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Brève : délit de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée en vue de nuire à la défense nationale : conformité à la Constitution. Cons. const. 17 janv. 2025, n° 2024-1117/1118 QPC

Photo du rédacteur: Les Pénalistes en HerbeLes Pénalistes en Herbe

Cons. const. 17 janv. 2025, n° 2024-1117/1118 QPC


Le Conseil constitutionnel était saisi de deux QPC renvoyées par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 octobre 2024. Celles-ci visaient à contester la constitutionnalité du délit de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée prévu par l’article 413-4 du Code pénal. 


Selon les requérants, d’une part, l’expression de “démoralisation de l’armée” manquait de clarté et en cela portait atteinte au principe de légalité des délits et des peines. D’autre part, ils soutenaient que le délit revenait à prohiber tout débat quant à l’action armée de l’État et, partant, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.


Par une décision QPC rendue le 17 janvier 2025, le Conseil constitutionnel prononce pourtant la conformité totale de l’article 413-4 du Code pénal à la Constitution. C’est en précisant les éléments constitutifs de ce délit (I) qu’il en tire la conformité (II). 


  1. Le délit de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée


L’article 413-4 du Code pénal réprime le fait de participer à une entreprise de démoralisation de l'armée en vue de nuire à la défense nationale”


Cette infraction suppose l'existence d'une “organisation poursuivant un plan concerté et un acte de participation consciente à l'entreprise ainsi définie” selon la chambre criminelle{1}. Telle condition exclut de facto les actes isolés {2}. L’auteur des faits a donc consciemment participé à cette organisation. Le Conseil constitutionnel rappelle cette exigence en précisant qu’il doit être question d’“actes traduisant la volonté de leur auteur de prendre part, en connaissance de cause, à une telle entreprise”(Consid. 8)


Les précisions marquantes apportées par le Conseil constitutionnel concernent surtout l’élément intentionnel du délit. Par l’analyse des travaux précédant la création de ce délit en 1992{3}, le Conseil précise que l’entreprise de démoralisation doit avoir pour but “d’amoindrir l’engagement des forces armées dans l’exercice de leurs missions”(Consid. 7).  Pour autant, cela n’indique pas si l’agent auteur doit avoir l’intention directe de poursuivre ce but ou si la seule intention de l’agent de participer à cette entreprise suffit. Les sages lèvent rapidement le doute. De la matérialité des faits doit ressortir la volonté de l’auteur de “prendre part, en connaissance de cause, à une telle entreprise, dans l’intention de nuire à la défense nationale”


Une telle expression questionne. Pour retenir la caractérisation de ce délit, il faudrait d’abord relever l’existence de l’entreprise et relever un but précis du plan concerté : amoindrir l’engagement des forces armées. Ensuite, relever la volonté particulière de l’agent de nuire à la défense nationale. Enfin, nécessairement, démontrer la volonté de l’agent d’agir dans le cadre de cette organisation. En réalité, amoindrir l’engagement des forces armées semble déjà être une façon de nuire à la défense nationale. La simple volonté de l’agent de participer à une entreprise dont le plan concerté tend à nuire à la défense nationale devrait donc suffire - à condition bien sûr que l’agent ait eu connaissance dudit plan. La dernière proposition reviendrait alors à ne pas exiger de dol spécial. Il s’agira d’observer l’application qu’en fera la Cour de cassation si jamais elle est à nouveau amenée à statuer sur la caractérisation de ce délit particulier - et rarissime. 



  1. Clarté, précision et liberté d’expression 


Les sages ont répondu aux griefs sans réelles difficultés. Pour rappel, tant la clarté de la loi (légalité) que la proportionnalité de l’atteinte que l’incrimination portait à la liberté d’expression étaient critiquées par les requérants. 


Le principe de légalité des délits et des peines (aussi appelé légalité criminelle{4}) consiste en ce qu'il ne saurait y avoir de crimes, de délits et de contraventions sans une définition préalable de ces infractions et des peines afférentes. Ce principe est inscrit au sein de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (art. 8{5}) et dans le Code pénal (art. 111-3). 


(Citation :  Art. 111-3 c.pen : “Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement”.)


Pour autant, la seule existence d’une définition préalable ne suffit pas. Encore faut-il que celle-ci soit suffisamment claire et précise. À titre d’exemple, le Conseil Constitutionnel avait pu considérer que la définition du délit de harcèlement sexuel qui consistait en le “fait d’harceler autrui” était contraire au principe de légalité{6}.  


En l’espèce, le Conseil constitutionnel considère qu’au regard des éléments de définition précisés aux considérants 7 et 8 (cf. infra) de la décision, la loi est suffisamment claire et précise. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit donc être écarté” (Consid. 9). 

 

La liberté d'expression est elle aussi largement reconnue au niveau constitutionnel par sa présence dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (art. 11{7}). Celle-ci, parfois qualifiée de “droit hors du commun”{8}, constitue un fondement de l’État de droit et des sociétés démocratiques modernes. Elle consiste en la liberté, pour chacun,  d’exprimer ses idées et opinions qu’elles soient inoffensives ou qu’elles “heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population”{9}


Le grief fait à la loi consistait, en l’espèce, à dire que le délit ainsi rédigé limitait de manière disproportionnée la liberté pour les citoyens de critiquer l’action armée de l’État. Néanmoins les sages relèvent que, par la création de ce délit, le législateur a entendu préserver la défense nationale. Et partant, ce dernier avait “poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et entendu mettre en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation”(Consid. 11). Par ailleurs, la peine ne peut excéder 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.


Le Conseil précise également que ce délit n’a “ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’expression d’opinions portant sur des interventions militaires ou la défense nationale”(Consid. 12). 


Par conséquent, si dans l’absolu l’atteinte à la liberté d’expression est indéniable, celle-ci apparaît nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur selon le Conseil constitutionnel (Consid. 14). 


Léo PEDRO








Notes de bas de page : 


{1} Crim. 25 févr. 1958: Bull. crim. no 194

{2} Crim. 6 oct. 1960, no 4.187MIL P

{3} Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique 

{4} A ce sujet, voir le focus "Le principe de la légalité criminelle", publié le 26 novembre 2023 : https://www.lespenalistesenherbe.com/post/le-principe-de-la-l%C3%A9galit%C3%A9-criminelle.

{5}“La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée”.

{6} Cons. const. 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC

{7} « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi »

{8} F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, PUF, coll. « Droit fondamental », 7e éd., p. 451.

{9} CEDH, 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n°5493/72, pt. 49. 

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