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Arrêt J.L. c/ Italie 27 mai 2021 de la CEDH : protection contre la victimisation secondaire de la victime de viol




Image générée par une Intelligence artificielle sur Bing



Ces dernières années, les plaintes pour infractions sexuelles ont augmenté en Europe, bien que le nombre de cas déclarés reste inférieur aux statistiques rapportées par Amnesty International. Selon cette organisation, une femme sur vingt aurait été victime de viol, soit environ 9 millions de femmes à l'échelle européenne [1].


Néanmoins, en France, l’absence de dénonciation reste massive, avec seulement 12% des victimes qui osent déposer plainte [2]. En effet, les viols demeurent largement sous-déclarés en raison de plusieurs obstacles. Les victimes craignent souvent de ne pas être crues si elles dénoncent les faits ou manquent de confiance envers le système judiciaire. Elles redoutent aussi la stigmatisation et la culpabilisation. Des mythes tenaces entourent également le viol, comme l'idée qu'il est commis par un inconnu et dans une ruelle sombre.


En France, l’absence de dénonciation reste massive, avec seulement 12% des victimes qui osent déposer plainte.

 

Face à ce constat préoccupant, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) joue un rôle régulateur en incitant les États membres à mieux lutter contre ces crimes en veillant à la bonne application des normes du Conseil de l’Europe et à la protection des droits fondamentaux au nombre desquels se retrouve le droit au respect de l’intégrité physique. La prise en compte de la psychologie des victimes et l'évolution des mentalités apparaissent donc indispensables pour permettre à un plus grand nombre d'entre elles de dénoncer les agressions sexuelles subies. 

 

Le viol constitue un type d’agression sexuelle. Dans le cadre du droit pénal français, l’article 222-22 du Code pénal dispose que « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur ». De la même manière, les articles 222-23 et suivants du Code pénal disposent que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

 

Pendant longtemps, la notion même de victime était absente du droit pénal. Il a fallu des réformes législatives récentes [3] pour introduire cette notion et mieux reconnaître ce rôle dans la procédure judiciaire. Désormais, la victime se définit comme celle qui « individuellement ou collectivement, a subi un préjudice, notamment une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir (…) » [4]. Lorsqu’elle décide formellement de participer aux poursuites engagées, elle devient une partie civile. Ainsi, mieux définir juridiquement le viol et le statut procédural de la victime était devenu nécessaire pour améliorer la prise en charge de ce type de crime au niveau européen. Si la définition commune fait défaut, certains législateurs nationaux, dont la France ne fait pas partie, se sont attachés à renforcer la protection des victimes d'agressions sexuelles, notamment en ancrant le principe d'absence de consentement au cœur des textes répressifs [5].

 

Le terme de consentement doit également être défini dans cette approche. Selon le dictionnaire [6] le consentement est « l’action qui consiste à donner son accord à une action, à un projet - acquiescement, approbation, assentiment. »

 

La volonté de garantir un procès équitable à l'ensemble des parties en Europe, conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), a favorisé l'émergence et la consolidation de droits fondamentaux pour la victime. Si ces droits procéduraux sont plus récents, un long chemin a été parcouru pour reconnaître à la victime un rôle plus actif dans le procès pénal. Néanmoins, l'État conserve également un devoir de protection à son égard.


C'est ce qu'a dû arbitrer la Cour européenne dans l'affaire J.L c/ Italie du 27 mai 2021, opposant une victime d’agression sexuelle et l’État italien, dans laquelle elle condamne la justice italienne pour des préjugés sexistes dans une affaire de viol. En cause, l'atteinte potentielle au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Conv EDH. La Cour a dû déterminer si l'ingérence de l'État dans l'exercice de ce droit fondamental était légitime au regard de ses obligations, notamment de protection de la victime, ou s'il avait manqué à son devoir de diligence. 

 

En protégeant la vie privée, la vie familiale et le domicile par l'article 8, la Conv EDH établit des garanties essentielles pour les individus tout en ménageant les intérêts de la société. Or, la victimisation secondaire, sous forme de réactions hostiles ou de déni de l'acte, peut porter atteinte à ces droits. La décision du 27 mai 2021 ci-après commentée interroge l'influence des règles culturelles propres à chaque pays, comme l'Italie et la France, sur la place de la victime de viol dans le procès pénal. Malgré les évolutions législatives, l'état des mentalités et l'histoire d'un État peuvent encore avoir un impact, par exemple en alimentant des préjugés défavorables au traitement de la victime.


