaissance d’une assistance au suicide pour les personnes en fin de vie"
Le libre choix de recourir à l’euthanasie devrait être permis. Si des personnes s’opposent fermement à toute forme d’euthanasie, libre à elles de ne pas y avoir recours si on leur diagnostique une maladie incurable. Certains affirmeront que la demande d’euthanasie résulte de thérapeutiques inappropriées, mal pensées et disproportionnées[8]. Pourtant, il semble que tant que la maladie restera incurable, entrainera une détérioration progressive du corps, aucun soin palliatif ne pourra suffire à compenser la détérioration du mode de vie, la perte d’indépendance, la souffrance psychique et supprimer totalement la souffrance physique. En l’état actuel du droit et surtout de l’évolution sociale, plusieurs éléments tendent vers une reconnaissance d’une assistance au suicide pour les personnes en fin de vie. Le dernier avis du Conseil économique, social et environnemental se pose d’ailleurs en faveur de la mort assistée pour ces personnes[9].
La France, pays des droits de l’Homme, n’a plus qu’un pas à faire. Et ce d’autant plus que l’apparente sévérité légale se trouve en contraste avec la tolérance judiciaire à l’égard des médecins ou membres de la famille d’un patient ayant provoqué la mort de ce dernier. Les rares condamnations donnent lieu à une répression faible, plus symbolique que punitive, souvent assortie de sursis. En est pour preuve le cas Bonnemaison, soupçonné d’avoir empoisonné sept patients, il sera finalement condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis[10]. L’indulgence des juges aboutit à rendre d’autant plus flagrante l’hypocrisie de notre droit. Surtout, la société semble prête à accueillir une dépénalisation de l’euthanasie[11]. De surcroit, reconnue et encadrée elle serait moins exposée aux litiges. Il ne s’agirait pas de consacrer un droit à mourir mais un droit à une mort digne pour les personnes en fin de vie. La France n’a plus qu’à s’inspirer des modèles européens déjà en place.
N’ayons plus peur de mettre des mots sur la mort. La prééminence du droit à la vie n’empêche en aucun cas de reconnaitre un droit à une fin de vie digne fondé sur le respect de la vie privée. Il semble que le respect de la vie, passe par le respect de l’avis de la personne.
Camille RIUS
[1] CEDH, 29/04/2002, Pretty c/ Royaume-Uni, n° 2346/02
[2] CEDH 22/03/2001, Streletz, Kessler et Krentz c/ Allemagne, n° 34044/96
[3] CEDH, 14/05/2013, Gross c/ Suisse, n° 67810/10
[4] Alliance VITA, « Euthanasie en Belgique : bilan de 15 ans de pratique », 7/06/2017
[5] Les faits justificatifs sont des circonstances qui justifient ou légitiment une infraction. Dès lors, la responsabilité pénale du prévenu ne sera pas retenue, même si tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis.
[6] La qualification d’assassinat sera retenue lorsqu’il y a eu préméditation, ce qui est souvent le cas car le recours à l’euthanasie suppose, en amont, une réflexion et une préparation. La mort du patient par euthanasie sera donc considérée comme « pré- méditée » et engagera la responsabilité pénale du médecin pour assassinat.
[7] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
[8] L. Puybasset, « faut-il légaliser l’euthanasie ? », Recueil Dalloz, 2007, p. 1328
[9] CESE,« Fin de vie : la France à l’heure des choix », avis 2018-10
[10] C. ass. appel Angers, 24/10/2015, affaire Dr. Bonnemaison
[11] Le Figaro, « 80% des Français favorables à l’euthanasie », 22/11/2016
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