Malgré les évolutions législatives, l'état des mentalités et l'histoire d'un État peuvent encore avoir un impact, par exemple en alimentant des préjugés défavorables au traitement de la victime.

 

Il reste donc un équilibre délicat à trouver entre protection individuelle et évolution sociétale.

 

Les motivations de la décision de la Cour d’appel de Florence (1) et celles de la Cour européenne sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne (2) permettent d’analyser plus en détail cette problématique.

 

A la lumière des différentes évolutions législatives et jurisprudentielles en Italie comme en France, observons en l’espèce, les motivations apportées par les juges du fond italiens dans l’affaire « J-L c/ Italie », qui ont posé des difficultés au regard du droit européen.    

 

I. Les motivations apportées par la Cour d’appel de Florence : la place accordée aux victimes de viol par le juge italien

 

En juillet 2008, une jeune femme de 19 ans a porté plainte pour viol contre 7 hommes pour des faits commis par eux pendant une soirée en Italie. En première instance devant le tribunal de Florence en 2013, 6 des accusés ont été reconnus coupables et condamnés. 

 

Cependant, un recours formé devant la Cour d'appel de Florence en 2015 s'est soldé par l'acquittement de l'ensemble des prévenus et accusés. Insatisfaite, la plaignante s'est alors tournée vers la Cour européenne des droits de l'homme, estimant que la décision d'appel violait ses droits garantis par les articles 3 et 14 de la Convention européenne.

 

Elle reprochait notamment aux magistrats florentins d'avoir tenu dans leur arrêt, des propos stéréotypés sur son genre et sa vie privée, minimisant ainsi les violences subies. 

 

II. La protection de la victime du viol par la Convention européenne des droits de l’homme


L’article 8§2 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce que :  

 

« 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme souligne l'importance de l'article 8 de la Convention EDH qui protège la vie privée, et condamne l'Italie pour ne pas avoir suffisamment protégé la victime contre une victimisation secondaire lors du procès pénal. Cet arrêt met en lumière la nécessité d'éviter tout propos ou raisonnement fondé sur des préjugés sexistes, afin de préserver la confiance des victimes dans le système judiciaire. 

 

Pour la Cour, cette intrusion dans l'intimité de la plaignante constitue une "victimisation secondaire" qui n'a pas été suffisamment protégée par la justice italienne.

En l’espèce, la Cour européenne ne remet pas en cause le déroulement de l'enquête italienne mais bien l'argumentation développée par les juges de la Cour d’appel de Florence. En évoquant sans lien avec les faits la bisexualité de la victime ou ses choix personnels, ces derniers ont violé son droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8. Pour la Cour, cette intrusion dans l'intimité de la plaignante constitue une "victimisation secondaire" qui n'a pas été suffisamment protégée par la justice italienne. Reconnaissant ce type de recours fondé sur l’article 8 pour la victime du procès pénal, les juges européens entendent offrir de nouvelles perspectives de protection aux victimes d'infractions sexuelles. Ils rappellent aux États que le procès pénal ne doit pas soumettre la victime à une épreuve plus difficile que nécessaire. Cet arrêt envoie donc un double message en faveur d'une justice respectueuse de l'intimité des victimes et de nature à ne pas décourager leur confiance dans le système judiciaire.


Cet arrêt envoie donc un double message en faveur d'une justice respectueuse de l'intimité des victimes et de nature à ne pas décourager leur confiance dans le système judiciaire.

Il s’agit d’un pas en avant dans l’évolution jurisprudentielle de la place de la victime de viol au cœur du procès pénal. Il s’agit clairement d’un message adressé par les juges de la Cour européenne des droits de l’homme à toutes les juridictions internes des États membres du Conseil de l’Europe. Ainsi, nous pouvons comparer les systèmes juridiques mondiaux et peut-être trouver des points d’équilibre qui seraient plus adaptés à l’évolution de nos sociétés et des mœurs.



Élise GOUËLLO


 

[3] Déclarations des victimes, droit à l’information, droit à la protection, droit à la réparation [4] Définition adoptée par l’Assemblée générales des Nations Unies dans la résolution 40 /34 du 29 novembre 1985

[5] Code pénal Espagnol : article 178 : “Quiconque porte atteinte à la liberté sexuelle d'une autre personne, en usant de violence ou d'intimidation, est puni comme responsable d'une agression sexuelle de la peine d'emprisonnement de un à cinq ans.

Selon l’art. 375 du Code pénal Belge : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol. Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime. » [6] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/consentement/18359




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